LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :
N° B 22-82.314 F-D
N° 00337
GM
21 MARS 2023
REJET
M. BONNAL président,
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 21 MARS 2023
Mme [C] [M] et Mme [K] [O] ont formé des pourvois contre l'arrêt de la cour d'appel de Colmar, chambre correctionnelle, en date du 25 octobre 2021, qui, sur renvoi après cassation (Crim., 2 septembre 2020, n° 19-80.408), dans la procédure suivie contre elles du chef d'abus de faiblesse, a prononcé sur les intérêts civils.
Les pourvois sont joints en raison de la connexité.
Un mémoire, commun aux demandeurs, et un mémoire en défense ont été produits.
Sur le rapport de M. Coirre, conseiller, les observations de la SARL Boré, Salve de Bruneton et Mégret, avocat de Mmes [C] [M], [K] [O], les observations de Me Descorps-Declère, avocat de Mme [I] [X] et les conclusions de M. Aldebert, avocat général, après débats en l'audience publique du 14 février 2023 où étaient présents M. Bonnal, président, M. Coirre, conseiller rapporteur, Mme Ingall-Montagnier, conseiller de la chambre, et M. Maréville, greffier de chambre,
la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée en application de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure ce qui suit.
2. Par décision devenue définitive, Mmes [C] [M] et [K] [O] ont été déclarées coupables d'abus de faiblesse au préjudice de Mme [I] [X].
3. Par jugement en date du 8 novembre 2016, le tribunal correctionnel statuant sur les intérêts civils a condamné solidairement Mmes [M] et [O] à verser à Mme [X], notamment, la somme de 129 050,70 euros en réparation de son préjudice matériel.
4. Mmes [M] et [O] ont relevé appel de cette décision.
Examen du moyen
Sur le moyen, pris en ses première et deuxième branches
5. Les griefs ne sont pas de nature à permettre l'admission du pourvoi au sens de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale.
Sur le moyen, pris en ses troisième, quatrième et cinquième branches
Enoncé du moyen
6. Le moyen, en ses troisième, quatrième et cinquième branches, critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a condamné solidairement Mme [M] et Mme [O] à payer à Mme [X], représentée par son curateur l'Aproma, la somme de 129 050,70 euros en réparation de son préjudice matériel et la somme de 5 000 euros en réparation de son préjudice moral, alors :
« 3°/ qu'en toute hypothèse, il appartient à celui qui se prévaut d'un préjudice d'en établir tant le principe que le montant ; qu'en imputant à Mme [M] et Mme [O] les retraits supérieurs à 100 euros et l'intégralité des dépenses effectuées au moyen de la carte bancaire de Mme [X] sur la période considérée, quand il résultait de ses propres constatations que « Mme [I] [X] soutient que sa demande de remboursement ne comprend évidemment pas la totalité de ses dépenses sur la période litigieuse, mais ne suggère aucun calcul », ce dont il résultait que la partie civile n'était pas en mesure de chiffrer son propre préjudice et, supportant le risque de la preuve, devait dès lors être déboutée de ses demandes de ce chef, la cour d'appel a violé les articles 593, 609 et 613 du code de procédure pénale, ensemble l'article 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales ;
4°/ qu'en toute hypothèse, si les juges du fond apprécient souverainement le montant de l'indemnité propre à réparer le préjudice causé par l'infraction dont le prévenu a été déclaré coupable, cette appréciation cesse d'être souveraine lorsqu'elle est déduite de motifs insuffisants, contradictoires ou erronés, ou ne répondant pas aux conclusions des parties ; que les motifs inintelligibles équivalent à un défaut de motifs ; qu'en jugeant que « l'étude attentive des éléments du dossier fait apparaître : - que Mme [X] avait quatre comptes bancaires ; - que la perte totale de ces quatre comptes entre janvier 2006 et décembre 2008 était d'environ de 90 462 euros. En effet, le compte ? 968 sur lequel la somme de 150 000 euros a été virée le 14 septembre 2006 présentait un solde de 102 614 euros au 2 décembre 2008, soit une perte de 56 000 euros en comptant les intérêts (près de 8 000 euros à raison de 300 euros par mois) ; le compte courant ? 940 présentait un solde créditeur de 14 856 euros au 1er janvier 2006 et un solde créditeur de 294 euros au 4 décembre 2008, soit une perte de 14 562 euros ; le compte ? 901 présentait un solde créditeur de 15 377 euros au 1er janvier 2006 et de 82 euros au 4 décembre 2008, soit une perte de 15 295 euros ; le compte ... 902 présentait un solde créditeur de 4 623 euros au 1er janvier 2006 et de 18 euros au 4 décembre 2008, soit une perte de 4 605 euros ; - que les revenus mensuels de Mme [I] [X] veuve [D] étaient d'environ 1 380 euros par mois, soit d'environ 49 680 euros sur la période ; que dès lors, les revenus de Mme [I] [X] ayant été de 140 142 euros sur la période, soit 49 680 euros augmentée des pertes de ses comptes bancaires ci-dessus détaillées à hauteur de 90 462 euros, le préjudice total évalué par les services de police à 130 691,90 euros - se divisant en 86 812,97 euros pour les achats par carte bancaire et 43 878 93 euros au titre des chèques - a laissé un solde de 9 450,10 euros pour Mme [I] [X] pour ses dépenses personnelles, soit 262 euros par mois pour se nourrir et se vêtir », la cour d'appel, dont le calcul du prétendu préjudice allégué par Mme [X] et l'appréciation de la crédibilité du décompte effectué par les forces de l'ordre procèdent de motifs inintelligibles, n'a pas légalement justifié sa décision ;
5°/ qu'en toute hypothèse, si les juges du fond apprécient souverainement le montant de l'indemnité propre à réparer le préjudice causé par l'infraction dont le prévenu a été déclaré coupable, cette appréciation cesse d'être souveraine lorsqu'elle est déduite de motifs insuffisants, contradictoires ou erronés, ou ne répondant pas aux conclusions des parties ; qu'en se bornant à juger, pour imputer aux prévenues l'intégralité des paiements et retraits supérieurs à 100 euros effectués au moyen de la carte bancaire de Mme [X] pendant une période de 3 ans, qu'il était crédible que celle-ci ait pu vivre avec 262 euros par mois « pour se nourrir et se vêtir », sans mieux s'expliquer sur l'ensemble des autres dépenses de la vie courante que Mme [X] avait nécessairement exposées (dépenses de logement, eau, électricité, gaz, assurance, téléphone, impôts et taxes ?), la cour d'appel n'a pas légalement justifié sa décision. »
Réponse de la Cour
7. Pour confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a condamné solidairement Mmes [M] et [O] à payer à Mme [X] la somme de 129 050,70 euros en réparation de son préjudice matériel, l'arrêt attaqué énonce que la somme de 86 812,97 euros, correspondant à la fraction du préjudice lié à l'usage de la carte bancaire de la victime, a été déterminée sur la base du résultat de l'enquête de police qui s'est fondée sur les déclarations de Mme [X].
8. Les juges relèvent que les variations de solde des comptes bancaires de la victime font apparaître 90 462 euros d'opérations portées à leur débit entre janvier 2006 et décembre 2008.
9. Ils ajoutent que ces débits, cumulés aux revenus perçus par Mme [X] sur la même période, permettent d'évaluer à 140 142 euros le montant des ressources dont elle a disposé.
10. Ils retiennent que, combinée au montant du préjudice lié aux paiements par chèques, l'évaluation à 86 812,97 euros de celui induit par l'usage de la carte bancaire de Mme [X] lui a laissé un reliquat de revenus de 262 euros mensuels « pour se nourrir et se vêtir », estimé cohérent avec son « mode de vie économe ».
11. En l'état de ces énonciations, dont il résulte que les juges ont évalué, par leur calcul, sans perte ni profit pour la partie civile, dans l'exercice de leur pouvoir souverain d'appréciation et dans la limite des conclusions qui leur étaient soumises, le préjudice de Mme [X], la cour d'appel a justifié sa décision.
12. Dès lors, le moyen, n'est pas fondé.
13. Par ailleurs, l'arrêt est régulier en la forme.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE les pourvois ;
FIXE à 2 500 euros la somme globale que Mme [C] [M] et Mme [K] [O] devront payer à Mme [X] en application de l'article 618-1 du code de procédure pénale et de l'article 37, alinéa 2, de la loi du 10 juillet 1991 modifiée ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président en son audience publique du vingt et un mars deux mille vingt-trois.