LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
CIV. 3
MF
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 23 novembre 2022
Rejet
Mme TEILLER, président
Arrêt n° 820 F-D
Pourvoi n° S 20-22.566
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 23 NOVEMBRE 2022
M. [N] [S], domicilié [Adresse 6], a formé le pourvoi n° S 20-22.566 contre l'arrêt rendu le 30 septembre 2020 par la cour d'appel de Versailles (4e chambre civile, 2e section), dans le litige l'opposant :
1°/ à [P] [C], veuve [S], ayant demeuré [Adresse 3], décédée, aux droits de laquelle viennent ses héritiers :
2°/ à Mme [F] [S], épouse [O], domiciliée [Adresse 2],
3°/ à Mme [H] [S], épouse [M], domiciliée [Adresse 4],
4°/ Mme [D] [S], divorcée [K], domiciliée [Adresse 3],
toutes trois prises en leur qualité d'ayants droit de [P] [C], veuve [S],
5°/ à Mme [U] [J], domiciliée [Adresse 5], prise en sa qualité de tutrice de [P] [C], veuve [S],
6°/ à l'association tutélaire région drouaise, dont le siège est [Adresse 1], prise en sa qualité de tutrice de [P] [C], veuve [S],
défenderesses à la cassation.
Le demandeur invoque, à l'appui de son pourvoi, les quatre moyens de cassation annexés au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Echappé, conseiller doyen, les observations de la SCP Célice, Texidor, Périer, avocat de M. [S], de la SCP Doumic-Seiller, avocat de Mmes [H] et [D] [S], toutes deux prises en leur qualité d'ayants droit de [P] [C], veuve [S], après débats en l'audience publique du 11 octobre 2022 où étaient présents Mme Teiller, président, M. Echappé, conseiller doyen rapporteur, M. Jessel, conseiller, et Mme Letourneur, greffier de chambre,
la troisième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Reprise d'instance
1. Il est donné acte à M [N] [S] de sa reprise d'instance contre Mmes [F], [H] et [D] [S], en leur qualité d'ayants droit de [P] [S], décédée le 9 janvier 2022.
Faits et procédure
2. Selon l'arrêt attaqué (Versailles, 30 septembre 2020), par acte du 5 octobre 1985, [A] [S] et son épouse ont consenti un bail à long terme à leur fils [N] sur des bâtiments d'habitation et d'exploitation et sur des parcelles agricoles. A compter du 1er octobre 2003, ce bail s'est renouvelé par périodes de neuf ans.
3. Par requête du 21 mars 2011, [P] [S] a saisi le tribunal paritaire des baux ruraux en fixation du montant du fermage du bail renouvelé.
4. M. [N] [S] a demandé reconventionnellement le remboursement de travaux et le paiement de dommages-intérêts.
5. Le tribunal a ordonné une expertise aux fins d'évaluer le fermage et de décrire les éventuels désordres affectant les bâtiments.
Examen des moyens
Sur le premier moyen
Enoncé du moyen
6. M. [N] [S] fait grief à l'arrêt de fixer le montant du fermage à une certaine somme, à compter du 1er octobre 2012 et non du 1er octobre 2014, alors :
« 1°/ que le montant du fermage révisé ne peut être fixé que sur la base de l'arrêté préfectoral alors en vigueur ; qu'en jugeant que le prix du bail rural révisé s'appliquait à la date du 1er octobre 2012, tout en constatant que l'expert [V] avait calculé le montant du fermage en s'appuyant sur l'arrêté préfectoral d'Eure et Loir de 2013, la cour d'appel a violé les articles L. 411-11 et L. 411-50 du code rural et de la pêche maritime ;
2°/ que le montant du fermage révisé ne peut être fixé que sur la base de l'arrêté préfectoral alors en vigueur ; qu'en jugeant que le prix du bail rural révisé s'appliquait à la date du 1er octobre 2012, tout en constatant que l'expert [V] avait calculé le montant du fermage en s'appuyant sur l'arrêté préfectoral d'Eure et Loir de 2013, en s'appuyant sur le motif inopérant que l'expert s'était situé dans la fourchette basse des valeurs de cet arrêté, la cour d'appel a privé son arrêt de base légale au regard des articles L. 411-11 et L. 411-50 du code rural et de la pêche maritime. »
Réponse de la Cour
7. La cour d'appel a fait une exacte application de la règle selon laquelle le prix du nouveau bail prend effet à la date du renouvellement.
8. En relevant que, nonobstant une erreur de visa de l'arrêté préfectoral sans incidence sur le montant proposé, la valeur déterminée par l'expert judiciaire se trouvait nécessairement comprise dans la fourchette fixée par l'arrêté en vigueur à la date du 1er octobre 2012, elle a souverainement évalué le prix du fermage du bail renouvelé à cette date.
9. Le moyen n'est donc pas fondé.
Sur le deuxième moyen
Enoncé du moyen
10. M. [N] [S] fait grief à l'arrêt de condamner [P] [S] représentée par Mme [J], en sa qualité de tutrice légale, à lui régler une somme de seulement 47 000 euros, au titre du remboursement des travaux à la charge du bailleur qu'il avait effectués en ses lieu et place, alors :
« 1°/ que les travaux de grosses réparations incombant au bailleur rural doivent être remboursés au preneur qui les a fait effectuer en cours de bail ; qu'en refusant à M. [S] le remboursement des grosses réparations, chiffrées par l'expert à 315 890 € HT et dont ce dernier avait constaté la réalité poste par poste, ce que les juges du second degré ont eux-mêmes relevé, pour convenir que le preneur avait entretenu les lieux loués, la cour d'appel a violé les articles 1719 et 1720 du code civil, ensemble l'article L. 415-3 du code rural et de la pêche maritime ;
2°/ que les travaux de grosses réparations incombant au bailleur rural doivent être remboursés au preneur qui les a fait effectuer en cours de bail ; qu'en refusant à M. [S] le remboursement des grosses réparations, chiffrées par l'expert à 315 890 € HT et dont il avait constaté la réalité poste par poste, prétexte pris de ce que le preneur ne rapportait pas la preuve de l'utilisation des matériaux facturés pour réparer les lieux loués, la cour d'appel a privé son arrêt de base légale au regard des articles 1719 et 1720 du code civil, ensemble de l'article L. 415-3 du code rural et de la pêche maritime ;
3°/ que les travaux de grosses réparations incombant au bailleur rural doivent être remboursés au preneur qui les a fait effectuer en cours de bail ; qu'en refusant à M. [S] le remboursement des grosses réparations, chiffrées par l'expert à 315 890 € HT et dont il avait constaté la réalité poste par poste, prétexte pris de ce que l'exposant ne justifiait pas avoir alerté la bailleresse quant à la nécessité de procéder auxdites réparations, la cour d'appel a privé son arrêt de base légale au regard des articles 1719 et 1720 du code civil, ensemble de l'article L. 415-3 du code rural et de la pêche maritime ;
4°/ que les juges du fond ne peuvent accorder à un preneur à bail rural un remboursement forfaitaire et arbitraire injustifié des grosses réparations auxquelles il avait fait procéder en cours de bail ; qu'en accordant une somme de 47 000 € à ce titre à M. [S], correspondant à des indemnisations forfaitaires au titre de postes manifestement choisis au hasard par les juges et chiffrés sans justification aucune, la cour d'appel a privé son arrêt de base légale au regard des articles 1719 et 1720 du code civil, ensemble l'article L. 415-3 du code rural et de la pêche maritime. »
Réponse de la Cour
11. Ayant apprécié souverainement la valeur et la portée des informations rassemblées par l'expert judiciaire et des éléments de preuve produits devant elle, la cour d'appel a fixé le montant des travaux dont le preneur avait fait l'avance du coût et au remboursement duquel il pouvait prétendre en cours de bail.
12. Le moyen n'est donc pas fondé.
Sur le troisième moyen
Enoncé du moyen
13. M. [N] [S] fait grief à l'arrêt de condamner Mme [J], ès qualités, à faire effectuer par tels entrepreneurs de son choix dûment assurés les travaux de réfection décrits et chiffrés par l'expert dans son rapport pour la somme de 190 842 euros seulement et de dire que faute par Mme [J], d'avoir engagé lesdits travaux dans les dix mois de la signification de la décision à intervenir, il sera autorisé à les faire exécuter par telles entreprises de son choix et à en obtenir le remboursement, dans la limite de la somme totale de 190 842 euros seulement, alors « qu'en se bornant à retenir, pour refuser de condamner la tutrice de Mme [S] à régler le montant des travaux de réparation à effectuer, chiffré par l'expert à hauteur de 352 464 euros, que les énonciations de l'expert ne suffisaient pas à imputer à la bailleresse le surplus des travaux excédant un montant de 190 842 euros, la cour d'appel a méconnu les prescriptions de l'article 455 du code de procédure civile. »
Réponse de la Cour
14. C'est par une appréciation souveraine du rapport d'expertise que la cour d'appel a écarté le montant de certains travaux du coût des réparations imputables à la bailleresse.
15. Le moyen n'est donc pas fondé.
Sur le quatrième moyen
Enoncé du moyen
16. M. [N] [S] fait grief à l'arrêt de rejeter ses demandes d'indemnisation des préjudices subis par lui, alors « que la victime d'un dommage n'a pas à minorer son préjudice dans l'intérêt du responsable ; qu'en rejetant la demande d'indemnisation formée par M. [S], relativement aux pertes de récoltes et de matériels dues à l'état du silo endommagé et jamais réparé par la bailleresse, au motif que le preneur aurait dû déménager sa récolte et son matériel ailleurs, la cour d'appel a violé l'article 1147 ancien du code civil. »
Réponse de la Cour
17. Dans ses conclusions d'appel, lesquelles se bornaient à énoncer l'évaluation de l'expert judiciaire, M. [N] [S] n'a pas critiqué sur ce point la motivation adoptée par les premiers juges et reprise par l'arrêt.
18. Le moyen est donc nouveau, mélangé de fait et de droit, et partant irrecevable.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne M. [N] [S] aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-trois novembre deux mille vingt-deux.
MOYENS ANNEXES au présent arrêt :
Moyens produits par la SCP Célice, Texidor, Périer, avocat aux Conseils, pour M. [S]
PREMIER MOYEN DE CASSATION :
M. [N] [S] fait grief à l'arrêt attaqué D'AVOIR confirmé le jugement entrepris, en ce qu'il avait fixé le montant du fermage à la somme annuelle de 25 848,47 €, à compter du 1er octobre 2012 et non du 1er octobre 2014 ;
1°) ALORS QUE le montant du fermage révisé ne peut être fixé que sur la base de l'arrêté préfectoral alors en vigueur ; qu'en jugeant que le prix du bail rural révisé s'appliquait à la date du 1er octobre 2012, tout en constatant que l'expert [V] avait calculé le montant du fermage en s'appuyant sur l'arrêté préfectoral d'Eure et Loir de 2013, la cour d'appel a violé les articles L. 411-11 et L. 411-50 du code rural et de la pêche maritime ;
2°) ALORS QUE le montant du fermage révisé ne peut être fixé que sur la base de l'arrêté préfectoral alors en vigueur ; qu'en jugeant que le prix du bail rural révisé s'appliquait à la date du 1er octobre 2012, tout en constatant que l'expert [V] avait calculé le montant du fermage en s'appuyant sur l'arrêté préfectoral d'Eure et Loir de 2013, en s'appuyant sur le motif inopérant que l'expert s'était situé dans la fourchette basse des valeurs de cet arrêté, la cour d'appel a privé son arrêt de base légale au regard des articles L. 411-11 et L. 411-50 du code rural et de la pêche maritime.
DEUXIEME MOYEN DE CASSATION :
M. [S] fait grief à l'arrêt attaqué D'AVOIR condamné Mme [J], ès qualités, à lui régler une somme de seulement 47 000 €, au titre du remboursement des travaux à la charge du bailleur que l'exposant avait effectués en ses lieu et place ;
1°) ALORS QUE les travaux de grosses réparations incombant au bailleur rural doivent être remboursés au preneur qui les a fait effectuer en cours de bail ; qu'en refusant à M. [S] le remboursement des grosses réparations, chiffrées par l'expert à 315 890 € HT et dont ce dernier avait constaté la réalité poste par poste, ce que les juges du second degré ont eux-mêmes relevé (arrêt, p. 10 § 3), pour convenir que l'exposant avait entretenu les lieux loués, la cour d'appel a violé les articles 1719 et 1720 du code civil, ensemble l'article L. 415-3 du code rural et de la pêche maritime ;
2°) ALORS QUE les travaux de grosses réparations incombant au bailleur rural doivent être remboursés au preneur qui les a fait effectuer en cours de bail ; qu'en refusant à M. [S] le remboursement des grosses réparations, chiffrées par l'expert à 315 890 € HT et dont il avait constaté la réalité poste par poste, prétexte pris de ce que l'exposant ne rapportait pas la preuve de l'utilisation des matériaux facturés pour réparer les lieux loués, la cour d'appel a privé son arrêt de base légale au regard des articles 1719 et 1720 du code civil, ensemble de l'article L. 415-3 du code rural et de la pêche maritime ;
3°) ALORS QUE les travaux de grosses réparations incombant au bailleur rural doivent être remboursés au preneur qui les a fait effectuer en cours de bail ; qu'en refusant à M. [S] le remboursement des grosses réparations, chiffrées par l'expert à 315 890 € HT et dont il avait constaté la réalité poste par poste, prétexte pris de ce que l'exposant ne justifiait pas avoir alerté la bailleresse quant à la nécessité de procéder auxdites réparations, la cour d'appel a privé son arrêt de base légale au regard des articles 1719 et 1720 du code civil, ensemble de l'article L. 415-3 du code rural et de la pêche maritime ;
4°) ALORS QUE les juges du fond ne peuvent accorder à un preneur à bail rural un remboursement forfaitaire et arbitraire injustifié des grosses réparations auxquelles il avait fait procéder en cours de bail ; qu'en accordant une somme de 47 000 € à ce titre à M. [S], correspondant à des indemnisations forfaitaires au titre de postes manifestement choisis au hasard par les juges et chiffrés sans justification aucune, la cour d'appel a privé son arrêt de base légale au regard des articles 1719 et 1720 du code civil, ensemble l'article L. 415-3 du code rural et de la pêche maritime.
TROISIEME MOYEN DE CASSATION :
M. [S] fait grief à l'arrêt attaqué D'AVOIR condamné Mme [J], en sa qualité de tutrice légale de Mme [P] [S], à faire effectuer par tels entrepreneurs de son choix dûment assurés les travaux de réfection décrits et chiffrés par l'expert dans son rapport pour la somme de 190.842 euros seulement et dit que faute par Mme [J], en sa qualité de tutrice légale de Mme [P] [S], d'avoir engagé lesdits travaux dans les dix mois de la signification de la décision à intervenir, M. [N] [S] sera autorisé à les faire exécuter par telles entreprises de son choix et à en obtenir le remboursement, dans la limite de la somme totale de 190.842 euros seulement ;
ALORS QU'en se bornant à retenir, pour refuser de condamner la tutrice de Mme Vve [S] à régler à l'exposant le montant des travaux de réparation à effectuer, chiffré par l'expert à hauteur de 352 464 €, que les énonciations de l'expert ne suffisaient pas à imputer à la bailleresse le surplus des travaux excédant un montant de 190 842 €, la cour d'appel a méconnu les prescriptions de l'article 455 du code de procédure civile.
QUATRIEME MOYEN DE CASSATION :
M. [S] fait grief à l'arrêt attaqué D'AVOIR rejeté ses demandes d'indemnisation des préjudices subis par lui ;
ALORS QUE la victime d'un dommage n'a pas à minorer son préjudice dans l'intérêt du responsable ; qu'en rejetant la demande d'indemnisation formée par M. [S], relativement aux pertes de récoltes et de matériels dues à l'état du silo endommagé et jamais réparé par la bailleresse, au motif que l'exposant aurait dû déménager sa récolte et son matériel ailleurs, la cour d'appel a violé l'article 1147 ancien du code civil.