LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
COMM.
DB
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 16 novembre 2022
Cassation
Mme DARBOIS, conseiller doyen
faisant fonction de président
Arrêt n° 670 F-D
Pourvoi n° Q 21-18.704
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIÈRE ET ÉCONOMIQUE, DU 16 NOVEMBRE 2022
1°/ la société Les Jeunes pousses, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 1],
2°/ la société Bumble Bees, société à responsabilité limitée,
3°/ la société Butterflies, société à responsabilité limitée,
4°/ la société Ladybirds, société à responsabilité limitée,
ayant toutes les trois leur siège [Adresse 3]
ont formé le pourvoi n° Q 21-18.704 contre l'arrêt rendu le 17 juin 2021 par la cour d'appel de Caen (2e chambre civile et commerciale), dans le litige les opposant à la société Pim Pam Pomme Bourguébus, société à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 2], défenderesse à la cassation.
Les demanderesses invoquent, à l'appui de leur pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Blanc, conseiller référendaire, les observations de la SARL Meier-Bourdeau, Lécuyer et associés, avocat des sociétés Les Jeunes pousses, Bumble Bees, Butterflies, Ladybirds, de la SCP Didier et Pinet, avocat de la société Pim Pam Pomme Bourguébus, et l'avis de M. Debacq, avocat général, après débats en l'audience publique du 27 septembre 2022 où étaient présents Mme Darbois, conseiller doyen faisant fonction de président, M. Blanc, conseiller référendaire rapporteur, Mme Champalaune, conseiller, et Mme Labat, greffier de chambre,
la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Caen, 17 juin 2021), reprochant aux sociétés Les Jeunes pousses, Bumble Bees, Butterflies et Ladybirds une concurrence déloyale née de l'exploitation de micro-crèches en méconnaissance de la réglementation applicable à ces établissements, la société Pim Pam Pomme Bourguébus (la société Pim Pam Pomme), qui exploite une crèche d'entreprise, les a assignées en réparation du préjudice pris de la perte de clientèle, notamment celle de la société Sofi Ifs.
Examen du moyen
Sur le moyen, pris en sa première branche
Enoncé du moyen
2. Les sociétés Les Jeunes pousses, Bumble Bees, Butterflies et Ladybirds font grief à l'arrêt de les condamner à payer à la société Pim Pam Pomme la somme de 100 000 euros à titre de dommages et intérêts, alors « que ne caractérise pas un acte de concurrence déloyale générateur d'un trouble commercial réparable l'activité économique exercée dans des conditions conformes à la réglementation en vigueur ; qu'il résulte des énonciations de l'arrêt attaqué, d'une part, que la société Les Jeunes pousses avait reçu l'autorisation par l'administration d'ouvrir trois structures gérées par une seule personne et situées à proximité les unes des autres, sous le régime de la micro-crèche et, d'autre part, que ces micro-crèches "fonctionnent conformément aux dispositions du code de la santé publique" ; que pour retenir pourtant que la société Les Jeunes pousses et ses filiales exerçaient une concurrence déloyale à l'égard de la crèche exploitée par la société Pim Pam Pomme dans la ville voisine, la cour d'appel énonce qu'elle "a scindé artificiellement son activité alors qu'elle exploite en réalité un établissement d'accueil de 30 enfants", que "les trois micro-crèches sont exploitées dans les mêmes locaux avec le même personnel, les fonctions de référent technique et de directeur de chacune des structures étant exercées par une seule personne, un numéro de téléphone et une adresse uniques et qu'elles fonctionnent de façon identique s'agissant des horaires et des tarifs" de sorte qu'elle a "ainsi éludé l'application des dispositions du code de la santé publique applicable aux établissements accueillant plus de dix enfants" ; qu'en se prononçant ainsi, sans préciser si les conditions ainsi relevées dans lesquelles les micro-crèches étaient exploitées n'étaient pas conformes aux autorisations que la société Les Jeunes Pousses avaient reçues pour l'exploitation applicable à ce type d'établissements, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1240, ancien article 1382, du code civil. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 1382, devenu 1240, du code civil :
3. Aux termes de ce texte, tout fait quelconque de l'homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer.
4. Pour condamner les sociétés Les Jeunes pousses, Bumble Bees, Butterflies et Ladybirds à payer à la société Pim Pam Pomme une certaine somme à titre de dommages et intérêts, l'arrêt retient d'abord que les micro-crèches ont reçu l'ensemble des autorisations administratives nécessaires et que l'implantation de plusieurs micro-crèches gérées par un même gestionnaire à proximité les unes des autres a été validée par le conseil général. Il retient ensuite, toutefois, qu'en ouvrant trois établissements de dix places, la société Les Jeunes pousses a scindé artificiellement son activité cependant qu'elle exploite en réalité un établissement d'accueil de trente enfants, dans la mesure où les trois micro-crèches sont exploitées dans les mêmes locaux, avec le même personnel, les fonctions de référent technique et de directeur de chacune des structures étant exercées par une seule personne, avec un numéro de téléphone et une adresse uniques, et selon un fonctionnement identique s'agissant des horaires et des tarifs. Il en déduit qu'en ouvrant trois micro-crèches dans un bâtiment unique, la société Les Jeunes pousses a éludé l'application des dispositions du code de la santé publique applicables aux établissements accueillant plus de dix enfants, ce qui a conduit à réduire son coût de fonctionnement s'agissant notamment du nombre et de la qualification du personnel.
5. En se déterminant ainsi, sans préciser en quoi les conditions dans lesquelles les micro-crèches étaient exploitées étaient fautives en dépit des autorisations administratives qui leur avaient été délivrées, la cour d'appel a privé sa décision de base légale.
Sur le moyen, pris en sa quatrième branche
Enoncé du moyen
6. Les sociétés Les Jeunes pousses, Bumble Bees, Butterflies et Ladybirds font le même grief à l'arrêt, alors « que le juge est tenu de respecter et faire respecter le principe de la contradiction ; que, pour évaluer le montant des dommages-intérêts, l'arrêt retient que le préjudice de la société Pim Pam Pomme en conséquence de l'avantage concurrentiel indu qu'elle imputait à la société Les Jeunes pousses et ses filiales s'analyserait en une perte de chance de poursuivre les relations commerciales avec la société Sofi Ifs, quand il n'était pas soutenu que le préjudice subi consistait en une perte de chance, la cour d'appel qui a relevé d'office le moyen tiré de l'existence d'un tel préjudice, sans inviter préalablement les parties à présenter leurs observations, a violé l'article 16 du code de procédure civile. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 16 du code de procédure civile :
7. Aux termes de ce texte, le juge doit, en toutes circonstances, faire observer et observer lui-même le principe de la contradiction.
8. Pour statuer comme il fait, après avoir retenu qu'en exploitant trois micro-crèches en contournant la réglementation applicable, les sociétés Les Jeunes pousses, Bumble Bees, Butterflies et Ladybirds avaient commis des actes de concurrence déloyale et que la perte par la société Pim Pam Pomme d'un de ses clients, la société Sofi Ifs, était directement liée à ces agissements, l'arrêt retient encore que le préjudice en résultant consiste en la perte d'une chance pour la société Pim Pam Pomme de poursuivre ses relations commerciales avec ce client.
9. En statuant ainsi, sans avoir au préalable invité les parties à présenter leurs observations sur le moyen qu'elle relevait d'office, tiré de ce que le préjudice subi par la société Pim Pam Pomme s'analysait en la perte d'une chance, la cour d'appel a violé le texte susvisé.
Et sur le moyen, pris en sa sixième branche
Enoncé du moyen
10. Les sociétés Les Jeunes pousses, Bumble Bees, Butterflies et Ladybirds font encore le même grief à l'arrêt, alors « qu'en affirmant enfin que la société Sofi Ifs se serait "nécessairement" vu offrir par la société Les Jeunes pousses des conditions financières plus avantageuses que celles proposées par la société Pim Pam Pomme, ce qui n'était ni allégué ni établi, la cour d'appel a statué par un motif purement affirmatif et violé l'article 455 du code de procédure civile. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 455 du code de procédure civile :
11. Selon ce texte, tout jugement doit être motivé.
12. Pour statuer comme il fait, l'arrêt retient encore que la société Sofi Ifs s'est nécessairement vu offrir par les sociétés exploitant les micro-crèches des conditions financières plus avantageuses que celles proposées par la société Pim Pam Pomme.
13. En statuant ainsi, par une simple affirmation ne constituant pas une motivation permettant à la Cour de cassation d'exercer son contrôle, la cour d'appel a méconnu les exigences du texte susvisé.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :
CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 17 juin 2021, entre les parties, par la cour d'appel de Caen ;
Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Rouen ;
Condamne la société Pim Pam Pomme Bourguébus aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société Pim Pam Pomme Bourguébus et la condamne à payer aux sociétés Les Jeunes pousses, Bumble Bees, Butterflies et Ladybirds la somme globale de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du seize novembre deux mille vingt-deux.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt :
Moyen produit par la SARL Meier-Bourdeau, Lécuyer et associés, avocat aux Conseils, pour les sociétés Les Jeunes pousses, Bumble Bees, Butterflies et Ladybirds.
Les sociétés Les Jeunes Pousses, Bumble Bees, Butterflies et Ladybirds font grief à l'arrêt infirmatif attaqué de les condamner à payer à la société Pim Pam Pomme la somme de 100 000 euros à titre de dommages-intérêts alors :
1°) que ne caractérise pas un acte de concurrence déloyale générateur d'un trouble commercial réparable l'activité économique exercée dans des conditions conformes à la réglementation en vigueur ; qu'il résulte des énonciations de l'arrêt attaqué, d'une part, que la société Les Jeunes Pousses avait reçu l'autorisation par l'administration d'ouvrir trois structures gérées par une seule personne et situées à proximité les unes des autres, sous le régime de la micro-crèche et, d'autre part, que ces micro-crèches « fonctionnent conformément aux dispositions du code de la santé publique » (arrêt p. 4 § 11 et §12) ; que pour retenir pourtant que la société Les Jeunes Pousses et ses filiales exerçaient une concurrence déloyale à l'égard de la crèche exploitée par la société PimPamPom dans la ville voisine, la cour d'appel énonce qu'elle « a scindé artificiellement son activité alors qu'elle exploite en réalité un établissement d'accueil de 30 enfants », que « les trois micro-crèches sont exploitées dans les mêmes locaux avec le même personnel, les fonctions de référent technique et de directeur de chacune des structures étant exercées par une seule personne, un numéro de téléphone et une adresse uniques et qu'elles fonctionnent de façon identique s'agissant des horaires et des tarifs » de sorte qu'elle a « ainsi éludé l'application des dispositions du code de la santé public applicable aux établissements accueillant plus de dix enfants » (arrêt attaqué, p.5, §§ 8-10) ; qu'en se prononçant ainsi, sans préciser si les conditions ainsi relevées dans lesquelles les micro-crèches étaient exploitées n'étaient pas conformes aux autorisations que la société Les Jeunes Pousses avaient reçues pour l'exploitation applicable à ce type d'établissements, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1240, ancien article 1382, du code civil ;
2°) qu'en affirmant d'un côté que les micro-crèches ouvertes par la société Les Jeunes Pousses « fonctionnent conformément aux dispositions du code de la santé publique » (arrêt p. 4 § 11), tout en relevant de l'autre qu'« en ouvrant trois micro-crèches dans un bâtiment unique, la société Les Jeunes Pousses a ainsi éludé l'application des dispositions du code de la santé public applicable aux établissements accueillant plus de dix enfants » (arrêt attaqué, p.5, § 10) , la cour d'appel s'est contredite en violation de l'article 455 du code de procédure civile ;
3°) qu'en soulignant que « la communication effectuée par les sociétés intimées dans la presse locale tend à présenter les trois micro-crèches comme un établissement unique » pour considérer qu'elles auraient « ainsi éludé l'application des dispositions du code de la santé public applicable aux établissements accueillant plus de dix enfants » (arrêt attaqué, p.5, § 10), la cour d'appel s'est prononcée par un motif inopérant en violation de l'article 455 du code de procédure civile ;
4°) que, subsidiairement, le juge est tenu de respecter et faire respecter le principe de la contradiction ; que, pour évaluer le montant des dommages-intérêts, l'arrêt - 3 – retient que le préjudice de la société Pim Pam Pomme en conséquence de l'avantage concurrentiel indu qu'elle imputait à la société Les Jeunes Pousses et ses filiales s'analyserait en une perte de chance de poursuivre les relations commerciales avec la société Sofi Ifs, quand il n'était pas soutenu que le préjudice subi consistait en une perte de chance, la cour d'appel qui a relevé d'office le moyen tiré de l'existence d'un tel préjudice, sans inviter préalablement les parties à présenter leurs observations, a violé l'article 16 du code de procédure civile ;
5°) que, en toute hypothèse, pour donner lieu à réparation, la perte de chance doit être imputable à l'auteur de la faute alléguée ; que la cour d'appel a constaté que le président de la société Sofi Ifs motivait sa décision de résilier le contrat de réservation passé avec la société Pim Pam Pomme par la baisse de la natalité qui le conduisait à revoir tous les contrats de service de crèche et par un mécontentement personnel à l'égard de la conduite de ses affaires par la société Pim Pam Pomme puisqu'il écrivait « Mon entreprise comme beaucoup d'entreprises vit des cycles. Nous avons un taux de natalité en baisse. Nous avons déjà réduit chez vos confrères et l'arrêt aussi chez vos collègues [V]. Concernant nos berceaux chez les jeunes pousses, ils sont également en baisse. Concernant mon mécontentement, il me semble difficile de continuer avec vous vu l'assignation que vous portez contre les jeunes pousses ! La concurrence nous fait grandir normalement ! Vous considérez les micro-crèches comme une concurrence déloyale sauf que c'est justement le "model" qui restera le plus valable dans les années à venir vu la baisse des dotations que la CAF perçoit et percevra. Une bonne partie de vos investissements furent subventionnés. Sachez que les milliards d'euros distribués à la CAF vont être distribués avec plus de vigilance dorénavant. C'est une cousine qui est en charge du dossier pour 5 ans. Je ne manquerai pas lors d'un déjeuner sur [Localité 4], de lui faire savoir l'assignation que vous portez contre les jeunes pousses dans lequel je suis actionnaire à titre personnel » ; qu'en mettant pourtant à la charge de la société Les Jeunes Pousses et ses filiales la réparation de la perte de chance de la société Pim Pam Pomme de poursuivre les relations commerciales avec la société Sofi Ifs, quand il résultait de ses constatations que la décision de cette dernière était due à l'évolution des besoins de la société Sofi Ifs et à un jugement personnel de son dirigeant à l'égard de l'attitude de la société Pim Pam Pomme mais non aux conditions, prétendument déloyales, dans lesquelles les établissements concurrents étaient exploités, la cour d'appel a violé l'article 1241, ancien 1382, du code civil ;
6°) Qu'en affirmant enfin que la société Sofi Ifs se serait « nécessairement » vu offrir par la société Les Jeunes Pousses des conditions financières plus avantageuses que celles proposées par la société Pim Pam Pomme (arrêt p. 7 al. 3), ce qui n'était ni allégué ni établi, la cour d'appel a statué par un motif purement affirmatif et violé l'article 455 du code de procédure civile.