LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
CIV. 3
SG
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 7 décembre 2022
Rejet
Mme TEILLER, président
Arrêt n° 861 F-D
Pourvoi n° Z 21-20.369
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 7 DÉCEMBRE 2022
L'association Union fédérale des consommateurs - Que choisir (UFC QUE CHOISIR), dont le siège est [Adresse 2], a formé le pourvoi n° Z 21-20.369 contre l'arrêt rendu le 20 mai 2021 par la cour d'appel de Versailles (3e chambre), dans le litige l'opposant à la société Emeria Europe, anciennement dénommée société Foncia groupe, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 1], défenderesse à la cassation.
La société Emeria Europe, anciennement dénommée société Foncia groupe, a formé un pourvoi incident contre le même arrêt.
La demanderesse au pourvoi principal invoque, à l'appui de son recours, un moyen de cassation annexé au présent arrêt.
La demanderesse au pourvoi incident invoque, à l'appui de son recours, un moyen de cassation annexé au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Grandjean, conseiller, les observations de la SAS Boulloche, Colin, Stoclet et Associés, avocat de l'association Union fédérale des consommateurs - Que choisir (UFC QUE CHOISIR), de la SCP Waquet, Farge et Hazan, avocat de la société Emeria Europe, après débats en l'audience publique du 25 octobre 2022 où étaient présents Mme Teiller, président, Mme Grandjean, conseiller rapporteur, M. Echappé, conseiller doyen, et Mme Letourneur, greffier de chambre,
la troisième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Versailles, 20 mai 2021), la société Foncia groupe, devenue Emeria Europe, anime un réseau de filiales et de franchisés qui exercent l'activité de gestion immobilière et de transaction.
2. Le 1er octobre 2014, l'association Union fédérale des consommateurs -Que Choisir (UFC-Que Choisir ), agissant en qualité d'association agréée de défense des consommateurs, représentative au niveau national, l'a assignée, en action de groupe, aux fins de faire juger illicite la facturation à des locataires, par les agences de son réseau, entre 2009 et 2014, de frais dénommés « frais d'avis d'échéance ».
Examen du moyen
Sur le moyen du pourvoi principal, pris en ses première et troisième à cinquième branches, ci-après annexé
3. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces griefs qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Sur le moyen du pourvoi principal, pris en sa deuxième branche
Enoncé du moyen
4. L'UFC-Que Choisir fait grief à l'arrêt de rejeter ses demandes, alors « que le bailleur ne peut faire supporter à son locataire des frais de relance ; que constituent de tels frais des frais d'envoi d'avis d'échéance par lesquels l'obligation de payer le loyer est rappelée au locataire ; qu'en l'espèce, pour rejeter la demande fondée sur la violation par la société Foncia groupe de l'article 4 p) de la loi du 6 juillet 1989, dans sa rédaction issue de la loi du 20 décembre 2007, la cour d'appel a estimé que le service d'avis d'échéance ne correspondait pas à une relance, laquelle a pour objet de rappeler à son destinataire son obligation en cas d'impayé, alors que l'avis d'échéance était envoyé même en l'absence d'impayé ; qu'en statuant ainsi, alors que les frais de relance insusceptibles d'être mis à la charge du locataire s'entendent de tout avis rappelant l'obligation de payment du loyer, la cour d'appel a violé par fausse application le texte précité. »
Réponse de la Cour
5. Ayant relevé que le service d'avis d'échéance n'était pas inclus dans les baux mais résultait d'un contrat de fourniture de services proposé par l'agence immobilière au locataire et retenu que l'avis d'échéance, qui était envoyé même s'il n'existait pas d'impayé, avait pour objet d'indiquer la somme dont le locataire était redevable pour le terme à venir, la cour d'appel en a exactement déduit que cet avis ne constituait pas une relance au sens de l'article 4, p), de la loi n° 89-462 du 6 juillet 1989, laquelle a pour objet de rappeler à son destinataire son obligation en cas d'impayé.
6. Le moyen n'est donc pas fondé.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur le pourvoi incident qui n'est qu'éventuel, la Cour :
REJETTE le pourvoi principal ;
Condamne l'association Union fédérale des consommateurs - Que Choisir aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du sept décembre deux mille vingt-deux.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt :
Moyen produit au pourvoi principal par la SAS Boulloche, Colin, Stoclet et Associés, avocat aux Conseils, pour l'association Union fédérale des consommateurs - Que choisir
L'association UFC-Que Choisir fait grief à l'arrêt attaqué de l'avoir déboutée de sa demande tendant à ce que soit déclarée illégale la facturation du « service mensuel d'envois d'avis d'échéance » entre l'entrée en vigueur de la loi du 25 mars 2009 et de la loi du 24 mars 2014 et, en conséquence, de sa demande de condamnation de la société Foncia Groupe à réparer les préjudices patrimoniaux en résultant pour chacun des consommateurs représentés ;
1°) Alors que le bailleur est tenu de transmettre gratuitement une quittance au locataire qui en fait la demande ; que pour décider que la société Foncia Groupe n'avait pas enfreint cette obligation, la cour d'appel a considéré que sur les documents produits par l'association UFC-Que Choisir comportant sur une même page la quittance et l'avis d'échéance, la quittance et l'avis d'échéance étaient clairement distingués et que seuls les frais de service d'avis d'échéance étaient facturés ; qu'en statuant ainsi sans constater que des quittances avaient été transmises sans que les frais d'envoi de l'avis d'échéance qui était incorporé dans le document les contenant ne soit facturé, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 21 de la loi n° 89-462 du 6 juillet 1989, dans sa rédaction issue de la loi n° 2009-323 du 25 mars 2009 ;
2°) Alors que le bailleur ne peut faire supporter à son locataire des frais de relance ; que constituent de tels frais des frais d'envoi d'avis d'échéance par lesquels l'obligation de payer le loyer est rappelée au locataire ; qu'en l'espèce, pour rejeter la demande fondée sur la violation par la société Foncia Groupe de l'article 4 p, de la loi du 6 juillet 1989, dans sa rédaction issue de la loi du 20 décembre 2007, la cour d'appel a estimé que le service d'avis d'échéance ne correspondait pas à une relance, laquelle a pour objet de rappeler à son destinataire son obligation en cas d'impayé, alors que l'avis d'échéance était envoyé même en l'absence d'impayé ; qu'en statuant ainsi, alors que les frais de relance insusceptibles d'être mis à la charge du locataire s'entendent de tout avis rappelant l'obligation de payement du loyer, la cour d'appel a violé par fausse application le texte précité ;
3°) Alors que seules les charges récupérables figurant à l'annexe du décret du 26 août 1987 peuvent être mises à la charge du locataire ; que tel n'est pas le cas de frais d'avis d'échéance ; que toute dérogation contractuelle à la liste est illicite ; qu'en l'espèce, pour décider que la facturation des frais d'envoi d'avis d'échéance par le réseau d'agences Foncia n'était pas illicite, la cour d'appel a estimé que ces frais ne constituaient pas des charges locatives mais une prestation de service facultative proposée aux locataires par les sociétés du réseau Foncia qui ne sont pas le bailleur ; qu'en statuant ainsi, alors que les frais d'envoi d'avis d'échéance constituent des charges insusceptibles d'être mises à la charge des locataires, auquel l'accord des locataires ne pouvait pas permettre de déroger même si cette somme était facturée par le mandataire du bailleur et non par le bailleur lui-même, la cour d'appel a violé l'article 23 de la loi du 6 juillet 1989, dans sa rédaction issue de la loi du 7 décembre 2010, et l'annexe du décret du 26 août 1987 ;
4°) Alors que les mandataires visées à l'article 1er de la loi du 2 janvier 1970 ne peuvent recevoir d'autres rémunérations que les honoraires prévus dans leur mandat ; que les frais d'envoi d'avis d'échéance n'en font pas partie ; qu'en l'espèce, pour débouter l'association UFC-Que Choisir de son action contre la société Foncia Groupe qui avait mis en place un service payant, proposé par les sociétés du réseau Foncia, d'envoi d'avis d'échéance, la cour d'appel a considéré que la société Foncia Groupe soutenait à raison ne pas être soumise à la loi Hoguet ; qu'en statuant ainsi, alors que la société Foncia Groupe était concepteur et diffuseur de cette pratique de facturation de frais d'échéance par les sociétés du réseau Foncia qui contrevenait à l'interdiction faite aux agents immobiliers de percevoir des rémunérations autres que les honoraires prévus par leur mandat, la cour d'appel a violé les articles 1er de la loi du 2 janvier 1970, 66 du décret du 20 juillet 1972 et L 623-1 du code de la consommation ;
5°) Alors que s'agissant d'une action de groupe régie par l'article L 623-1 du code de la consommation, le juge doit statuer sur la responsabilité du professionnel au vu des cas individuels présentés par l'association requérante ; qu'en l'espèce, pour débouter l'UFC-Que Choisir de son action de groupe régie par cet article, la cour d'appel s'est bornée à un examen in abstracto des moyens qu'elle a soulevés ; qu'en statuant ainsi sans analyser les 23 cas individuels présentés par l'UFC-Que Choisir dont ceux, par exemple, de MM. [D] et [B] qui n'ont pas souscrit au service d'avis d'échéance mais ont reçu tous les mois un document unique intitulé quittance et avis d'échéance facturé indûment du 29 mai 2013 au 21 février 2014 (concl. p 64, pénult. § et suiv.), ou encore de M. [H]-
[F] et Mme [H] (concl. p 81, § 3 et suiv.), qui s'étaient opposés à la facturation des avis d'échéance et avaient sollicité le remboursement des sommes acquittées et ont obtenu pour toute réponse qu'ils ne recevraient plus leur quittance, celle-ci restant disponible sur l'espace « Myfincia.fr » ; la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 623-1 et L. 623-4 du code de la consommation, la responsabilité de la société Foncia Groupe pour certains cas suffisant à établir le bien-fondé de l'action de groupe.
Moyen produit au pourvoi incident par la SCP Waquet, Farge, Hazan, avocat aux Conseils, pour la société Emeria Europe
La société Foncia Groupe, devenu Emeria Europe, fait grief à l'arrêt infirmatif attaqué d'avoir rejeté sa demande visant à déclarer l'appel irrecevable, d'avoir infirmé le jugement en ce qu'il avait déclaré les demandes de l'UFC Que Choisir irrecevables sur le fondement de l'article L 623-1 du code de la consommation, anciennement L 423-1 du même code et d'avoir rejeté les fins de non-recevoir qu'elle a soulevées ;
1°) ALORS QUE le bail d'habitation régi par la loi n° 89-462 du 6 juillet 1989 n'entre pas dans le champ d'application de l'action de groupe prévue à l'article L. 423-1, devenu L. 623-1 du code de la consommation, dans sa rédaction antérieure à celle issue de la loi n° 2018-1021 du 23 novembre 2018, de sorte qu'est irrecevable l'action de groupe engagée par une association de consommateurs aux fins d'obtenir la réparation de préjudices individuels subis par les locataires et ayant pour cause commune un manquement du bailleur à ses obligations légales ou contractuelles ; que de la même manière est irrecevable l'action de groupe engagée aux fins d'obtenir la réparation de préjudices individuels subis par des locataires et ayant pour cause commune la violation par le mandataire du bailleur des dispositions des lois du 6 juillet 1989 et 2 janvier 1970 à l'occasion d'un service accessoire à la conclusion et à l'exécution d'un bail d'habitation ; qu'en jugeant que l'action de l'UFC Que Choisir entrait dans le champs d'application de l'article L. 423-1, devenu L. 623-1 du code de la consommation, dans sa rédaction antérieure à celle issue de la loi n° 2018-1021 du 23 novembre 2018, la cour d'appel a violé cette disposition ;
2°) ALORS QUE si le législateur peut adopter, en matière civile, des dispositions rétroactives ou d'application immédiate, le principe de la prééminence du droit et la notion de procès équitable consacrés par l'article 6 de la convention européenne des droits de l'homme et des libertés fondamentales, s'opposent, sauf pour des motifs impérieux d'intérêt général, à l'ingérence du pouvoir législatif dans l'administration de la justice afin d'influer sur le dénouement judiciaire des litiges ; que cette règle générale s'applique quelle que soit la qualification formelle donnée à la loi et même lorsque l'Etat n'est pas partie au procès ; qu'en l'espèce l'article 138 de la loi ELAN du 23 novembre 2018, ayant modifié l'article 623-1 du code de la consommation, constitue une ingérence du pouvoir législatif visant à faire échec à la jurisprudence de la Cour de cassation ayant exclu le bail d'habitation du champ d'application de l'action du groupe sans qu'il ne résulte ni des termes de la loi ni des travaux parlementaires que le législateur ait entendu répondre à un motif impérieux d'intérêt général ; que dès lors l'article L. 623-1 du code de la consommation, dans sa rédaction issue de la loi ELAN du 23 novembre 2018, à supposer même qu'il soit qualifié de loi de procédure, était inapplicable à la procédure déjà engagée par l'UFC Que Choisir à la date de son entrée en vigueur ; qu'en jugeant le contraire, la cour d'appel a violé l'article 6 § 1 de la convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
3°) ALORS QUE la situation donnant lieu à la fin de non-recevoir n'est susceptible d'être régularisée, en application de l'article 126 du code de procédure civile, qu'avant l'expiration du délai de forclusion qu'est le délai d'appel ; qu'en l'espèce, le jugement de première instance ayant déclaré irrecevable l'action de groupe introduite par l'UFC Que Choisir lui a été signifié le 28 mai 2018, en sorte que le délai d'appel, qui constitue un délai de forclusion, a expiré le 28 juin 2018 ; qu'en jugeant néanmoins que l'adoption de la loi Elan du 23 novembre 2018 avait régularisé la situation de l'UFC Que Choisir en lui donnant immédiatement qualité pour agir à l'occasion de manquements commis dans le cadre de baux d'habitation alors même que le délai d'appel était expiré, la cour d'appel a violé l'article 126 du code de procédure civile ;
4°) ALORS, en tout état de cause, QU' est irrecevable toute prétention émise par ou contre une personne dépourvue du droit d'agir ; que la société Foncia Groupe n'a pas qualité pour défendre à l'action de groupe introduite par la société UFC Que Choisir pour dénoncer la prétendue illicéité de la facturation du service d'avis d'échéance dès lors qu'elle n'a elle-même conclu avec les locataires aucun contrat d'avis d'échéance, ni facturé ou perçu de sommes à ce titre, seules les sociétés du réseau Foncia, personnes morales distinctes de la société Foncia Groupe, ayant proposé et facturé des avis d'échéance ; qu'en rejetant néanmoins la fin de recevoir tirée du défaut de qualité de la société Foncia Groupe à défendre à l'action de groupe de l'UFC Que Choisir, la cour d'appel a violé les articles 32 et 122 du code de procédure civile.