LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
SOC.
CA3
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 20 octobre 2021
Rejet
Mme MARIETTE, conseiller doyen
faisant fonction de président
Arrêt n° 1156 F-D
Pourvoi n° Z 20-10.613
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 20 OCTOBRE 2021
L'association Espérer 95, dont le siège est [Adresse 1], a formé le pourvoi n° Z 20-10.613 contre l'arrêt rendu le 21 novembre 2019 par la cour d'appel de Versailles (6e chambre), dans le litige l'opposant :
1°/ à Mme [Q] [P], domiciliée [Adresse 3],
2°/ à Pôle emploi, dont le siège est [Adresse 2],
défenderesses à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Seguy, conseiller, les observations de la SCP Boré, Salve de Bruneton et Mégret, avocat de l'association Espérer 95, et après débats en l'audience publique du 7 septembre 2021 où étaient présents Mme Mariette, conseiller doyen faisant fonction de président, M. Seguy, conseiller rapporteur, Mme Le Lay, conseiller, et Mme Pontonnier, greffier de chambre,
la chambre sociale de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Désistement partiel
1. Il est donné acte à l'association Espérer 95 du désistement de son pourvoi en ce qu'il est dirigé contre Pôle emploi.
Faits et procédure
2. Selon l'arrêt attaqué (Versailles, 21 novembre 2019), Mme [P] a été engagée le 27 octobre 2008 par l'association Espérer 95 et a été affectée à un poste d' « animatrice écoutante » au pôle de réception des appels au « 115 ». Elle a été licenciée pour faute grave le 12 février 2014.
3. Elle a saisi le conseil de prud'hommes pour contester son licenciement.
Examen du moyen
Enoncé du moyen
4. L'association Espérer 95 fait grief à l'arrêt de juger dépourvu de cause réelle et sérieuse le licenciement de la salariée et de la condamner à lui verser diverses sommes à titre d'indemnités de rupture, de dommages-intérêts pour licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse et de remboursement de frais irrépétibles, alors :
« 1°/ que la faute grave s'entend d'un fait ou d'un ensemble de faits imputable au salarié qui constitue une violation des obligations découlant du contrat de travail d'une importance telle qu'elle rend impossible le maintien du salarié dans l'entreprise ; que présentent ce caractère les violences exercées au temps et lieu du travail par une salariée sur un collègue au cours d'une altercation ayant provoqué l'interruption du service et profondément choqué la dizaine de salariés présents ; qu'en l'espèce, il ressort des propres constatations de la cour d'appel que le 23 janvier 2014, en début de service aux alentours de 9h10, Mme [P], éducatrice spécialisée et son collègue M. [N], sur le plateau du Samu social en charge de recevoir les appels du ''115'', ont eu une ''violente altercation'' au cours de laquelle M. [N] a ''subitement et violemment frappé sur son bureau au point que la salariée, qui était assise derrière ce bureau, a perdu l'équilibre et s'est cogné la jambe'' ; que ''dans le prolongement'' de ce geste agressif, Mme [P], à son tour, a ''porté un coup sur la tête de M. [N]'' ; que ''les huit salariées présentes lors des faits?se sont déclarées profondément choquées?l'une d'elles indiquant même avoir pleuré sous le coup de l'émotion'' ; que ''cette altercation a perturbé le fonctionnement du service chargé de recevoir les appels du 115 puisque les salariés ont cessé de prendre les communications le temps que les protagonistes soient séparés et que le calme revienne'' ; que ces faits commis en début de service, de violence publique et disproportionnée sur un collègue, ayant bouleversé le personnel présent et provoqué l'interruption du service, commis par une éducatrice spécialisée formée au contact de populations difficiles, et tenue, pour les besoins de cette activité, de demeurer maîtresse de ses propres réactions, étaient de nature à rendre impossible la poursuite du contrat de travail ; qu'en écartant cependant la qualification de faute grave aux motifs inopérants que ce ''comportement de Mme [P] sans aucun doute fautif et parfaitement inadéquat s'inscrit dans le prolongement de l'agression de M. [N]'' et ''qu'il convient de tenir compte du contexte professionnel du pôle 115 qui induit légitimement une certaine tension psychologique'' la cour d'appel, qui n'a pas déduit les conséquences légales de ses propres constatations, a violé les articles L. 1234-1, L. 1234-5 et L. 1234-9 du code du travail ;
2°/ que le juge doit examiner l'intégralité des griefs formulés dans la lettre de licenciement ; qu'en l'espèce, la lettre de licenciement du 12 février 2014 reprochait à Mme [P] le fait d'avoir ''proféré des menaces de mort à l'endroit [de M. [N]]'', ajoutant ''Même si nous avons bien compris que vous n'aviez pas été l'initiatrice du premier acte de violence, nous ne pouvons tolérer que vous menaciez de mort l'un de vos collègues de travail (?)'' ; qu'en déclarant le licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse sans examiner ce grief, lui-même de nature à rendre impossible la poursuite du contrat de travail, la cour d'appel a violé l'article L. 1232-6 du code du travail. »
Réponse de la Cour
5. Ayant constaté que l'ensemble des faits reprochés à la salariée et commis à l'égard d'un collègue de travail s'étaient produits en réaction à l'agression subite et violente dont elle avait été victime de la part de ce dernier, dans un contexte professionnel de tension psychologique et de fréquentes altercations, la cour d'appel a pu retenir que ces faits ne caractérisaient pas une faute grave et, dans l'exercice des pouvoirs qu'elle tient de l'article L. 1235-1 du code du travail, a décidé qu'ils ne pouvaient être une cause réelle et sérieuse de licenciement.
6. Le moyen n'est donc pas fondé.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne l'association Espérer 95 aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette sa demande ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du vingt octobre deux mille vingt et un.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt :
Moyen produit par la SCP Boré, Salve de Bruneton et Mégret, avocat aux Conseils, pour l'association Espérer 95
Il est fait grief à l'arrêt infirmatif attaqué d'AVOIR jugé dépourvu de cause réelle et sérieuse le licenciement de Mme [Q] [P] par l'association Espérer 95 et condamné l'association Espérer 95 à verser à son ancienne salariée diverses sommes à titre d'indemnités de rupture, dommages et intérêts pour licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse, remboursement de frais irrépétibles ;
AUX MOTIFS QUE « Mme [P] soutient que la faute grave qui lui est reprochée est dépourvue de toute réalité et que son licenciement est privé de cause réelle et sérieuse.
Elle fait valoir qu'elle est intervenue dans des conditions parfaitement mesurées au soutien d'une collègue agressée par M. [N] ; que la responsabilité de l'agression qui s'en est suivie incombe entièrement à ce dernier ; que cette agression a été violente et physiquement dommageable pour elle puisqu'elle a été renversée et blessée à la jambe, le tout dans un environnement d'extrême tension psychologique tant pour elle-même que pour les collègues présentes ; que sa réaction de défense et d'exaspération est celle d'une victime, qu'elle est sans proportion aucune avec les violences physiques et morales qu'elle venait d'endurer et qu'elle a été immédiatement consécutive à l'agression qu'elle venait de subir.
Elle estime que l'employeur a fait un mauvais usage de son pouvoir disciplinaire en sanctionnant la victime, c'est-à-dire elle-même, alors qu'il aurait dû la soutenir et la protéger et, en tout état de cause, en la sanctionnant de la même façon qu'il a sanctionné l'agresseur, M. [N], également licencié pour faute grave.
L'association Espérer 95 réplique qu'elle n'a en rien artificiellement découpé l'altercation en deux phases distinctes comme le lui reproche l'appelante ; que de l'aveu-même de Mme [P], celle-ci a reconnu avoir apporté, en frappant son collègue à la tête et par derrière, « une réponse différée » à l'emportement initialement manifesté par M. [N] à son endroit ; que tous les témoins du coup porté par Mme [P] à son collègue rapportent qu'il l'a été après que les protagonistes ont été séparés et alors que la chef de service faisait sortir M. [N] ; que la salariée minimise la violence du coup qu'elle a porté à son collègue ; qu'elle conteste la menace de mort proférée à l'encontre de M. [N] alors que les déclarations de ce dernier en ce sens sont confirmées par l'un des huit témoins de l'altercation ; que tous les témoignages réunis démontrent que cette violente altercation a gravement perturbé le bon fonctionnement du service ; qu'il est faux de prétendre comme le fait l'appelante que seul le comportement de M. [N] a choqué ses collègues et perturbé le fonctionnement du service ; que l'employeur se devait de ne pas laisser cette altercation sans suite ; qu'en procédant au licenciement des deux protagonistes, il s'est positionné sur une question de principe en signifiant aux salariés que les actes de violence verbale et physique entre collègues sont à proscrire au sein de l'association Espérer 95.
QU‘en application de l'article L. 1232-1 du code du travail, tout licenciement pour motif personnel doit être justifié par une cause réelle et sérieuse. La faute grave s'entend d'un fait ou d'un ensemble de faits imputables au salarié qui constituent une violation des obligations résultant du contrat de travail ou des relations de travail, d'une importance telle qu'elle rend impossible le maintien du salarié dans l'entreprise même pendant la durée du préavis.
L'employeur qui invoque la faute grave pour licencier doit en rapporter la preuve.
Le juge apprécie le caractère réel et sérieux des motifs invoqués par l'employeur en formant sa conviction au vu des éléments fournis par les parties.
En l'espèce, les pièces versées aux débats confirment qu'une violente altercation a opposé Mme [P] à son collègue M. [N], sur le lieu et au temps du travail, en la présence d'autres collègues, ce qu'au demeurant les deux protagonistes n'ont aucunement remis en cause.
L'enquête diligentée par l'employeur a permis de recueillir les témoignages de huit salariées présentes lors des faits, qui se sont déclarées choquées par ce qui s'est passé ce jour-là, l'une d'elles indiquant même avoir pleuré sous le coup de l'émotion. Quatre salariées attestent avoir vu Mme [P] porter un coup sur la tête de M. [N] et l'intéressée reconnaît ce geste. Il est indéniable que cette altercation a perturbé le fonctionnement de ce service chargé de recevoir les appels du "115" puisque les salariés ont cessé de prendre les communications le temps que les protagonistes soient séparés et que le calme revienne.
QUE si le comportement de Mme [P] est sans aucun doute fautif et parfaitement inadéquat, la cour retient néanmoins que sa réaction s'inscrit dans le prolongement de l'agression de M. [N] qui a subitement et violemment frappé sur son bureau au point que la salariée, qui était assise derrière son bureau, en a perdu l'équilibre et s'est cogné la jambe. Il convient en outre de tenir compte du contexte professionnel du pôle "115" où était affectée la salariée, ce service ayant vocation à recevoir les appels de personnes en situation de détresse, ce qui induit légitimement une certaine tension psychologique. A cet égard, certains salariés témoignent que les altercations sont fréquentes au 115, que le ton peut rapidement monter.
QU'il résulte de l'ensemble de ces constatations que les faits reprochés à Mme [P] ne sont pas constitutifs d'une faute grave compte tenu du contexte émotionnel dans lequel ils se sont produits, contrairement à ce qu'ont retenu les premiers juges.
QU'aux termes de l'article 33 de la convention collective des établissements et services pour personnes inadaptées et handicapées du 15 mars 1966, applicable à la relation de travail : « Les mesures disciplinaires applicables aux personnels des établissements ou services s'exercent sous les formes suivantes :
- l'observation,
- l'avertissement,
- la mise à pied avec ou sans salaire pour un maximum de trois jours,
- le licenciement.
(...) Sauf en cas de faute grave, il ne pourra y avoir de mesure de licenciement à 1'égard d'un salarié si ce dernier n'a pas fait l'objet précédemment d'au moins deux des sanctions citées ci-dessus prises dans le cadre de la procédure légale. (...) ». En l'espèce, l'employeur justifie avoir notifié le 15 janvier 2014 à Mme [P] une observation de travail au motif du non-respect de son obligation de se soumettre à un contrôle médical dans le cadre du travail.
Toutefois, faute pour l'employeur d'invoquer à l'encontre de la salariée une deuxième des sanctions prévues par l'article 33 susvisé, le licenciement notifié le 12 février 2014, à la suite d'une mise à pied conservatoire de plus de trois jours, apparaît dépourvu de cause réelle et sérieuse. Le jugement entrepris sera donc infirmé » ;
1°) ALORS QUE la faute grave s'entend d'un fait ou d'un ensemble de faits imputable au salarié qui constitue une violation des obligations découlant du contrat de travail d'une importance telle qu'elle rend impossible le maintien du salarié dans l'entreprise ; que présentent ce caractère les violences exercées au temps et lieu du travail par une salariée sur un collègue au cours d'une altercation ayant provoqué l'interruption du service et profondément choqué la dizaine de salariés présents ; qu'en l'espèce, il ressort des propres constatations de la cour d'appel que le 23 janvier 2014, en début de service aux alentours de 9 h 10, Mme [P], éducatrice spécialisée et son collègue M. [N], sur le plateau du Samu social en charge de recevoir les appels du « 115 », ont eu une « violente altercation » au cours de laquelle M. [N] a « subitement et violemment frappé sur son bureau au point que la salariée, qui était assise derrière ce bureau, a perdu l'équilibre et s'est cogné la jambe » ; que « dans le prolongement » de ce geste agressif, Mme [P], à son tour, a « porté un coup sur la tête de M. [N] » ; que « les huit salariées présentes lors des faits?se sont déclarées profondément choquées?l'une d'elles indiquant même avoir pleuré sous le coup de l'émotion » ; que « cette altercation a perturbé le fonctionnement du service chargé de recevoir les appels du 115 puisque les salariés ont cessé de prendre les communications le temps que les protagonistes soient séparés et que le calme revienne » ; que ces faits commis en début de service, de violence publique et disproportionnée sur un collègue, ayant bouleversé le personnel présent et provoqué l'interruption du service, commis par une éducatrice spécialisée formée au contact de populations difficiles, et tenue, pour les besoins de cette activité, de demeurer maîtresse de ses propres réactions, étaient de nature à rendre impossible la poursuite du contrat de travail ; qu'en écartant cependant la qualification de faute grave aux motifs inopérants que ce « comportement de Mme [P]?sans aucun doute fautif et parfaitement inadéquat?s'inscrit dans le prolongement de l'agression de M. [N] » et « qu'il convient de tenir compte du contexte professionnel du pôle 115?qui induit légitimement une certaine tension psychologique » la cour d'appel, qui n'a pas déduit les conséquences légales de ses propres constatations, a violé les articles L. 1234-1, L. 1234-5 et L. 1234-9 du code du travail ;
2°) ALORS en outre et en toute hypothèse QUE le juge doit examiner l'intégralité des griefs formulés dans la lettre de licenciement ; qu'en l'espèce, la lettre de licenciement du 12 février 2014 reprochait à Mme [P] le fait d'avoir « proféré des menaces de mort à l'endroit [de M. [N]] », ajoutant « Même si nous avons bien compris que vous n'aviez pas été l'initiatrice du premier acte de violence, nous ne pouvons tolérer que vous menaciez de mort l'un de vos collègues de travail (?) » ; qu'en déclarant le licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse sans examiner ce grief, lui-même de nature à rendre impossible la poursuite du contrat de travail, la cour d'appel a violé l'article L. 1232-6 du code du travail.