LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
COMM.
CH.B
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 5 mai 2021
Cassation partielle
M. RÉMERY, conseiller doyen
faisant fonction de président
Arrêt n° 376 F-D
Pourvoi n° T 20-11.021
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIÈRE ET ÉCONOMIQUE, DU 5 MAI 2021
La société Durand AM, société à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 1], a formé le pourvoi n° T 20-11.021 contre l'arrêt rendu le 28 novembre 2019 par la cour d'appel de Nîmes (4e chambre commerciale), dans le litige l'opposant à la société Mas des platanes, société à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 2], défenderesse à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Fontaine, conseiller, les observations de la SCP Boutet et Hourdeaux, avocat de la société Durand AM, de la SCP Didier et Pinet, avocat de la société Mas des platanes, et l'avis de Mme Henry, avocat général, après débats en l'audience publique du 9 mars 2021 où étaient présents M. Rémery, conseiller doyen faisant fonction de président, Mme Fontaine, conseiller rapporteur, Mme Vaissette, conseiller, et Mme Fornarelli, greffier de chambre,
la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Nîmes, 28 novembre 2019), le 6 janvier 2016, la société Mas des platanes, qui commercialise des fruits et légumes, a commandé à son fournisseur habituel, la société Durand AM (la société Durand), une certaine quantité de pommes qu'elle a vendues et expédiées par navire en Algérie.
2. La livraison ayant été refusée au motif que les pommes étaient impropres à la consommation, la société Mas des platanes a remboursé son acheteur et a refusé de payer la facture émise par son vendeur.
3. La société Durand a assigné la société Mas des platanes en paiement du prix des marchandises et en dommages-intérêts.
Examen du moyen
Enoncé du moyen
4. La société Durand fait grief à l'arrêt de rejeter ses demandes en paiement du prix de vente et de dommages-intérêts, alors « que le juge doit, en toutes circonstances, faire observer et observer lui-même le principe de la contradiction ; qu'en se fondant exclusivement, pour retenir l'existence d'un vice caché affectant les marchandises vendues, sur deux expertises non judiciaires et non contradictoires, alors qu'aucun autre élément de preuve ne venait corroborer les conclusions de ces expertises, la cour d'appel a violé l'article 16 du code de procédure civile, ensemble le principe de l'égalité des armes et l'article 6 §1 de la convention européenne des droits de l'homme.»
Réponse de la Cour
Recevabilité du moyen
5. La société Mas des platanes conteste la recevabilité du moyen. Elle soutient qu'il est nouveau et mélangé de fait et de droit.
6. Cependant, le moyen, de pur droit, est recevable.
Bien-fondé du moyen
Vu l'article 16 du code de procédure civile :
7. En application de ce texte, le juge ne peut se fonder exclusivement sur une expertise non judiciaire réalisée à la demande de l'une des parties.
8. Pour rejeter les demandes en paiement de la société Durand, l'arrêt retient que le document nommé « expertise » et celui qui, intitulé « observations », constitue en réalité une analyse du premier, établissent que les pommes livrées en Algérie comportaient des vices les rendant impropres à la commercialisation et en déduit que la société Durand est tenue à garantie.
9. En statuant ainsi, tout en constatant que les deux rapports avaient été établis non contradictoirement à l'égard de cette société et sans relever l'existence d'autres éléments de preuve, la cour d'appel a violé le texte susvisé.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il déboute la société Durand AM de ses demandes en paiement du prix de vente et de dommages - intérêts, dit que la société Durand AM supportera les dépens de première instance et d'appel et payera à la société Mas des platanes une somme de 3000 euros par application de l'article 700 du code de procédure civile, l'arrêt rendu le 28 novembre 2019, entre les parties, par la cour d'appel de Nîmes ;
Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Montpellier ;
Condamne la société Mas des platanes aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du cinq mai deux mille vingt et un.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt :
Moyen produit par la SCP Boutet et Hourdeaux, avocat aux Conseils, pour la société Durand AM.
Il est fait grief à l'arrêt infirmatif attaqué d'AVOIR débouté la société Durand AM de ses demandes de paiement du prix de vente et de dommages et intérêts et d'AVOIR dit que la société Durand AM supportera les dépens de première instance et d'appel et paiera la somme de 3 000 euros par application de l'article 700 du code de procédure civile ;
AUX MOTIFS QUE, « Il est rappelé en droit que l'acquéreur doit établir la réunion des quatre conditions découlant de l'article 1641 du code civil : - l'existence d'un vice, - la gravité du vice, - le caractère caché du vice, - antériorité du vice par rapport à la vente ; La Sarl Mas des platanes, acquéreur intermédiaire, conserve l'action en garantie à l'encontre de son vendeur ayant un intérêt direct et certain pour avoir remboursé son acheteur comme ce dernier l'écrit dans un courrier du 3 juillet 2016. La Sarl Mas des platanes verse deux rapports sur l'état des marchandises livrées en Algérie, l'un est réalisé dans l'entreprise algérienne le 2 février 2016 par un ingénieur "d'état expert" [M] [X] et l'autre est réalisé le 22 mai 2018 en France par un ingénieur agronome [T] [K]. La Sarl Durand AM, vendeur d'origine, soutient que ces deux rapports lui sont inopposables n'ayant pas été établis contradictoirement. S'il est vrai qu'elle n'a pas débattu contradictoirement avec les deux rédacteurs, ces deux rapports constituent les pièces 2 et 23 du bordereau de communication de pièces de l'appelante, contradictoirement versées au débat et dont les parties ont débattu dans leurs écritures. Le premier document intitulé "expertise", dont les constatations sont faites le 2 février 2016, dans l'entrepôt frigorifique de l'entreprise algérienne, porte sur un lot caisses d'emballage en carton de pommes entreposées et arrangées sur des palettes en bois d'une contenance de 67560 kilos. Il fait état de fruits marbrés, marqués par des tâches noires mettant hors d'usage la commercialisation des produits à hauteur de 70% au moment de la visite. Il note que ce phénomène est évolutif avec le temps risquant de prendre de l'ampleur sans pour autant expliquer ce phénomène ni en donner son origine. Ce document comprend dix photos. Le deuxième document intitulé "observations" dont les constatations sont faites le 22 mai 2018 à [Localité 1] constitue, en réalité, une analyse de l'expertise de [M] [X] qui n'a fait qu'un constat visuel. L'ingénieur agronome retient deux photos lui permettant de donner un diagnostic de la maladie affectant le lot de pommes apparues selon elle en sortie de chambre froide, donc pendant le transport, et constatées à réception à savoir l'échaudure de prématurité ; Elle indique que cette dégradation se fait pendant la période de stockage explosant au moment de la commercialisation quand la pomme est remise à température ambiante, le mode d'expédition et la température du conteneur maritime en hiver n'ayant aucun rapport sur l'apparition de cette maladie due à la conduite de la culture et en particulier une date de récolte trop précoce, facteur influençant cette maladie. Elle conclue que le transport en chambre froide n'aurait eu comme conséquence que de décaler l'apparition de la maladie. Il n'est pas contesté que les marchandises analysées sont bien celles fournies par la Sarl Durand AM eu égard au conditionnement précisé et au bon d'enlèvement délivré par la douane algérienne ; Il n'est pas contesté que la Sarl Mas des platanes qui a vérifié plusieurs fois les marchandises avant le transport n'a rien remarqué d'anormal. Ces deux pièces établissent que les pommes livrées en Algérie comportaient des vices les rendant impropres à la commercialisation, le client de la Sarl Mas des platanes ayant d'ailleurs refusé la marchandise ; Le vice est donc bien caractérisé, en l'occurrence par ses conséquences, soit l'inaptitude à l'usage que l'on attendait de ces marchandises, à savoir la revente. Par la vente, la Sarl Durand AM s'est porté garante des qualités de la marchandise normalement attendues et elle est tenue d'une obligation de résultat dont l'inexécution est démontrée dès lors que la défectuosité de la chose est établie au moment de la vente et sans qu'une faute du vendeur soit à prouver. La défectuosité alléguée doit avoir une origine interne et l'existence du vice est considérée comme établie s'il ne subsiste pas de doute, sur la cause de l'état défectueux de la chose au moment de la vente. Si les premières constatations sont inopérantes sur l'antériorité du vice, les observations de l'ingénieur agronome mettent clairement en cause une maladie inhérente à la marchandise vendue "l'échaudure de prématurité" connue du milieu agricole. Les défauts observés ont été causés par l'action de facteurs particuliers (mauvaise conduite de la culture et choix inapproprié de la date de récolte) étant intervenus avant la vente. Ces observations sont critiquées par la Sarl Durand AM et les premiers juges ont retenu ces critiques en ce qu'elles ont éliminé toutes les causes venant après la livraison à la Sarl Mas des platanes et notamment le non-respect d'un transport en conteneurs frigorifiques tel que préconisé par la compagnie Cma Cgm dans une lettre d'information versée au débat. Or, l'ingénieur agronome, qui a établi que le vice n'était pas apparent à la livraison à la Sarl Mas des platanes, affirme que le choix d'un conteneur réfrigéré n'aurait eu aucune influence sur le développement de la maladie mais juste sur sa date inéluctable d'apparition. La Sarl Durand AM soutient avoir récolté aux dates opportunes et verse une attestation du conseiller agricole du centre d'étude technique agricole de [Localité 2] indiquant que la récolte a eu lieu entre le 16 et 29 octobre 2015 à des dates optimales de récolte pour un stockage dans de bonnes conditions. Mais, d'une part, il est taisant sur ce qu'est un stockage dans de bonnes conditions et d'autre part la récolte ne constitue qu'un des facteurs particuliers en cause ; Cette attestation ne peut donc remettre en cause les conclusions de l'ingénieur agronome ; En conséquence, un vice caché a incontestablement affecté les marchandises vendues et la Sarl Durand AM est tenu à garantie »
ALORS QUE le juge doit, en toutes circonstances, faire observer et observer lui-même le principe de la contradiction ; qu'en se fondant exclusivement, pour retenir l'existence d'un vice caché affectant les marchandises vendues, sur deux expertises non judiciaires et non contradictoires, alors qu'aucun autre élément de preuve ne venait corroborer les conclusions de ces expertises, la cour d'appel a violé l'article 16 du code de procédure civile, ensemble le principe de l'égalité des armes et l'article 6 §1 de la convention européenne des droits de l'homme.