LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
SOC.
LG
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 2 mars 2022
Cassation partielle
M. SCHAMBER, conseiller doyen
faisant fonction de président
Arrêt n° 245 F-D
Pourvoi n° R 20-16.033
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 2 MARS 2022
M. [B] [F], domicilié [Adresse 2], a formé le pourvoi n° R 20-16.033 contre l'arrêt rendu le 28 février 2020 par la cour d'appel d'Aix-en-Provence (chambre 4-6), dans le litige l'opposant à la société Ambulances Europe, société à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 1], défenderesse à la cassation.
Le demandeur invoque, à l'appui de son pourvoi, les deux moyens de cassation annexés au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Sornay, conseiller, les observations de la SCP Le Bret-Desaché, avocat de M. [F], de la SAS Cabinet Boulloche, Colin, Stoclet et associés, avocat de la société Ambulances Europe, et laprès débats en l'audience publique du 12 janvier 2022 où étaient présents M. Schamber, conseiller doyen faisant fonction de président, M. Sornay, conseiller rapporteur, M. Rouchayrole, conseiller, et Mme Pontonnier, greffier de chambre,
la chambre sociale de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Aix-en-Provence, 28 février 2020), la société Ambulances Europe a engagé M. [F] en qualité de chauffeur ambulancier à compter du 1er mars 2010, d'abord par plusieurs contrats à durée déterminée de remplacement, puis par contrat à durée indéterminée à compter du 1er janvier 2011.
2. Le salarié a démissionné de son poste avec effet au 29 décembre 2015.
3. Il a saisi le 27 décembre 2017 la juridiction prud'homale.
Examen des moyens
Sur le premier moyen, pris en sa première branche, ci-après annexé
4. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce grief qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Mais, sur le premier moyen, pris en sa deuxième branche
Enoncé du moyen
5. Le salarié fait grief à l'arrêt de dire prescrit tout rappel de salaire antérieur au 1er décembre 2014 et de le débouter du surplus de ses demandes, alors « que le versement de primes ne peut tenir lieu de règlement des heures supplémentaires qui ne donnent pas lieu uniquement à un salaire majoré mais, d'une part, doivent s'exécuter dans le cadre d'un contingent annuel et, d'autre part, ouvrent droit à un repos compensateur ; que le salarié qui n'a pas été en mesure du fait de son employeur de formuler une demande de repos compensateur, a droit à l'indemnisation du préjudice subi, laquelle comporte à la fois le montant de l'indemnité de repos compensateur et le montant de l'indemnité de congés payés afférents ; que de même, le versement de primes ne peut tenir lieu de règlement des heures de travail accomplies lors des gardes de nuit, des samedi et dimanche tels que prévus à l'article 3 de l'accord-cadre du 4 mai 2000 relatif à l'aménagement et la réduction du temps de travail des personnels des entreprises de transport sanitaire ; qu'en l'espèce, dans ses dernières conclusions d'appel, M. [F] avait fait valoir qu'il ne lui avait été alloué ni heures supplémentaires, ni repos compensateur, ni heures de travail pour les prestations effectuées de nuit et les samedi, dimanche et jour férié mais uniquement une prime de disponibilité et une prime ''centre 15'' ; qu'en refusant dès lors de faire droit au rappel de salaires de M. [F] pour l'année 2015 aux motifs inopérants que l'ensemble des sommes versées par l'employeur au cours de l'année 2015 correspondait à du temps de travail effectif, y compris sous les intitulés ''prime centre 15'' et ''prime de disponibilité'' que le salarié avait intégré en tant que tel dans son décompte, la cour d'appel a violé l'article L. 3121-22 du code du travail, en sa rédaction alors applicable et l'article 3 de l'accord cadre du 4 mai 2000 susvisé. »
Réponse de la Cour
Vu l'article L. 3121-22 du code du travail, dans sa rédaction antérieure à la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016 :
6. Aux termes de ce texte, les heures supplémentaires accomplies au-delà de la durée légale hebdomadaire fixée par l'article L. 3121-10, ou de la durée considérée comme équivalente, donnent lieu à une majoration de salaire de 25 % pour chacune des huit premières heures supplémentaires. Les heures suivantes donnent lieu à une majoration de 50 %. Une convention ou un accord de branche étendu ou une convention ou un accord d'entreprise ou d'établissement peut prévoir un taux de majoration différent. Ce taux ne peut être inférieur à 10 %.
7. Le versement de primes ne peut tenir lieu de paiement d'heures supplémentaires, qui ne donnent pas lieu uniquement à un salaire majoré mais, d'une part, doivent s'exécuter dans le cadre d'un contingent annuel et, d'autre part, ouvrent droit à un repos compensateur.
8. Pour débouter le salarié de sa demande en paiement d'une certaine somme à titre de rappel de salaires notamment pour heures supplémentaires, l'arrêt retient qu'au vu des éléments apportés de part et d'autre, dont l'ensemble des sommes versées par l'employeur au cours de l'année 2015 correspondant à du temps de travail effectif, y compris sous les intitulés ''prime centre 15'' et ''prime de disponibilité'' que le salarié intègre en tant que telles dans son décompte, aucun rappel de salaire n'est dû en application de l'accord-cadre du 4 mai 2000 sur l'aménagement et la réduction du temps de travail des personnels des entreprises de transport sanitaire au titre d'un temps de travail effectif accompli au cours de l'année 2015.
9. En statuant ainsi, alors qu'elle avait constaté que les heures supplémentaires n'avaient pas été payées en tant que telles, la cour d'appel a violé le texte susvisé.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :
CASSE ET ANNULE, sauf en ce qu'il rejette le moyen d'irrecevabilité soulevée par la société Ambulances Europe, dit prescrite la demande de requalification des contrats à durée déterminée en contrat à durée indéterminée et dit prescrit tout rappel de salaire antérieur au 1er décembre 2014, l'arrêt rendu le 28 février 2020, entre les parties, par la cour d'appel d'Aix-en-Provence ;
Remet, sauf sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel d'Aix-en-Provence, autrement composée ;
Condamne la société Ambulances Europe aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société Ambulances Europe et la condamne à payer à M. [F] la somme de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du deux mars deux mille vingt-deux.
MOYENS ANNEXES au présent arrêt :
Moyens produits par la SCP Le Bret-Desaché, avocat aux Conseils, pour M. [F]
PREMIER MOYEN DE CASSATION :
IL EST FAIT GRIEF A l'arrêt attaqué d'avoir dit prescrit tout rappel de salaire antérieur au 1er décembre 2014 et d'avoir débouté M. [F] du surplus de ses demandes.
AU MOTIF QUE Sur les rappels de salaire : En application de l'article L. 3245-1 du code du travail, dans sa version applicable au litige, le délai de prescription des salaires de trois ans devant courir à compter de la date à laquelle la créance salariale est devenue exigible, soit, pour les salariés payés au mois, la date d'exigibilité du salaire correspond à la date habituelle du paiement des salaires en vigueur dans l'entreprise, soit en l'espèce le dernier jour du mois, tout rappel de salaire antérieur au 1er décembre 2014 est prescrit. Au moyen d'un tableau détaillant précisément les horaires accomplis les jours travaillés semaine civile par semaine civile au cours de l'année 2015, seule période non prescrite concernée par la demande, le salarié étaye à suffisance sa demande de rappel de salaire en application des dispositions de l'article L. 3171-4 du code du travail. L'employeur réplique en indiquant que le salarié décompte du travail effectif sans prendre en considération le temps d'équivalence tel qu'il doit s'appliquer en vertu de l'accord-cadre du 4 mai 2000 sur l'aménagement et la réduction du temps de travail des personnels des entreprises de transport sanitaire, produisant son propre décompte pour intégrer les temps d'équivalence correspondant aux services de permanence et en dehors de ceux-ci, ce dont il se déduirait l'absence de tout reliquat de salaire. Or, le temps de travail effectif après application des temps d'équivalence tels qu'ils sont prévus par l'accord-cadre pour les personnels ambulanciers roulants, doit être décompté sur la base du cumul hebdomadaire des amplitudes journalières d'activité affectées du coefficient de minoration correspondant, sans qu'il n'y ait lieu, pour calculer la durée de travail hebdomadaire, de distinguer, au sein de cette amplitude, les heures accomplies dans le cadre de la durée légale et celles effectuées au-delà, qui se voient toutes appliquer le coefficient de minoration. Ainsi prises en compte, les heures supplémentaires accomplies au-delà de la durée considérée comme équivalente donnent lieu à majoration de salaire égale à 25 % pour chacune des huit premières heures supplémentaires, et à 50 % pour les heures suivantes. Au vu des éléments apportés de part et d'autre, dont l'ensemble des sommes versées par l'employeur au cours de l'année 2015 correspondant à du temps de travail effectif, y compris sous les intitulés « prime centre 15 » et « prime de disponibilité » que le salarié intègre en tant que tel dans son décompte, aucun rappel de salaire n'est dû en application de l'accord-cadre susvisé au titre d'un temps de travail effectif accompli au cours de l'année 2015, dimanches et jours fériés inclus. Le salarié sera donc débouté de sa demande en paiement d'un rappel de salaire qu'il limitait pour l'année 2015, suivant le tableau auquel il fait expressément référence, à la somme de 276,77 euros bruts.
1°) ALORS QUE D'UNE PART aux termes de l'article L. 3245-1 du code du travail dans sa rédaction issue de la loi n° 2013-504 du 14 juin 2013, l'action en paiement ou en répétition du salaire se prescrit par trois ans à compter du jour où celui qui l'exerce a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer, que la demande peut porter sur les sommes dues au titre des trois dernières années à compter de ce jour ou, lorsque le contrat de travail est rompu, sur les sommes dues au titre des trois années précédant la rupture du contrat ; que selon l'article 21 V de la loi du 14 juin 2013, les dispositions du nouvel article L. 3245-1 du code du travail s'appliquent aux prescriptions en cours à compter du 16 juin 2013, sans que la durée totale de la prescription puisse excéder la durée prévue par la loi antérieure, soit cinq ans ; qu'il résulte des articles L. 3242-1 et L. 3141-22 du code du travail que le délai de prescription des salaires court à compter de la date à laquelle la créance salariale est devenue exigible, que pour les salariés payés au mois, la date d'exigibilité du salaire correspond à la date habituelle du paiement des salaires en vigueur dans l'entreprise et concerne l'intégralité du salaire afférent au mois considéré ; qu'en l'espèce, il résulte des propres constatations de la cour que l'action en rappel de salaires qui concernait la période du 29 décembre 2012 au 29 décembre 2015, date de la démission de M. [F], a donné lieu à la saisine du conseil de Prud'hommes le 27 décembre 2017, soit moins de 5 ans après l'exigibilité des sommes réclamées ; qu'en déclarant néanmoins prescrit tout rappel de salaire antérieur au 1er décembre 2014, la cour d'appel a violé les textes susvisés ;
2°) ALORS QUE le versement de primes ne peut tenir lieu de règlement des heures supplémentaires qui ne donnent pas lieu uniquement à un salaire majoré mais, d'une part, doivent s'exécuter dans le cadre d'un contingent annuel et, d'autre part, ouvrent droit à un repos compensateur ; que le salarié qui n'a pas été en mesure du fait de son employeur de formuler une demande de repos compensateur, a droit à l'indemnisation du préjudice subi, laquelle comporte à la fois le montant de l'indemnité de repos compensateur et le montant de l'indemnité de congés payés afférents ; que de même, le versement de primes ne peut tenir lieu de règlement des heures de travail accomplies lors des gardes de nuit, des samedis et dimanche tels que prévus à l'article 3 de l'accord-cadre du 4 mai 2000 relatif à l'aménagement et la réduction du temps de travail des personnels des entreprises de transport sanitaire ; qu'en l'espèce, dans ses dernières conclusions d'appel (p 17 et s), M. [F] avait fait valoir qu'il ne lui avait été alloué ni heures supplémentaires, ni repos compensateur, ni heures de travail pour les prestations effectuées de nuit et les samedis, dimanche et jour férié mais uniquement une prime de disponibilité et une prime centre 15 ; qu'en refusant dès lors de faire droit au rappel de salaires de M. [F] pour l'année 2015 aux motifs inopérants que l'ensemble des sommes versées par l'employeur au cours de l'année 2015 correspondait à du temps de travail effectif, y compris sous les intitulés « prime centre 15 » et prime de disponibilité » que le salarié avait intégré en tant que tel dans son décompte, la cour d'appel a violé l'article L. 3121-22 du code du travail, en sa rédaction alors applicable et l'article 3 de l'accord cadre du 4 mai 2000 susvisé ;
3°) ALORS QUE en tout état de cause, selon l'article 3.1 b) de l'accord-cadre du 4 mai 2000 relatif à l'aménagement et la réduction du temps de travail des personnels des entreprises de transport sanitaire, la rémunération des personnels ambulanciers roulants correspond à la durée du travail effectif telle que décomptée à l'article 3.1 a) et à l'indemnisation des autres périodes comprises dans l'amplitude ; qu'en cas d'application d'un régime d'équivalence, il appartient au juge, saisi d'une demande de rappel de salaire pour heures supplémentaires et de rappel de salaires, de vérifier que les heures supplémentaires et les heures de travail correspondant à des heures de travail de nuit, des samedis et dimanches tiennent compte des coefficients de minoration prévues par le régime d'équivalence ; qu'en se bornant à énoncer que l'ensemble des sommes versées par l'employeur au cours de l'année 2015 correspondant à du temps de travail effectif, y compris sous les intitulés « prime centre 15 » et « prime de disponibilité » sans vérifier si les calculs étaient conformes aux dispositions de l'accord-cadre susvisé, la cour d'appel n'a pas mis la Cour de cassation en mesure d'exercer son contrôle au regard des articles 3 de l'accord collectif précité et L. 3171-4 et L. 3121-22 du code du travail, en leur rédaction alors applicable du code du travail.
SECOND MOYEN DE CASSATION :
IL EST FAIT GRIEF A l'arrêt infirmatif attaqué d'avoir débouté M. [B] [F] du surplus de ses demandes notamment celle relative au travail dissimulé.
AU MOTIF QUE le comportement ostensible et habituel de l'employeur, fut-il fautif, qui a consisté à se dispenser d'une gestion rigoureuse de la paie qu'une application conforme de l'accord-cadre exigeait tout particulièrement, en imaginant pouvoir payer sous forme de primes aux intitulés explicites "de disponibilité" et "centre 15'', toutefois, en l'espèce, entièrement déclarées et en dehors de tout bénéfice identifié notamment en terme de gain de cotisations ou contributions sociales, ce qui en définitive devait être détaillé sur les bulletins de paie sous forme de nombres d'heures de travail et majorations pour heures supplémentaires en appliquant des temps d'équivalence, ne suffit pas à caractériser une réelle intention de dissimuler de l'emploi en application de l'article L. 8221-5 du code du travail. Le jugement entrepris sera donc également infirmé en ce qu'il condamne l'employeur au paiement de l'indemnité forfaitaire prévue par l'article L. 8223-1 du code du travail ;
ALORS QUE la dissimulation d'emploi salarié prévue par l'article L. 8221-5 du code du travail est caractérisée lorsque l'employeur a, de manière intentionnelle, mentionné sur le bulletin de paie un nombre d'heures de travail inférieur à celui réellement effectué ; que le versement de primes ne peut tenir lieu de règlement des heures supplémentaires qui ne donnent pas lieu uniquement à un salaire majoré mais, d'une part, doivent s'exécuter dans le cadre d'un contingent annuel et, d'autre part, ouvrent droit à un repos compensateur ; que constitue donc l'élément matériel du travail dissimulé le fait que les heures supplémentaires ou encore des heures accomplies lors des gardes de nuit, des samedis et dimanche aient été mentionnées comme prime sur les bulletins de salaires, peu important que le montant des primes correspondent aux nombres des heures de travail et majoration pour heures supplémentaires ; qu'en l'espèce, il résulte des propres constatations de la cour que de manière ostensible et habituelle, l'employeur avait imaginé pouvoir payer sous forme de primes aux intitulés explicites de « disponibilité » et « centre 15 » des heures de travail (accomplies lors des heures de nuit, des samedis, dimanches et jours fériés) et des heures supplémentaires en appliquant des temps d'équivalence ; qu'en estimant que le comportement de l'employeur qu'elle a pourtant qualifié d'ostensible et d'habituel ne suffisait pas à caractériser une réelle intention de dissimuler de l'emploi, la cour d'appel a violé l'article L. 8221-5 du code du travail.