LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
COMM.
DB
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 6 juillet 2022
Cassation partielle
M. MOLLARD, conseiller doyen
faisant fonction de président
Arrêt n° 440 F-D
Pourvoi n° G 21-15.961
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIÈRE ET ÉCONOMIQUE, DU 6 JUILLET 2022
La société Le Crédit lyonnais (LCL), société anonyme, dont le siège est [Adresse 1], a formé le pourvoi n° G 21-15.961 contre l'arrêt rendu le 28 janvier 2021 par la cour d'appel de Douai (chambre 2, section 2), dans le litige l'opposant à M. [F] [S], domicilié [Adresse 2], défendeur à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Graff-Daudret, conseiller, les observations de la SARL Matuchansky, Poupot et Valdelièvre, avocat de la société Le Crédit lyonnais, de la SCP Fabiani, Luc-Thaler et Pinatel, avocat de M. [S], après débats en l'audience publique du 24 mai 2022 où étaient présents M. Mollard, conseiller doyen faisant fonction de président, Mme Graff-Daudret, conseiller rapporteur, M. Ponsot, conseiller, et Mme Fornarelli, greffier de chambre,
la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Douai, 28 janvier 2021), par un acte du 16 août 2010, la société Le Crédit lyonnais (la banque) a consenti à la société FM cuisines et bains (la société) un prêt, garanti par le cautionnement de M. [S] dans la limite de la somme de 239 200 euros.
2. La société ayant été mise en liquidation judiciaire, la banque a assigné en paiement la caution, qui lui a opposé un manquement à son obligation de mise en garde.
3. La cour d'appel a retenu ce manquement et condamné la banque à payer à la caution la somme de 23 920 euros.
Examen du moyen
Sur le moyen, pris en sa première branche
Enoncé du moyen
4. La banque fait grief à l'arrêt de la condamner à payer à M. [S] la somme de 23 920 euros à titre de dommages-intérêts pour manquement au devoir de mise en garde, alors « que le cautionnement ne peut excéder ce qui est dû par le débiteur principal ; qu'il suit de là que, dans le cas où la caution est reconnue victime de la perte d'une chance de ne pas souscrire son engagement, le préjudice résultant de cette perte de chance ne saurait avoir une assiette supérieure à ce qui est dû par le débiteur principal au jour de la mise en oeuvre du cautionnement ; qu'il résulte des constatations des juges du fond qu'au jour de la mise en oeuvre du cautionnement souscrit par M. [S], la dette de la société FM cuisines et bains au titre du prêt garanti s'élevait à la somme principale de 46 819,93 euros, avec intérêts au
taux de 5,80 % à compter du 11 janvier 2016 et outre une clause pénale réduite à 100 euros ; que la cour d'appel, après avoir fixé à 10 % la perte de chance de ne pas contracter subie par la caution du fait d'un manquement de la banque à l'obligation de mise en garde, n'a toutefois pas appliqué ce taux à la somme susdite de 46 819,93 euros augmentée des intérêts et de la clause pénale, mais à la somme de 239 200 euros à hauteur de laquelle la caution s'était engagée ; qu'en retenant ainsi une assiette supérieure à ce qui restait dû par la débitrice principale, pour calculer le montant du préjudice de perte de chance subi par la caution, la cour d'appel a violé les articles 1147, devenu 1231-1, 2288 et 2290 du code civil. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 1147 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 10 février 2016, et le principe de la réparation intégrale du préjudice :
5. Il résulte de ce texte et de ce principe que la réparation d'une perte de chance doit être mesurée à la chance perdue et ne peut être égale à l'avantage qu'aurait procuré cette chance si elle s'était réalisée.
6. Pour fixer le montant des dommages-intérêts dus en réparation du préjudice subi par M. [S], en raison du manquement de la banque à son obligation de mise en garde de la caution, à la somme de 23 920 euros, l'arrêt retient que la perte de chance de ne pas souscrire le cautionnement litigieux peut être raisonnablement estimée à 10 %.
7. En statuant ainsi, en fixant le montant des dommages-intérêts dus par la banque à 10 % de la somme de 239 200 euros à hauteur de laquelle la caution s'était engagée, et non à 10 % du montant au paiement duquel la caution était condamnée au titre de son engagement, la cour d'appel a violé le texte susvisé.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur l'autre grief, la Cour :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il condamne la société Le Crédit lyonnais à payer à M. [S] la somme de 23 920 euros à titre de dommages et intérêts pour manquement à son devoir de mise en garde, l'arrêt rendu le 28 janvier 2021, entre les parties, par la cour d'appel de Douai ;
Remet, sur ce point, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Douai, autrement composée ;
Condamne M. [S] aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par M. [S] et le condamne à payer à la société Le Crédit lyonnais la somme de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du six juillet deux mille vingt-deux.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt :
Moyen produit par la SARL Matuchansky, Poupot et Valdelièvre, avocat aux Conseils, pour la société Le Crédit lyonnais (LCL).
Le Crédit lyonnais fait grief à l'arrêt attaqué, infirmatif de ce chef, de l'avoir condamné à payer à M. [S] la somme de 23 920 euros à titre de dommages-intérêts pour manquement au devoir de mise en garde ;
1) Alors que le cautionnement ne peut excéder ce qui est dû par le débiteur principal ; qu'il suit de là que, dans le cas où la caution est reconnue victime de la perte d'une chance de ne pas souscrire son engagement, le préjudice résultant de cette perte de chance ne saurait avoir une assiette supérieure à ce qui est dû par le débiteur principal au jour de la mise en oeuvre du cautionnement ; qu'il résulte des constatations des juges du fond qu'au jour de la mise en oeuvre du cautionnement souscrit par M. [S], la dette de la société FM cuisines et bains au titre du prêt garanti s'élevait à la somme principale de 46 819,93 euros, avec intérêts au taux de 5,80 % à compter du 11 janvier 2016 et outre une clause pénale réduite à 100 euros (arrêt attaqué, p. 2, § 6, p. 8, § 7 ; jugement entrepris, motifs réputés adoptés, p. 6, §§ 4 à 9) ; que la cour d'appel, après avoir fixé à 10 % la perte de chance de ne pas contracter subie par la caution du fait d'un manquement de la banque à l'obligation de mise en garde, n'a toutefois pas appliqué ce taux à la somme susdite de 46 819,93 euros augmentée des intérêts et de la clause pénale, mais à la somme de 239 200 euros à hauteur de laquelle la caution s'était engagée ; qu'en retenant ainsi une assiette supérieure à ce qui restait dû par la débitrice principale, pour calculer le montant du préjudice de perte de chance subi par la caution, la cour d'appel a violé les articles 1147, devenu 1231-1, 2288 et 2290 du code civil ;
2) Alors que la réparation du préjudice doit être intégrale, sans perte ni profit pour la victime ; que la caution a été condamnée à payer, en exécution de son engagement, la somme de 46 819,93 euros, avec intérêts au taux de 5,80 % à compter du 11 janvier 2016 et outre une clause pénale réduite à 100 euros ; que la cour d'appel, après avoir fixé à 10 % la perte de chance de ne pas contracter subie par la caution du fait d'un manquement de la banque à l'obligation de mise en garde, n'a toutefois pas appliqué ce taux au montant de la condamnation prononcée contre la caution, mais à la somme de 239 200 euros à hauteur de laquelle la caution s'était engagée ; qu'en retenant ainsi une assiette supérieure à ce à quoi la caution était condamnée, pour calculer le préjudice de perte de chance subi par cette dernière, la cour d'appel a violé le principe de la réparation intégrale, ensemble les articles 1147, devenu 1231-1, et 2288 du code civil.