LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :
N° W 21-83.708 F-B
N° 00160
RB5
8 FÉVRIER 2022
REJET
M. SOULARD président,
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 8 FÉVRIER 2022
M. [U] [Y] a formé un pourvoi contre l'arrêt de la cour d'appel de Rennes, 12e chambre, en date du 18 mai 2021, qui, sur renvoi après cassation (Crim., 15 octobre 2019, pourvoi n° 18-85.231), pour homicide involontaire, l'a condamné à deux ans d'emprisonnement avec sursis, 8 000 euros d'amende et deux ans d'interdiction professionnelle, et a prononcé sur les intérêts civils.
Un mémoire a été produit.
Sur le rapport de M. Joly, conseiller référendaire, les observations de la SCP Boré, Salve de Bruneton et Mégret, avocat de M. [U] [Y], et les conclusions de M. Lesclous, avocat général, après débats en l'audience publique du 11 janvier 2022 où étaient présents M. Soulard, président, M. Joly, conseiller rapporteur, Mme Ingall-Montagnier, conseiller de la chambre, et Mme Boudalia, greffier de chambre,
la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée en application de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure ce qui suit.
2. Le 12 septembre 2014, [E] [Z], matelot sur le navire de pêche Isle d'Her, en action de pêche aux nasses dans le sud de Belle-Île, est tombé à la mer, entraîné par un orin relié aux engins de pêche. Un autre matelot, M. [O] [N], a sauté à la mer pour lui porter secours, en vain. Le corps de [E] [Z] n'a pas été retrouvé.
3. L'enquête du bureau d'enquêtes sur les événements de mer et celle de la gendarmerie ont révélé qu'à l'occasion de l'emploi d'une technique nouvelle de pêche aux nasses, peu usitée dans la région, [E] [Z] devait fréquemment traverser la partie du pont encombrée par les filins et les orins et qu'à l'occasion de la mise à l'eau d'une nasse, sa jambe a été prise dans un orin solidaire de cette dernière, qui l'a entraîné à la mer.
4. Le 26 septembre 2016, les juges du premier degré ont condamné M. [Y] pour avoir involontairement causé la mort de [E] [Z] par la violation manifestement délibérée d'une obligation de sécurité ou de prudence dans le cadre du travail, en l'espèce en lui fournissant un poste de travail inadapté à la nouvelle technique de pêche, en ne consignant pas dans le document unique d'évaluation des risques ces nouveaux risques inhérents à la nouvelle méthode de pêche, en ne portant pas à la connaissance de l'équipage ce document unique d'évaluation des risques professionnels et en ne dispensant aucune formation aux nouvelles techniques de travail.
5. M. [Y] a relevé appel de cette décision.
Examen du moyen
Enoncé du moyen
6. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a déclaré M. [Y] coupable d'homicide involontaire, alors « que la personne physique qui n'a pas causé le dommage, mais s'est bornée à créer ou contribuer à créer la situation qui a permis la réalisation du dommage, n'est responsable pénalement que s'il est établi qu'elle a violé de façon manifestement délibérée une obligation particulière de prudence ou de sécurité prévue par la loi ou le règlement ; qu'en imputant à M. [Y], pour le déclarer coupable d'homicide involontaire, la méconnaissance d'obligations de formation, d'information ou de prévention à caractère général imposées à l'ensemble des employeurs par les articles L. 4141-1, L. 4141-2, R. 4121-3, R. 4141-13 et R. 4141-16 du code du travail, la cour d'appel, qui n'a pas caractérisé la violation d'une obligation particulière de prudence ou de sécurité prévue par la loi ou le règlement, a violé les textes susvisés. »
Réponse de la Cour
7. Pour déclarer le prévenu coupable d'homicide involontaire, l'arrêt attaqué énonce que la victime est décédée, dans le cadre de son travail, à l'occasion d'une action de pêche et que sa chute à la mer trouve son origine dans le fait qu'elle était amenée, pour exécuter son travail, à se déplacer sur une partie du pont encombrée de filins et de pattes d'oie, dans un désordre certain et n'avait pas d'autres choix que de se déplacer, au sein de ce poste de travail de mise à l'eau des nasses, avec des obstacles dans les pieds, rendant tout mouvement, pourtant inhérent à la mission à exécuter, porteur de risque, la précaution d'enjamber les orins étant largement insuffisante à assurer la sécurité de son lieu de travail.
8. Les juges ajoutent que l'inadaptation du plan de travail dédié au filage des lignes de nasses, l'insuffisance des moyens précis et sérieux proposés par l'employeur pour remédier au risque de se faire entraîner par des engins de pêche et l'absence totale de formation à la sécurité, dans un contexte très particulier de mise en place d'une nouvelle technique, surexposant les matelots au risque de blessure et de chute en mer, a engendré des conditions d'exercice de travail dangereuses pour la victime, ayant rendu possible sa chute et sa disparition en mer.
9. Ils relèvent, d'une part, que M. [Y], qui avait embarqué quelques jours sur le bateau pour observer la mise en place de la pêche aux nasses, a perçu les difficultés associées à la manipulation d'objets encombrants et lourds et à la présence aux pieds des matelots de filins et orins et n'a pas adapté son bateau à ces contraintes de travail, pourtant étroitement associées à des enjeux de sécurité premiers, d'autre part, que le risque de se faire entraîner par les engins de pêche lors du filage était identifié et qualifié d'élevé par ce dernier dans le document unique de prévention des risques.
10. En l'état de ces seules énonciations, d'où il résulte que M. [Y] a commis une faute caractérisée, évoquée au rapport, exposant autrui à un risque d'une particulière gravité qu'il ne pouvait ignorer, la cour d'appel n'a méconnu aucun des textes visés au moyen.
11. Ainsi, le moyen doit être écarté.
12. Par ailleurs, l'arrêt est régulier en la forme.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi.
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président le huit février deux mille vingt-deux.