La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

31/01/2023 | FRANCE | N°22-80482

France | France, Cour de cassation, Chambre criminelle, 31 janvier 2023, 22-80482


LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :

N° K 22-80.482 F-D

N° 00115

MAS2
31 JANVIER 2023

REJET

M. BONNAL président,

R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
________________________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________

ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 31 JANVIER 2023

La société [1] a formé un pourvoi contre l'arrêt de la cour d'appel d'Aix-en-Provence, chambre 5-2, en date du 25 octobre 2021, qui, pour homicide involontaire, l

'a condamnée à 100 000 euros d'amende, a ordonné une mesure de publication et a prononcé sur les intérêts civils.

Des mémoir...

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :

N° K 22-80.482 F-D

N° 00115

MAS2
31 JANVIER 2023

REJET

M. BONNAL président,

R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
________________________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________

ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 31 JANVIER 2023

La société [1] a formé un pourvoi contre l'arrêt de la cour d'appel d'Aix-en-Provence, chambre 5-2, en date du 25 octobre 2021, qui, pour homicide involontaire, l'a condamnée à 100 000 euros d'amende, a ordonné une mesure de publication et a prononcé sur les intérêts civils.

Des mémoires ont été produits, en demande et en défense.

Sur le rapport de M. Rouvière, conseiller référendaire, les observations de la SCP Spinosi, avocat de la société [1], les observations de la SCP Nicolaÿ, de Lanouvelle, avocat de Mme [Y] [R], épouse [H], Mme [U] [H], épouse [C], Mme [Z] [H], épouse [A], et M. [I] [H], et les conclusions de M. Quintard, avocat général, après débats en l'audience publique du 4 janvier 2023 où étaient présents M. Bonnal, président, M. Rouvière, conseiller rapporteur, Mme Ingall-Montagnier, conseiller de la chambre, et Mme Sommier, greffier de chambre,

la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée en application de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure ce qui suit.

2. Le 23 décembre 2010, un navire appartenant à la société [1], dont le commandant était [D] [H], a été impliqué dans une collision en mer.

3. Après avoir été prié d'assurer la passation des pouvoirs à son successeur, [D] [H] a été débarqué le 25 janvier 2011 et s'est vu notifier, le 9 février 2011, son affectation à terre à compter du 14 février suivant.

4. Le 14 février 2011, [D] [H] a mis fin à ses jours, à son domicile.

5. Les juges du premier degré ont déclaré la société coupable d'homicide involontaire, l'ont condamnée à 100 000 euros d'amende, ont ordonné une mesure de publication et ont prononcé sur les intérêts civils.

6. La prévenue, le ministère public et les parties civiles ont relevé appel de cette décision.

Examen des moyens

Sur le deuxième moyen

7. Il n'est pas de nature à permettre l'admission du pourvoi au sens de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale.

Sur les premier et troisième moyens

Enoncé des moyens

8. Le premier moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a déclaré la société [1] coupable d'homicide involontaire, alors :

« 1°/ qu'en retenant que le comportement de la prévenue était constitutif « de maladresse, imprudence, inattention, négligence ou manquement à l'obligation de veiller à la santé physique et mentale des travailleurs, au sens de l'article 221-6 du code pénal » (arrêt, p. 1), sans préciser si ce comportement relevait d'une faute de négligence ou d'un manquement à une obligation de sécurité ou de prudence, la cour d'appel, qui n'a pas mis la Cour de cassation en mesure d'exercer son contrôle sur la qualification de la faute reprochée à la prévenue, n'a pas justifié sa décision au regard des articles 221-6 et 121-3 du code pénal, ensemble de l'article 593 du code de procédure pénale ;

2°/ que l'absence de mise en oeuvre d'une procédure disciplinaire ne constitue pas un manquement à l'obligation pour l'employeur de veiller à la santé physique et mentale des travailleurs ; qu'en considérant que le comportement consistant à « prendre contre son salarié une sanction déguisée, en dehors de toute procédure disciplinaire (?) » était constitutif d'un « manquement à l'obligation de veiller à la santé physique et mentale des travailleurs » (arrêt, p. 17), la cour d'appel a méconnu le sens et la portée des articles L. 4121-1 et L. 1331-1 et suivants du code du travail, ensemble les articles 221-6 et 121-3 du code pénal ;

3°/ qu'en prononçant ainsi sans répondre aux conclusions qui soutenaient que la prévenue avaient mis en oeuvre toutes les mesures visant à assurer la sécurité et la santé physique et mentale des travailleurs (conclusions, pp. 11-12), de sorte qu'aucun manquement à une obligation de sécurité ou de prudence n'était caractérisé, la cour d'appel n'a pas justifié sa décision au regard des articles 221-6 et 121-3 du code pénal, L. 4121-1 du code du travail, ensemble de l'article 593 du code de procédure pénale ;

4°/ qu'il résulte de l'article 121-3 du code pénal que la faute de négligence doit s'apprécier in concreto, au regard des diligences normales que doit accomplir l'auteur des faits compte tenu de ses missions, de ses compétences, de ses pouvoirs et de ses moyens ; que seules constituent des sanctions disciplinaires impliquant la mise en oeuvre des garanties procédurales prévues aux articles L. 1332-1 et suivants du code du travail, les mesures affectant la présence dans l'entreprise du salarié concerné, sa fonction, sa carrière ou sa rémunération ; qu'en considérant que le comportement consistant à « prendre contre son salarié une sanction déguisée, en dehors de toute procédure disciplinaire (?) » était constitutif « de maladresse, imprudence, inattention, négligence » (arrêt, p. 17), sans rechercher, comme elle y était invitée, si la décision d'affectation de M. [H] à un poste à terre affectait sa fonction, sa carrière ou sa rémunération, la cour d'appel a privé sa décision de toute base légale au regard des articles 121-3 et 221-6 du code pénal, ensemble des articles L. 1331-1 et suivants du code du travail ;

5°/ que ne constitue pas davantage une sanction disciplinaire une mesure prise en l'absence de volonté, dans le chef de de la personne compétente pour prendre la décision litigieuse, de sanctionner le salarié en cause ; qu'en jugeant que M. [K] était l'auteur de la décision d'affectation à terre, sans répondre au moyen tiré de ce que M. [F], qui était seul compétent pour prononcer d'éventuelles sanctions disciplinaires à l'égard de M. [H], avait
choisi de ne pas suivre les avis de MM. [K] et [V] (conclusions, pp. 17-19), et cependant qu'elle relevait elle-même que M. [F] « estimait que jusqu'à preuve du contraire, [M. [H]] ne s'était rendu coupable d'aucune faute ni négligence » (arrêt, p. 5), de sorte qu'aucune volonté
de sanctionner M. [H] ne pouvait lui être imputée, la cour d'appel n'a pas justifié sa décision au regard des articles 121-3 et 221-6 du code pénal, L. 1331-1 et suivants du code du travail, ensemble de l'article 593 du code de procédure pénale ;

6°/ que la qualification de sanction disciplinaire est encore exclue lorsque la mesure envisagée par l'employeur obéit à des impératifs de sécurité ; qu'en s'abstenant de répondre au moyen tiré de ce que la mesure avait été prise pour assurer la sécurité des tiers dans l'attente des résultats définitifs de l'enquête sur les causes de la collision intervenue le 23 décembre 2010 (conclusions, pp. 30-31), la cour d'appel n'a pas justifié sa décision au regard des articles 121-3 et 221-6 du code pénal, L. 1331-1 et suivants du code du travail, ensemble de l'article 593 du code de procédure pénale ;

7°/ que ne peut enfin être qualifiée de sanction disciplinaire une mesure prise en application d'une norme ; qu'en retenant que la nouvelle affectation de M. [H] constituait une sanction déguisée (arrêt, p. 15), sans rechercher comme elle y était invitée (conclusions, p. 24), si cette mesure n'était pas prévue au sein de l'accord d'entreprise comme une obligation qui s'imposait aux officiers, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 121-3 et 221-6 du code pénal, L. 1331-1 et suivants du code du travail, ensemble de l'article 593 du code de procédure pénale. »

9. Le troisième moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a déclaré la société [1] coupable d'homicide involontaire, alors :

« 1°/ que le délit d'homicide involontaire suppose la démonstration d'un lien de causalité certain entre la faute et le décès de la victime ; que tel n'est pas le cas entre, d'un côté, le comportement supposément fautif d'un employeur envers son salarié et, de l'autre, le suicide de ce salarié lorsque le choix de mettre fin à ses jours résulte d'un acte conscient, volontaire et réfléchi ; que s'est prononcée par des motifs contradictoires et a méconnu les articles 221-6 et 121-3 du code pénal, ensemble l'article 593 du code de procédure pénale, la cour d'appel qui a jugé que la société [1] avait été « à l'origine du suicide de M. [H] et en tout état de cause son facteur déclenchant » (arrêt, p. 17) quand elle relevait expressément le caractère réfléchi et prémédité de son suicide (arrêt, p. 18), ce dont il s'évinçait l'absence de causalité certaine entre la faute et le décès ;

2°/ qu'en tout état de cause la continuité temporelle entre l'éventuelle faute de l'employeur et le suicide de son salarié est déterminante pour apprécier le caractère certain du lien de causalité ; que faute d'avoir pris en considération l'absence de toute immédiateté entre la décision de réaffectation de son salarié prise par l'employeur et le choix de celui-ci de mettre fin à ses jours, la cour d'appel à privé sa décision de base légale au regard des mêmes textes. »
Réponse de la Cour

10. Les moyens sont réunis.

11. Pour déclarer la société coupable d'homicide involontaire, l'arrêt attaqué énonce, par motifs propres et adoptés, qu'après la collision survenue le 23 décembre 2010, la société [1], agissant par son président, [B] [K], a d'abord envisagé de renvoyer [D] [H], n'y renonçant qu'en raison des risques juridiques et sociaux que présenterait un licenciement alors qu'une enquête interne avait établi qu'aucune faute ne pouvait être retenue à l'encontre du salarié, avant d'opter pour une affectation de ce marin à un poste à terre, décrit comme mal défini par certains cadres de l'entreprise.

12. Les juges ajoutent que cette affectation à terre, non souhaitée par [D] [H], qui ne s'analyse pas comme une mesure transitoire ou protectrice et ne peut relever du pouvoir de direction de l'employeur, notifiée sans permettre au salarié de s'expliquer auprès des personnes ayant pris la décision, à l'issue d'une période de plusieurs semaines durant laquelle il avait été laissé dans l'incertitude quant à son avenir professionnel, faisant l'objet d'informations et d'injonctions contradictoires de la part de sa hiérarchie, constituait une sanction déguisée, qui ne pouvait être reçue que comme telle, témoignant du mépris de la compagnie à son égard.

13. Ils déduisent notamment des termes du message adressé par [D] [H] à ses collègues le jour de son décès et des conclusions du rapport d'un psychiatre ayant analysé la situation que ce comportement fautif de l'employeur, même à supposer, ce que le dossier ne démontre pas, que la victime ait pu être fragilisée par des éléments privés, extérieurs à son activité professionnelle, a été le facteur déclenchant de son passage à l'acte suicidaire.

14. En l'état de ces énonciations, relevant de son appréciation souveraine des faits et circonstances de la cause et des éléments contradictoirement débattus, d'où il résulte que la société [1] a commis une faute d'imprudence, en lien indirect mais certain avec le décès de [D] [H], la cour d'appel, qui n'était pas tenue de suivre la demanderesse dans le détail de son argumentation, a justifié sa décision et fait une exacte application des textes visés aux moyens.

15. Ainsi, les moyens doivent être écartés.

16. Par ailleurs, l'arrêt est régulier en la forme.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi ;

FIXE à 2 500 euros la somme globale que la société [1] devra payer aux parties représentées par la SCP Nicolaÿ, de Lanouvelle, avocat à la Cour, en application de l'article 618-1 du code de procédure pénale ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président en son audience publique du trente et un janvier deux mille vingt-trois.


Synthèse
Formation : Chambre criminelle
Numéro d'arrêt : 22-80482
Date de la décision : 31/01/2023
Sens de l'arrêt : Rejet
Type d'affaire : Criminelle

Références :

Décision attaquée : Cour d'appel d'Aix-en-Provence, 25 octobre 2021


Publications
Proposition de citation : Cass. Crim., 31 jan. 2023, pourvoi n°22-80482


Composition du Tribunal
Président : M. Bonnal (président)
Avocat(s) : SCP Nicolaý, de Lanouvelle, SCP Spinosi

Origine de la décision
Date de l'import : 07/02/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CCASS:2023:22.80482
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award