LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :
N° Q 22-83.338 F-B
N° 00836
MAS2
27 JUIN 2023
CASSATION PARTIELLE SANS RENVOI
M. BONNAL président,
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 27 JUIN 2023
Mme [W] [H] a formé un pourvoi contre l'arrêt de la cour d'appel de Paris, chambre 4-10, en date du 17 mars 2021, qui, pour pratiques commerciales trompeuses, l'a condamnée à deux-cents jours-amende de 1 000 euros et dix ans d'interdiction de gérer, a ordonné la publication de la décision et a prononcé sur les intérêts civils.
Des mémoires, en demande et en défense, ainsi que des observations complémentaires ont été produits.
Sur le rapport de M. Rouvière, conseiller référendaire, les observations de la SCP Spinosi, avocat de Mme [W] [H], les observations de la SARL Cabinet Rousseau et Tapie, avocat de M. [N] [E], les observations de la SARL Boré, Salve de Bruneton et Mégret, avocat de l'[6], les observations de la SCP Le Griel, avocat de Mme [L] [B], et les conclusions de M. Croizier, avocat général, après débats en l'audience publique du 31 mai 2023 où étaient présents M. Bonnal, président, M. Rouvière, conseiller rapporteur, Mme Ingall-Montagnier, conseiller de la chambre, et Mme Sommier, greffier de chambre,
la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée en application de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure ce qui suit.
2. La société [1] ([1]), dirigée par Mme [W] [H], exploitant plusieurs enseignes ou marques parmi lesquelles « [2] », « [4] » et « [5] », organisait des jeux-concours destinés aux consommateurs, consistant en des loteries avec pré-tirage ou post-tirage.
3. Saisie par le procureur de la République, mais aussi directement destinataire des réclamations de consommateurs, la [3] ([3]) a mené une enquête sur les pratiques commerciales de la société [1], à l'issue de laquelle Mme [H] a été poursuivie du chef de pratiques commerciales trompeuses.
4. Les juges du premier degré l'ont déclarée coupable, condamnée à 90 000 euros d'amende, ont ordonné la publication de la décision et prononcé sur les intérêts civils.
5. L'association [6] ([6]), M. [K] [I], parties civiles, et Mme [H] ont relevé appel de cette décision.
Examen des moyens
Sur le premier moyen, pris en ses première, troisième et quatrième branches, et les deuxième, troisième, quatrième, cinquième et septième moyens
6. Les griefs ne sont pas de nature à permettre l'admission du pourvoi au sens de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale.
Sur le premier moyen, pris en sa deuxième branche
Enoncé du moyen
7. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il n'a que partiellement fait droit aux exceptions de nullité que soulevait Mme [H], alors :
« 2°/ qu'en se bornant pour écarter le moyen tiré de la déloyauté du recours au procédé du client mystère, à retenir que cette méthode d'investigation avait été consacrée par la loi Hamon du 17 mars 2014 (arrêt, p. 17), sans rechercher, comme elle y était invitée (conclusions in limine litis n° 3, p. 9) et selon les circonstances propres à l'espèce, si le recours à cette méthode n'avait pas consisté en un stratagème de nature à vicier la recherche de la preuve, la cour d'appel a méconnu le principe de loyauté de la preuve, l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme et l'article préliminaire du code de procédure pénale. »
Réponse de la Cour
8. Pour rejeter l'exception de nullité tirée du recours à la méthode du client mystère, l'arrêt attaqué énonce, notamment, que les courriers transmis par les plaignants ayant été ouverts avant de parvenir à la [3], des éléments étant susceptibles d'être manquants, d'autres étant raturés, surlignés ou photocopiés, et afin d'éviter de fausser leur étude, une commande de madeleines a été passée sur le site internet de « [2] », le 2 octobre 2015, sous l'identité de M. [P], directeur départemental, en mentionnant ses coordonnées téléphoniques professionnelles et l'adresse du service.
9. Les juges ajoutent qu'il n'est pas démontré que le défaut d'impartialité qui résulterait des méthodes d'enquête utilisées par la [3] ait eu pour effet de porter atteinte au caractère équitable et contradictoire de la procédure ou de compromettre l'équilibre des droits des parties.
10. En l'état de ces énonciations, la cour d'appel a fait l'exacte application des principes et textes visés au moyen.
11. En effet, les enquêteurs ont eu recours à un procédé conforme aux dispositions des articles L. 215-3-4 du code de la consommation, en vigueur jusqu'au 1er juillet 2016, et L. 512-16 du même code, applicable depuis cette date, sans provoquer l'infraction et sans contournement ni détournement de procédure ayant pour objet ou pour effet de vicier la recherche de la preuve en portant atteinte à l'un des droits essentiels ou à l'une des garanties fondamentales de Mme [H].
12. Ainsi le moyen n'est pas fondé.
Mais sur le sixième moyen
Enoncé du moyen
13. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a condamné Mme [H] à une peine complémentaire d'interdiction de diriger, d'administrer, de gérer ou de contrôler à un titre quelconque, directement ou indirectement, pour son propre compte ou pour le compte d'autrui, une entreprise commerciale ou industrielle ou une société commerciale pendant une durée de dix ans, alors « qu'il découle du principe de légalité des peines que les juges ne sauraient prononcer une peine non prévue par la loi ; qu'en prononçant une interdiction de gérer d'une durée de dix ans lorsque cette interdiction excède le maximum prévu par la loi, fixé à cinq ans par l'article L. 121-6 du code de la consommation, devenu l'article L. 132-3, la cour d'appel a violé ce texte, ensemble les articles 7 de la Convention européenne des droits de l'homme et 111-3 du code pénal. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 111-3 du code pénal :
14. Selon ce texte, nul ne peut être puni d'une peine qui n'est pas prévue par la loi.
15. Après avoir déclaré Mme [H] coupable de pratiques commerciales trompeuses, l'arrêt attaqué l'a condamnée à dix ans d'interdiction de gérer.
16. En prononçant ainsi une peine excédant le maximum prévu par les articles L. 121-6, dans sa rédaction antérieure au 1er juillet 2016, et L. 132-3 du code de la consommation réprimant le délit reproché, la cour d'appel a méconnu le texte susvisé et le principe ci-dessus rappelé.
17. La cassation est par conséquent encourue de ce chef.
Portée et conséquences de la cassation
18. La cassation sera limitée à la peine d'interdiction de gérer, dès lors que la déclaration de culpabilité et la peine de jours-amende n'encourent pas la censure. Elle aura lieu sans renvoi, la Cour de cassation étant en mesure d'appliquer directement la règle de droit et de mettre fin au litige, ainsi que le permet l'article L. 411-3 du code de l'organisation judiciaire.
Examen des demandes fondées sur l'article 618-1 du code de procédure pénale
19. Les dispositions de ce texte sont applicables en cas de rejet du pourvoi, qu'il soit total ou partiel. La déclaration de culpabilité de Mme [H] étant devenue définitive par suite de la non-admission ou du rejet des premier à cinquième moyens, il y a lieu de faire partiellement droit à la demande.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
CASSE et ANNULE l'arrêt susvisé de la cour d'appel de Paris, en date du 17 mars 2021, mais en ses seules dispositions relatives à la peine d'interdiction de gérer, toutes autres dispositions étant expressément maintenues ;
DIT n'y avoir lieu à renvoi ;
DIT que la peine complémentaire prononcée à l'encontre de Mme [H] est l'interdiction d'exercer une profession commerciale ou industrielle, de diriger, d'administrer, de gérer ou de contrôler à un titre quelconque, directement ou indirectement, une entreprise commerciale ou industrielle ou une société commerciale, pour une durée de cinq ans ;
FIXE à 2 500 euros la somme que Mme [H] devra payer à l'[6] en application de l'article 618-1 du code de procédure pénale ;
FIXE à 2 500 euros la somme que Mme [H] devra payer à M. [N] [E] en application de l'article 618-1 du code de procédure pénale ;
FIXE à 2 500 euros la somme que Mme [H] devra payer à la SCP Le Griel en application de l'article 618-1 du code de procédure pénale et de l'article 37, alinéa 2, de la loi du 10 juillet 1991 modifiée ;
ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la cour d'appel de Paris et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement annulé.
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-sept juin deux mille vingt-trois.