LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
SOC.
OR
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 17 mai 2023
Cassation partielle
M. HUGLO, conseiller doyen
faisant fonction de président
Arrêt n° 559 F-D
Pourvoi n° U 21-24.159
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 17 MAI 2023
M. [S] [Z], domicilié [Adresse 1], a formé le pourvoi n° U 21-24.159 contre l'arrêt rendu le 15 septembre 2021 par la cour d'appel de Versailles (19e chambre), dans le litige l'opposant à la société Fime, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 2], venant aux droits de la société Silicomp Management, défenderesse à la cassation.
La société Fime a formé un pourvoi incident contre le même arrêt.
Le demandeur au pourvoi principal invoque, à l'appui de son recours, trois moyens de cassation.
La demanderesse au pourvoi incident invoque, à l'appui de son recours, deux moyens de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Bérard, conseiller, les observations de la SARL Cabinet François Pinet, avocat de M. [Z], de la SCP Lyon-Caen et Thiriez, avocat de la société Fime, après débats en l'audience publique du 5 avril 2023 où étaient présents M. Huglo, conseiller doyen faisant fonction de président, Mme Bérard, conseiller rapporteur, M. Rinuy, conseiller, et Mme Dumont, greffier de chambre,
la chambre sociale de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Versailles, 15 septembre 2021), M. [Z] (le salarié) a été engagé en qualité de consultant le 3 juin 1996 par la société Qualience, devenue par la suite Silicomp Management, aux droits de laquelle vient la société Fime (la société).
2. A compter de février 2002, le salarié a exercé divers mandats de représentant du personnel.
3. Le 29 mai 2002, il a saisi la juridiction prud'homale d'une demande de condamnation de son employeur à lui payer un rappel de salaires.
4. Il a été licencié pour motifs disciplinaires le 14 avril 2004, après une autorisation de l'inspecteur du travail qui a été annulée par un arrêt du Conseil d'Etat du 17 juillet 2013.
5. Le salarié a été réintégré dans les effectifs de la société le 13 octobre 2013.
6. Il a pris acte de la rupture de son contrat de travail aux torts de la société le 11 juillet 2014.
7. Au dernier état de ses demandes devant la juridiction prud'homale, le salarié a notamment demandé de condamner la société à lui verser diverses sommes à titre de rappel de salaires et indemnités relatifs à la période précédant sa réintégration, ainsi qu'à celle l'ayant suivie, dire son licenciement du 14 avril 2004 sans cause réelle et sérieuse, condamner l'employeur à lui verser diverses sommes à ce titre ainsi que pour discrimination et entrave à l'exercice de ses fonctions de représentant du personnel, requalifier sa prise d'acte en licenciement sans cause réelle et sérieuse et condamner la société à lui verser diverses sommes à ce titre.
Examen des moyens
Sur le premier et le troisième moyens du pourvoi principal, ainsi que sur le premier et le second moyens du pourvoi incident
8. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces moyens qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Mais sur le deuxième moyen du pourvoi principal, pris en sa première branche
Enoncé du moyen
9. Le salarié fait grief à l'arrêt de le débouter de sa demande de dommages-intérêts pour discrimination et entrave à l'exercice de ses fonctions de représentant du personnel, alors : « que lorsque le salarié présente des éléments de fait constituant selon lui une discrimination directe ou indirecte, il appartient au juge d'apprécier si ces éléments, pris dans leur ensemble, laissent supposer l'existence d'une telle discrimination et, dans l'affirmative, il incombe à l'employeur de prouver que ses décisions sont justifiées par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a rappelé que ''M. [Z] soutient qu'il a été victime de discrimination syndicale, laquelle s'est manifestée dans les mesures disciplinaires et le licenciement prononcés à son encontre''et que ''cette discrimination a entraîné une dégradation de son état de santé'' ; que, pour débouter le salarié de sa demande, la cour d'appel a retenu que « les arrêts de travail pour maladie d'origine non professionnelle de mai, juin et octobre 2003 versés aux débats mentionnent une "crise d'angoisse" ou un "syndrome dépressif réactionnel" » et en a déduit que ''ces pièces ne démontrent aucun lien de causalité entre la dégradation de l'état de santé de M. [Z] et ses conditions de travail'' ; qu'en statuant ainsi, quand il lui appartenait de rechercher si ces éléments, pris dans leur ensemble, laissaient supposer l'existence d'une discrimination syndicale et, le cas échéant, si l'employeur justifiait ses décisions par des éléments objectifs et étrangers à toute discrimination, la cour d'appel a violé l'article L. 122- 45 du code du travail en ses rédactions successivement applicables au litige, antérieures à celle issue de la loi n° 2005-102 du 11 février 2005. »
Réponse de la Cour
Vu l'article L. 122-45 du code du travail dans sa rédaction antérieure à la loi n° 2005-102 du 11 février 2005 et l'article L. 412-2 du même code, devenus les articles L. 1132-1 et L. 2141-5 :
10. Il résulte de ces textes que, lorsque le salarié présente des éléments de fait constituant selon lui une discrimination directe ou indirecte, il appartient au juge d'apprécier si ces éléments pris dans leur ensemble laissent supposer l'existence d'une telle discrimination et, dans l'affirmative, il incombe à l'employeur de prouver que ses décisions sont justifiées par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination.
11. Pour débouter le salarié de sa demande de dommages-intérêts pour discrimination et entrave à l'exercice de ses fonctions de représentant du personnel, l'arrêt, après avoir relevé que le salarié invoque à ce titre les mesures disciplinaires et le licenciement prononcés à son encontre ayant entraîné une dégradation de son état de santé, retient qu'en tout état de cause les arrêts de travail pour maladie d'origine non professionnelle de mai, juin et octobre 2003 versés aux débats mentionnent une « crise d'angoisse » ou un « syndrome dépressif réactionnel » et que ces pièces ne démontrent aucun lien de causalité entre la dégradation de l'état de santé du salarié et ses conditions de travail.
12. En statuant ainsi, alors qu'il lui appartenait préalablement de rechercher si les faits présentés par le salarié ne laissaient pas supposer l'existence d'une discrimination et si, dans l'affirmative, l'employeur prouvait que ses décisions étaient justifiées par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination, la cour d'appel a violé les textes susvisés.
PAR CES MOTIFS, la Cour, sans qu'il y ait lieu de statuer sur l'autre grief :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il déboute M. [Z] de sa demande de dommages-intérêts au titre de la discrimination et de l'entrave à l'exercice de ses fonctions de représentant du personnel, l'arrêt rendu le 15 septembre 2021, entre les parties, par la cour d'appel de Versailles ;
Remet, sur ce point, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Versailles autrement composée ;
Condamne la société Fime aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société Fime et la condamne à payer à M. [Z] la somme de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du dix-sept mai deux mille vingt-trois.