LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
SOC.
AF1
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 15 février 2023
Rejet
Mme MARIETTE, conseiller doyen
faisant fonction de président
Arrêt n° 164 F-D
Pourvoi n° V 21-50.058
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 15 FÉVRIER 2023
La société Géraud gestion, société anonyme, dont le siège est [Adresse 3], a formé le pourvoi n° V 21-50.058 contre l'arrêt rendu le 8 avril 2021 par la cour d'appel de Versailles (6e chambre civile), dans le litige l'opposant :
1°/ à M. [C] [O] [J], domicilié [Adresse 1],
2°/ à la société Mars, société d'exercice libéral à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 5], prise en la personne de M. [W] [X], en qualité de liquidateur judiciaire de la société Nouveaux marchés de France,
3°/ à l'AGS CGEA Ile-de-France Ouest, dont le siège est [Adresse 2],
4°/ à Pôle emploi, dont le siège est [Adresse 4],
défendeurs à la cassation.
M. [O] [J] a formé un pourvoi incident contre le même arrêt.
La demanderesse au pourvoi principal invoque, à l'appui de son recours, les deux moyens de cassation annexés au présent arrêt.
Le demandeur au pourvoi incident invoque, à l'appui de son recours, les deux moyens de cassation également annexés au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Grandemange, conseiller, les observations de la SCP Foussard et Froger, avocat de la société Géraud gestion, de la SCP Bauer-Violas, Feschotte-Desbois et Sebagh, avocat de la société Mars, de la SCP Thouvenin, Coudray et Grévy, avocat de M. [O] [J], après débats en l'audience publique du 4 janvier 2023 où étaient présents Mme Mariette, conseiller doyen faisant fonction de président, Mme Grandemange, conseiller rapporteur, M. Barincou, conseiller, et Mme Pontonnier, greffier de chambre,
la chambre sociale de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Versailles, 8 avril 2021), le 1er juillet 2011 la commune d'Andrézy a attribué à la société Nouveaux marchés de France, à compter du 1er octobre 2011, la délégation de service public pour la gestion des droits de place de la halle de son marché, laquelle était antérieurement attribuée à la société Géraud gestion.
2. M. [O] [J], engagé par la société Géraud gestion, à compter du 24 juillet 1994, en qualité de personnel d'entretien de marché, a été informé, le 26 août 2011, par la société Géraud gestion du transfert de son contrat de travail à la société Nouveaux marchés de France, laquelle a refusé de reprendre le contrat.
3. Le salarié a saisi la juridiction prud'homale en résiliation judiciaire de son contrat de travail et en paiement de diverses sommes, à titre principal aux torts de la société Géraud gestion, à titre subsidiaire à l'encontre de la société les Nouveaux marchés de France.
4. Le 14 décembre 2017, le tribunal de commerce de Versailles a converti en liquidation judiciaire le redressement judiciaire de la société Nouveaux marchés de France, ouvert par décision du 9 février 2017 et désigné la société Mars en qualité de liquidateur.
Examen des moyens
Sur le premier moyen du pourvoi principal,
Enoncé du moyen
5. La société Géraud gestion fait grief à l'arrêt d'écarter la fin de non-recevoir tirée de la prescription, puis de prononcer la résiliation judiciaire du contrat de travail à ses torts, de la condamner à payer au salarié des sommes au titre de l'indemnité de préavis, des congés payés afférents, de l'indemnité de licenciement, de rappels de salaire et des congés payés afférents et de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, alors :
« 1°/ que, le juge est tenu de respecter le principe de la contradiction ; qu'en soulevant d'office le moyen pris de ce que le salarié ne connaissait pas l'identité de l'employeur à l'encontre duquel il pouvait exercer ses droits, sans inviter préalablement les parties à présenter leurs observations, la cour d'appel a violé l'article 16 du code de procédure civile ;
2°/ que, toute action portant sur l'exécution du contrat de travail se prescrit par deux ans à compter du jour où celui qui l'exerce a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant d'exercer son droit ; que l'action visant à contester le transfert du contrat de travail en application de l'article L. 1224-1 du code du travail se prescrit donc par deux ans à compter du jour où le transfert et l'identité du nouvel employeur ont été notifiés au salarié ; qu'en l'espèce, il est constant que le salarié, qui a saisi le conseil de prud'hommes le 1er avril 2016 afin de contester le transfert de son contrat de travail et demander sa résiliation judiciaire, avait été informé par la société Géraud gestion du transfert de son contrat de travail auprès de la société Nouveaux marchés le 26 aout 2011 ; qu'en décidant pourtant que l'action du salarié n'était pas prescrite, la cour d'appel a violé les articles L. 1224-1 et L. 1471-1 du code du travail ;
3°/ que, le seul fait que le salarié ait un doute, suite à la notification du transfert de son contrat de travail, sur l'identité de l'employeur à l'encontre duquel il peut faire valoir ses droits ne l'empêche pas d'agir pour faire statuer sur la régularité du transfert de son contrat de travail en assignant, au besoin, et la société lui ayant notifié la cession de son contrat de travail et la société supposée l'avoir repris ; qu'en décidant le contraire, la cour d'appel a violé les articles L. 1224-1 et L. 1471-1 du code du travail. »
Réponse de la Cour
6. Selon l'article L. 1231-1 du code du travail, le contrat de travail à durée indéterminée peut être rompu à l'initiative de l'employeur ou du salarié, ou d'un commun accord.
7. Le juge, saisi d'une demande de résiliation judiciaire du contrat de travail, doit examiner l'ensemble des griefs invoqués au soutien de celle-ci, quelle que soit leur ancienneté.
8. Par ce motif de pur droit, suggéré par la défense et substitué à ceux critiqués, dans les conditions prévues par l'article 620, alinéa 1er, du code de procédure civile, l'arrêt, qui constate que le salarié sollicitait la résiliation judiciaire de son contrat de travail à l'encontre de la société Géraud gestion, son employeur, en raison de la violation des règles déterminant le transfert de contrat de travail et du défaut de paiement des salaires résultant d'un transfert abusif du contrat de travail, ce dont il résultait qu'il appartenait à la cour d'appel d'apprécier ce grief peu important son ancienneté, se trouve légalement justifié de ce chef.
Sur le second moyen du pourvoi principal
Enoncé du moyen
9. La société Géraud gestion fait grief à l'arrêt de retenir que le contrat de travail du salarié n'a pas été transféré auprès de la société Nouveaux marchés de France puis de prononcer la résiliation judiciaire du contrat de travail à ses torts et de la condamner à payer au salarié des sommes au titre de la rupture et de l'exécution du contrat de travail, alors « que constitue une entité économique autonome un ensemble organisé de personnes et d'éléments corporels ou incorporels poursuivant un objectif économique propre ; qu'en jugeant que le contrat de travail n'avait pas été transféré à la société Nouveaux marchés de France, aux seuls motifs que celle-ci avait son propre matériel et qu'un salarié de la société Géraud gestion avait conservé son poste, sans rechercher comme l'y invitait expressément la société Géraud gestion si le transfert d'une entité économique ne résultait pas de la reprise des locaux, de certains équipements, et de la clientèle par la société Nouveaux marchés, la cour d'appel a violé l'article L. 1224-1 du code du travail. »
Réponse de la Cour
10. L'article L. 1224-1 du code du travail, interprété à la lumière de la directive n° 2001/23/CE du 12 mars 2001, s'applique en cas de transfert d'une entité économique autonome qui conserve son identité et dont l'activité est poursuivie ou reprise. Constitue une entité économique autonome un ensemble organisé de personnes et d'éléments corporels ou incorporels poursuivant un objectif économique propre. Le transfert d'une telle entité ne s'opère que si des moyens corporels ou incorporels significatifs et nécessaires à l'exploitation de l'entité sont repris, directement ou indirectement, par un nouvel exploitant.
11. La cour d'appel a d'abord constaté, par motifs propres et adoptés, que la société entrante produisait les éléments communiqués pour sa candidature à l'offre de marché comprenant la liste de ses moyens matériels propres et de son personnel attaché à ces tâches et qu'il n'y avait eu aucun transfert de matériel.
12. Elle a ensuite relevé que la société Géraud gestion avait conservé en poste le régisseur placier dont le rôle est essentiel sur un marché.
13. Ayant ainsi fait ressortir l'absence de reprise de moyens corporels ou incorporels significatifs de la société Géraud gestion par la société Nouveaux marchés de France, la cour d'appel a pu en déduire, sans être tenue de procéder à des recherches que ses constatations rendaient inopérantes, qu'il n'y avait pas eu transfert d'une entité économique autonome ayant conservé son identité.
14. Le moyen n'est donc pas fondé.
Sur le premier moyen du pourvoi incident
Enoncé du moyen
15. Le salarié fait grief à l'arrêt de mettre hors de cause la société Mars, ès qualités, et l'AGS CGEA IDF Ouest et de le débouter de ses demandes dirigées contre ceux-ci, alors « que la cassation prononcée sur le second moyen du pourvoi principal entraînera, par voie de conséquence, la cassation du chef du dispositif ayant mis hors de cause la société Mars, prise en la personne de M. [X], en qualité de liquidateur de la société Nouveaux marchés de France, et l'AGS CGEA IDF Ouest et débouté le salarié de ses demandes dirigées contre ceux-ci, en application de l'article 624 du code de procédure civile. »
Réponse de la Cour
16. Le rejet du second moyen du pourvoi principal rend sans objet le moyen éventuel qui invoque une cassation par voie de conséquence.
Sur le second moyen du pourvoi incident
Enoncé du moyen
17. Le salarié fait grief à l'arrêt de le débouter de sa demande d'indemnité au titre du travail dissimulé, alors « que caractérise un travail dissimulé la dissimulation d'emploi salarié ; qu'en l'absence de déclaration de l'emploi salarié aux organismes sociaux, le caractère intentionnel du travail dissimulé se déduit de la seule absence de déclaration ; qu'en l'espèce, en jugeant que la société Géraud gestion a été négligente et que le caractère intentionnel d'un défaut de déclaration du salarié à l'Urssaf à compter du 1er octobre 2011 n'est pas démontré, après avoir pourtant jugé que le transfert de contrat était illégal et avoir condamné cette société au paiement d'un rappel de salaire correspondant à la période d'éviction, la cour d'appel a violé l'article L. 8221-5 du code du travail. »
Réponse de la Cour
18. Sous couvert d'un grief non fondé de violation de la loi, le moyen ne tend qu'à remettre en cause l'appréciation souveraine des éléments de fait et de preuve par laquelle la cour d'appel, après avoir constaté que la société Géraud gestion avait adressé au salarié une attestation destinée à Pôle emploi mentionnant le transfert de son contrat de travail, a retenu l' absence de caractère intentionnel du défaut de déclaration de l'intéressé à l'URSSAF à compter du 1er octobre 2011.
19. Le moyen n'est donc pas fondé.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE les pourvois, tant principal qu'incident ;
Laisse à chacune des parties la charge des dépens par elle exposés ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du quinze février deux mille vingt-trois.
MOYENS ANNEXES au présent arrêt :
Moyens produits par la SCP Foussard et Froger, avocat aux Conseils, pour la société Géraud gestion, demanderesse au pourvoi principal
PREMIER MOYEN DE CASSATION :
L'arrêt attaqué, critiqué par la société GERAUD GESTION, encourt la censure ;
EN CE QU'il a écarté la fin de non-recevoir tirée de la prescription, puis prononcé la résiliation judiciaire du contrat de travail aux torts de la société GERAUD GESTION et condamné cette dernière à payer à M. [O] [J] 1 927,54 euros au titre de l'indemnité de préavis outre 192,75 euros au titre des congés payés, 6 939,14 euros à titre d'indemnité de licenciement, 43 851,53 euros au titre de rappels de salaire, outre 4 3856,15 euros au titre des congés payés et 6 000 euros au titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;
ALORS QUE, premièrement, le juge est tenu de respecter le principe de la contradiction ; qu'en soulevant d'office le moyen pris de ce que M. [O] [J] ne connaissait pas l'identité de l'employeur à l'encontre duquel il pouvait exercer ses droits, sans inviter préalablement les parties à présenter leurs observations, la cour d'appel a violé l'article 16 du code de procédure civile ;
ALORS QUE, deuxièmement, toute action portant sur l'exécution du contrat de travail se prescrit par deux ans à compter du jour où celui qui l'exerce a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant d'exercer son droit ; que l'action visant à contester le transfert du contrat de travail en application de l'article L. 1224-1 du code du travail se prescrit donc par deux ans à compter du jour où le transfert et l'identité du nouvel employeur ont été notifiés au salarié ; qu'en l'espèce, il est constant que M. [O] [J], qui a saisi le conseil des prud'hommes le 1er avril 2016 afin de contester le transfert de son contrat de travail et demandé sa résiliation judiciaire, avait été informé par la société GERAUD GESTION du transfert de son contrat de travail auprès de la société NOUVEAUX MARCHES le 26 aout 2011 ; qu'en décidant pourtant que l'action de M. [O] n'était pas prescrite, la cour d'appel a violé les articles L. 1224-1 et L. 1471-1 du code du travail ;
ALORS QUE, troisièmement, le seul fait que le salarié ait un doute, suite à la notification du transfert de son contrat de travail, sur l'identité de l'employeur à l'encontre duquel il peut faire valoir ses droits ne l'empêche pas d'agir pour faire statuer sur la régularité du transfert de son contrat de travail en assignant, au besoin, et la société lui ayant notifié la cession de son contrat de travail et la société supposée l'avoir repris ; qu'en décidant le contraire, la cour d'appel a violé les articles L. 1224-1 et L. 1471-1 du code du travail.
SECOND MOYEN DE CASSATION :
L'arrêt attaqué, critiqué par la société GERAUD GESTION, encourt la censure ;
EN CE QU'il a retenu que le contrat de travail de M. [O] [J] n'avait pas été transféré auprès de la société NOUVEAUX MARCHES, puis prononcé la résiliation judiciaire du contrat de travail aux torts de la société GERAUD GESTION et condamné cette dernière à payer à M. [O] [J] 1 927,54 euros au titre de l'indemnité de préavis outre 192,75 euros au titre des congés payés, 6 939,14 euros à titre d'indemnité de licenciement, 43 851,53 euros au titre de rappels de salaire, outre 4 3856,15 euros au titre des congés payés et 6 000 euros au titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;
ALORS QUE constitue une entité économique autonome un ensemble organisé de personnes et d'éléments corporels ou incorporels poursuivant un objectif économique propre ; qu'en jugeant que le contrat de travail n'avait pas été transféré à la société NOUVEAUX MARCHES, aux seuls motifs que celle-ci avait son propre matériel et qu'un salarié de la société GERAUD GESTION avait conservé son poste, sans rechercher comme l'y invitait expressément la société GERAUD GESTION (conclusions d'appel, p. 16 et s.) si le transfert d'une entité économique ne résultait pas de la reprise des locaux, de certains équipements, et de la clientèle par la société NOUVEAUX MARCHES, la cour d'appel a violé l'article L. 1224-1 du code du travail.
Moyens produits par la SCP Thouvenin, Coudray et Grévy, avocat aux Conseils, pour M. [O] [J], demandeur au pourvoi incident
MOYEN DE CASSATION (éventuel)
M. [O] [J] fait grief à l'arrêt attaqué d'AVOIR mis hors de cause la société Mars prise en la personne de M. [W] [X], ès qualité de liquidateur de la société Nouveaux Marchés de France et l'AGS CGEA IDF Ouest et de l'AVOIR débouté de ses demandes dirigées contre ceux-ci.
ALORS QUE la cassation prononcée sur le second moyen du pourvoi principal entrainera, par voie de conséquence, la cassation du chef du dispositif ayant mis hors de cause la société Mars prise en la personne de M. [W] [X], ès qualité de liquidateur de la société Nouveaux Marchés de France et l'AGS CGEA IDF Ouest et débouté le salarié de ses demandes dirigées contre ceux-ci, en application de l'article 624 du code de procédure civile.
DEUXIEME MOYEN DE CASSATION :
M. [O] [J] fait grief à l'arrêt attaqué, confirmatif de ce chef, de l'AVOIR débouté de sa demande d'indemnité au titre du travail dissimulé.
ALORS QUE caractérise un travail dissimulé la dissimulation d'emploi salarié ; qu'en l'absence de déclaration de l'emploi salarié aux organismes sociaux, le caractère intentionnel du travail dissimulé se déduit de la seule absence de déclaration ; qu'en l'espèce, en jugeant que la société Geraud Gestion a été négligente et que le caractère intentionnel d'un défaut de déclaration du salarié à l'Urssaf à compter du 1er octobre 2011 n'est pas démontré, après avoir pourtant jugé que le transfert de contrat était illégal et avoir condamné cette société au paiement d'un rappel de salaire correspondant à la période d'éviction, la cour d'appel a violé l'article L. 8221-5 du code du travail