LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
CIV. 1
SG
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 8 avril 2021
Rejet
Mme BATUT, président
Arrêt n° 291 F-P
Pourvoi n° H 19-20.644
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, DU 8 AVRIL 2021
La société Cannes centre Croisette, anciennement dénommée Casino de la Pointe Croisette, dont le siège est [...] , a formé le pourvoi n° H 19-20.644 contre l'arrêt rendu le 2 mai 2019 par la cour d'appel d'Aix-en-Provence (chambre 3-4), dans le litige l'opposant :
1°/ à G... D... décédé en cours d'instance, ayant été domicilié [...] , (Syrie),
2°/ à Mme C... N..., domiciliée [...] ,
3°/ à M. I... D..., domicilié [...] ),
4°/ à Mme A... D..., domiciliée [...] ),
5°/ à M. I... D..., domicilié [...] ,
défendeurs à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Kerner-Menay, conseiller, les observations de la SCP Bouzidi et Bouhanna, avocat de la société Cannes Centre Croisette, de la SCP Gadiou et Chevallier, avocat de MM. I... et I... D..., de Mme N... et de Mme D..., après débats en l'audience publique du 16 février 2021 où étaient présentes Mme Batut, président, Mme Kerner-Menay, conseiller rapporteur, Mme Duval-Arnould, conseiller doyen, et Mme Randouin, greffier de chambre,
la première chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt ;
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Aix-en-Provence, 2 mai 2019), entre 2010 et 2012, G... D... (le client) a joué régulièrement au casino exploité par la société Cannes centre Croisette, anciennement dénommée Casino de la Pointe Croisette (le casino). Ayant émis, à cette occasion, plusieurs chèques dont certains ont été retournés par la banque pour insuffisance de provision, il a conclu, le 1er août 2012, avec le casino un protocole en vue du règlement des chèques impayés à hauteur de 170 000 euros.
2. Par acte du 2 avril 2014, en l'absence d'exécution du protocole, le casino l'a assigné en paiement de cette somme et de dommages-intérêts. Le client a opposé l'exception de jeu fondée sur l'article 1965 du code civil. Il est décédé le 16 octobre 2020 et ses ayants droit, Mme N..., Mme D... et MM. I... et Bassem D..., ont repris l'instance.
Examen du moyen
Enoncé du moyen
3. Le casino fait grief à l'arrêt de rejeter ses demandes, alors :
« 1°/ que la loi n'accorde aucune action pour une dette de jeu ou pour le paiement d'un pari ; que le casino faisait valoir que cette exception n'était pas applicable, dès lors qu'il poursuivait l'exécution du protocole transactionnel conclu entre les parties le 1er août 2012 ; qu'il résulte de ce protocole que les chèques remis lors des jeux par le client ont été rejetés pour défaut de provision et qu'il se reconnaissait débiteur d'une somme totale de 170 000 euros ; qu'en relevant que c'est à juste titre que l'appelant fait observer que ces chèques impayés, énumérés dans le protocole, se suivent puisqu'ils portent les numéros 2454901 à 2454914, qu'il apparaît qu'alors que le casino produit « le listing détaillé des "achats vente d'un client" sur la période du 1er janvier 2010 au 19 décembre 2012 » relatif au client, retraçant les achats et vente de jetons, avec la date, l'heure, le montant et le moyen de paiement, avec précision pour les chèques de leur numéro, aucun des quatorze chèques, dont le montant total représente la somme de 170 000 euros est poursuivi ne figure dans ce listing, pour en déduire que ces chèques n'ont manifestement pas été émis en paiement de jetons, que le client justifie ainsi que les chèques en litige sur lesquels est fondé le protocole étaient des chèques de couverture d'avances qui lui ont été consenties par l'intimée pour alimenter le jeu et que la cause du protocole n'étant pas licite, le casino doit être débouté de sa demande en paiement, sans rechercher ni préciser si ces chèques n'avaient pas été émis en remplacement des chèques impayés figurant sur le listing, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1965 du code civil ;
2°/ que la loi n'accorde aucune action pour une dette de jeu ou pour le paiement d'un pari ; que le casino faisait valoir que cette exception n'était pas applicable dès lors qu'il poursuivait l'exécution du protocole transactionnel conclu entre les parties le 1er août 2012 ; qu'il résulte de ce protocole que les chèques remis lors des jeux par le client ont été rejetés pour défaut de provision et qu'il se reconnaissait débiteur d'une somme totale de 170 000 euros ; qu'en relevant que c'est à juste titre que l'appelant fait observer que ces chèques impayés, énumérés dans le protocole, se suivent puisqu'ils portent les numéros 2454901 à 2454914, qu'il apparaît qu'alors que le casino produit « le listing détaillé des "achats vente d'un client" sur la période du 1er janvier 2010 au 19 décembre 2012 » relatif au client, retraçant les achats et vente de jetons, avec la date, l'heure, le montant et le moyen de paiement, avec précision pour les chèques de leur numéro, aucun des quatorze chèques, dont le montant total représente la somme de 170 000 euros est poursuivi ne figure dans ce listing, pour en déduire que ces chèques n'ont manifestement pas été émis en paiement de jetons, que le client justifie ainsi que les chèques en litige sur lesquels est fondé le protocole étaient des chèques de couverture d'avances qui lui ont été consenties par l'intimée pour alimenter le jeu et que la cause du protocole n'étant pas licite, le casino doit être débouté de sa demande en paiement, quand la circonstance qu'elle relève selon laquelle les chèques relatés dans le protocole portaient les numéros 245901 à 245914, était inopérante dès lors que si cette circonstance pouvait le cas échéant démontrer que les chèques avaient été émis le même jour, elle n'établissait pas qu'ils l'avaient été antérieurement au protocole, ce qui excluait la notion de « chèque de casino » ou d'avance, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1965 du code civil. »
Réponse de la Cour
4. Aux termes de l'article 1965 du code civil, la loi n'accorde aucune action pour une dette du jeu ou pour le paiement d'un pari.
5. Le client d'un casino, dont l'activité est autorisée par la loi et réglementée par les pouvoirs publics, ne peut cependant se prévaloir de ces dispositions, sauf s'il est établi que la dette se rapporte à des prêts consentis par le casino pour alimenter le jeu (1re Civ. 30 juin 1998, pourvoi n° 96-17.789, Bull. I, n° 229 n° 1 ; 1re Civ. 20 juillet 1988, pourvoi n° 86-18.995, Bull. I, n° 257).
6. L'arrêt relève qu'il résulte du protocole du 1er août 2012 que les quatorze chèques en litige d'un montant de 170 000 euros, rejetés le 11 juillet 2012 pour défaut de provision portent des numéros qui se suivent, qu'aucun d'eux ne figure dans le listing détaillé retraçant les achats et vente de jetons du client sur la période du 1er janvier 2010 au 19 décembre 2012, qu'ils n'ont manifestement pas été émis en paiement de jetons, que le client justifie qu'il s'agissait de chèques de couverture d'avances consenties par le casino pour alimenter le jeu et que la cause du protocole n'est pas licite.
7. En l'état de ces constatations et énonciations procédant de son appréciation souveraine des éléments de fait et de preuve qui lui étaient soumis, la cour d'appel, qui n'était pas tenue de suivre les parties dans le détail de leur argumentation, a pu déduire que l'exception de jeu devait être accueillie et rejeter la demande du casino.
8. Le moyen n'est donc pas fondé.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne la société Cannes centre Croisette aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du huit avril deux mille vingt et un
MOYEN ANNEXE au présent arrêt :
Moyen produit par la SCP Bouzidi et Bouhanna, avocat aux Conseils, pour la société Cannes centre Croisette
LE POURVOI REPROCHE A L'ARRÊT ATTAQUÉ D'AVOIR débouté la société exposante de ses demandes à l'encontre de M. G... D... ;
AUX MOTIFS QUE M. D..., qui expose être un joueur compulsif, soutient qu'il ne peut, en application de l'article 1965 du code civil, être poursuivi en paiement de la somme de 170 000 euros ; qu'il estime que le protocole dont se prévaut le casino ne peut être considéré comme valablement conclu en l'absence de concessions réciproques, étant dépourvu de contrepartie à son égard, et manifestement illicite ; qu'il indique que c'est pour ce motif que le casino ne l'a pas fait homologuer ; qu'il fait valoir que le protocole a été conclu en considération de chèques de couverture des avances faites par le casino pour favoriser le jeu ou plutôt les pertes de clients dépendants ; qu'il souligne que les chèques censés correspondre, selon le casino, à des achats de jetons de juillet ou septembre 2010 et janvier et mai 2011 font tous partie d'une même série dont les numéros se suivent et n'ont pas été remis à l'encaissement à bonne date ; qu'il précise que malgré l'indication, dans le protocole, que ces chèques étaient sans provision, le casino a, de mauvaise foi, tenté de tous les présenter en juillet 2012 à l'encaissement auprès de l'Europe Arab Bank ; qu'en réponse, le Casino de la Pointe Croisette fait valoir que les dispositions de l'article 1965 du code civil ne s'appliquent pas, dès lors qu'il ne fonde pas son action sur les chèques impayés mais sur le protocole transactionnel signé par les parties, en application des articles 1134, 1147 et 2044 et suivants du même code ; qu'elle souligne que M. D... ne conteste pas ne pas avoir payé ce qu'il lui doit ; qu'elle sollicite la confirmation du jugement qui a estimé que la dette de M. D... ne présentait aucun caractère illicite, de sorte que le protocole était fondé sur une cause licite, et que comportant une contrepartie, puisque le casino renonçait à toute demande de dommages et intérêts, la transaction était valide ; qu'elle rappelle que si pendant longtemps les dispositions de l'article 1965 ont été appliquées défavorablement aux casinos, qui se voyaient opposer l'exception de jeu dans le cadre d'actions en répétition de l'indu ou étaient déclarés irrecevable à recouvrer les créances résultant de chèques émis sans provision tant sur le plan civil que sur le plan pénal, bien qu'il s'agisse d'un délit, il n'en est plus ainsi depuis un arrêt de la chambre mixte de la cour de cassation du 14 mars 1980 ; qu'elle fait valoir que, depuis un arrêt de principe du 31 janvier 1984, la dette d'un joueur est licite dans la mesure où elle trouve son origine dans le jeu et non dans un prêt consenti pour jouer, ce qui est le cas ; qu'elle souligne que M. D... étant fortuné, rien ne lui permettait de penser que les chèques allaient être sans provision, alors que l'intéressé venait régulièrement depuis le mois de février 2010 et qu'aucun incident de paiement n'avait jusqu'alors été à déplorer ; qu'elle en déduit qu'elle était fondée à solliciter le paiement de la somme de 170 000 euros au titre des chèques impayés ; qu'elle relève que le rejet des chèques vient du fait que M. D... ne pouvait alimenter son compte français par ses comptes syriens en raison du conflit syrien, et non comme il l'indique dans ses dernières conclusions en raison de son endettement ; que l'article 1965 du code civil dispose : "La loi n'accorde aucune action pour une dette du jeu ou pour le payement d'un pari" ; que le client d'un casino, dont l'activité est autorisée par la loi et réglementée par les pouvoirs publics, ne peut se prévaloir des dispositions susvisées sauf s'il est établi que la dette se rapporte à des prêt consentis par le casino pour alimenter le jeu ; qu'il est rappelé en préambule du protocole transactionnel, sur lequel le Casino fonde son action, que M. D... a acheté des jetons réglés par chèques, que tous n'ont cependant pas été honorés d'un paiement et que 11 chèques, représentant une somme totale de 170.000 euros, ont été rejetés le 11 juillet 2012 pour insuffisance de provision ; que c'est à juste titre que l'appelant fait observer que ces chèques impayés, énumérés dans le protocole, se suivent puisqu'ils portent les numéros 2454901 à 2454914 ; qu'il apparaît qu'alors que le Casino produit (pièce 3) le listing détaillé des "achats vente d'un client sur la période du 1er janvier 2010 au 19 décembre 2012' relatif à M. D..., retraçant les achats et vente de jetons, avec la date, l'heure, le montant et le moyen de paiement, avec précision pour les chèques de leur numéro, aucun des quatorze chèques, dont le montant total représente la somme de 170.000 euros est poursuivi ne figure dans ce listing ; qu'il en résulte que ces chèques n'ont manifestement pas été émis en paiement de jetons ; que M. D... justifie ainsi que les chèques en litige sur lesquels est fondé le protocole étaient des chèques de couverture d'avances qui lui ont été consenties par l'intimée pour alimenter le jeu ; que la cause du protocole n'étant pas licite, le Casino doit être débouté de sa demande en paiement ; que le jugement sera infirmé de ce chef ; que la demande de dommages et intérêts du Casino fondé sur le retard de paiement de M. D... ne peut compte tenu de ce qui précède qu'être rejetée
ALORS D'UNE PART QUE la loi n'accorde aucune action pour une dette de jeu ou pour le paiement d'un pari ; que l'exposante faisait valoir que cette exception n'était pas applicable, dés lors qu'elle poursuivait l'exécution du protocole transactionnel conclu entre les parties le 1er août 2012 ; qu'il résulte de ce protocole que les chèques remis lors des jeux par le client ont été rejetés pour défaut de provision et qu'il se reconnaissait débiteur d'une somme totale de 170.000 euros ; qu'en relevant que c'est à juste titre que l'appelant fait observer que ces chèques impayés, énumérés dans le protocole, se suivent puisqu'ils portent les numéros 2454901 à 2454914, qu'il apparaît qu'alors que le Casino produit (pièce 3) « le listing détaillé des "achats vente d'un client » sur la période du 1er janvier 2010 au 19 décembre 2012 » relatif à M. D..., retraçant les achats et vente de jetons, avec la date, l'heure, le montant et le moyen de paiement, avec précision pour les chèques de leur numéro, aucun des quatorze chèques, dont le montant total représente la somme de 170.000 euros est poursuivi ne figure dans ce listing, pour en déduire que ces chèques n'ont manifestement pas été émis en paiement de jetons, que M. D... justifie ainsi que les chèques en litige sur lesquels est fondé le protocole étaient des chèques de couverture d'avances qui lui ont été consenties par l'intimée pour alimenter le jeu et que la cause du protocole n'étant pas licite, le Casino doit être débouté de sa demande en paiement, sans rechercher ni préciser si ces chèques n'avaient pas été émis en remplacement des chèques impayés figurant sur le listing, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1965 du code civil ;
ALORS D'AUTRE PART QUE la loi n'accorde aucune action pour une dette de jeu ou pour le paiement d'un pari ; que l'exposante faisait valoir que cette exception n'était pas applicable dès lors qu'elle poursuivait l'exécution du protocole transactionnel conclu entre les parties le 1er août 2012 ; qu'il résulte de ce protocole que les chèques remis lors des jeux par le client ont été rejetés pour défaut de provision et qu'il se reconnaissait débiteur d'une somme totale de 170.000 euros ; qu'en relevant que c'est à juste titre que l'appelant fait observer que ces chèques impayés, énumérés dans le protocole, se suivent puisqu'ils portent les numéros 2454901 à 2454914, qu'il apparaît qu'alors que le Casino produit (pièce 3) « le listing détaillé des "achats vente d'un client » sur la période du 1er janvier 2010 au 19 décembre 2012 » relatif à M. D..., retraçant les achats et vente de jetons, avec la date, l'heure, le montant et le moyen de paiement, avec précision pour les chèques de leur numéro, aucun des quatorze chèques, dont le montant total représente la somme de 170.000 euros est poursuivi ne figure dans ce listing, pour en déduire que ces chèques n'ont manifestement pas été émis en paiement de jetons, que M. D... justifie ainsi que les chèques en litige sur lesquels est fondé le protocole étaient des chèques de couverture d'avances qui lui ont été consenties par l'intimée pour alimenter le jeu et que la cause du protocole n'étant pas licite, le Casino doit être débouté de sa demande en paiement, quand la circonstance qu'elle relève selon laquelle les chèques relatés dans le protocole portaient les numéros 245901 à 245914, était inopérante dès lors que si cette circonstance pouvait le cas échéant démontrer que les chèques avaient été émis le même jour, elle n'établissait pas qu'ils l'avaient été antérieurement au protocole, ce qui excluait la notion de « chèque de casino » ou d'avance, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1965 du code civil.