LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
SOC.
AF1
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 6 septembre 2023
Cassation partielle
M. HUGLO, conseiller doyen
faisant fonction de président
Arrêt n° 846 F-D
Pourvoi n° M 22-11.046
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 6 SEPTEMBRE 2023
1°/ M. [K] [B], domicilié [Adresse 3],
2°/ le syndicat CGT Schindler, dont le siège est [Adresse 1],
ont formé le pourvoi n° M 22-11.046 contre l'arrêt rendu le 25 novembre 2021 par la cour d'appel de Versailles (6e chambre), dans le litige les opposant à la société Schindler, société anonyme, dont le siège est [Adresse 2], défenderesse à la cassation.
La défenderesse a formé un pourvoi incident contre le même arrêt.
Les demandeurs invoquent, à l'appui de leur pourvoi, deux moyens de cassation.
La demanderesse au pourvoi incident invoque, à l'appui de son recours, un moyen de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Ollivier, conseiller référendaire, les observations de la SCP Thouvenin, Coudray et Grévy, avocat de M. [B], et du syndicat CGT Schindler, de la SCP Célice, Texidor, Périer, avocat de la société Schindler, après débats en l'audience publique du 14 juin 2023 où étaient présents M. Huglo, conseiller doyen faisant fonction de président, Mme Ollivier, conseiller référendaire rapporteur, Mme Ott, conseiller, et Mme Pontonnier, greffier de chambre,
la chambre sociale de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Versailles, 25 novembre 2021) et les pièces de la procédure, M. [B] a été engagé en qualité de technicien de maintenance au sein de l'établissement Schindler Méditerranée agence d'[Localité 4] par un contrat de travail à durée déterminée par la société Schindler le 3 janvier 1994, puis par un contrat à durée indéterminée à compter du 30 juillet 1994.
2. L'employeur lui a notifié deux mises à pied disciplinaires le 30 octobre 2012 et le 10 décembre 2012.
3. Le salarié a participé à un mouvement de grève à compter du 22 avril 2014.
4. Par lettre du 15 mai 2014, l'employeur l'a convoqué à un entretien préalable à un éventuel licenciement fixé au 26 mai 2014. Son licenciement pour faute grave lui a été notifié par lettre du 6 juin 2014.
5. Par requête reçue au greffe le 13 juin 2016, le salarié et le syndicat CGT Schindler (le syndicat) ont saisi la juridiction prud'homale afin, notamment, d'obtenir la nullité des mises à pied disciplinaires et du licenciement notifiés et d'obtenir le paiement de diverses sommes.
Examen des moyens
Sur le moyen du pourvoi incident
6. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen qui est irrecevable.
Mais sur le premier moyen du pourvoi principal
Enoncé du moyen
7. Le syndicat et le salarié font grief à l'arrêt de débouter le salarié de sa demande de dommages-intérêts pour discrimination syndicale et d'allouer au syndicat la seule somme de 800 euros à titre indemnitaire pour atteinte aux intérêts collectifs de la profession, alors « que lorsqu'une discrimination est invoquée, il appartient au juge de se prononcer sur tous les éléments avancés par le salarié et de dire si, pris dans leur ensemble, les éléments établis laissent présumer l'existence d'une discrimination ; qu'au titre de la discrimination syndicale qu'il dénonçait, M. [B] faisait notamment état d'un considérable retard d'évolution salariale et de sanctions concomitantes avec des actions syndicales ; que, pour écarter la discrimination dénoncée, la cour d'appel s'est bornée à retenir que ''l'appartenance syndicale de M. [B] est un élément connu de la direction depuis 2008 sans qu'aucun fait spécifique et utile ne puisse permettre de retenir un lien entre cette appartenance et le licenciement intervenu le 6 juin 2014'' ; qu'en écartant la discrimination par ces motifs impropres sans se prononcer sur les éléments avancés par le salarié ni a fortiori dire s'ils laissaient présumer l'existence d'une discrimination, la cour d'appel a violé l'article L. 1134-1 du code du travail. »
Réponse de la Cour
Vu les articles L. 1132-1, L. 1134-1, dans leur rédaction applicable en la cause, et L. 2141-5, alinéa 1er, du code du travail :
8. En application des deux premiers textes susvisés, lorsque le salarié présente des éléments de fait constituant selon lui une discrimination directe ou indirecte, il appartient au juge d'apprécier si ces éléments dans leur ensemble laissent supposer l'existence d'une telle discrimination et, dans l'affirmative, il incombe à l'employeur de prouver que ses décisions sont justifiées par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination.
9. Aux termes du troisième texte susvisé, il est interdit à l'employeur de prendre en considération l'appartenance à un syndicat ou l'exercice d'une activité syndicale pour arrêter ses décisions en matière notamment de recrutement, de conduite et de répartition du travail, de formation professionnelle, d'avancement, de rémunération et d'octroi d'avantages sociaux, de mesures de discipline et de rupture du contrat de travail.
10. Pour débouter le salarié de sa demande de dommages-intérêts pour discrimination syndicale et limiter à la somme de 800 euros les dommages-intérêts alloués au syndicat, l'arrêt retient que l'appartenance syndicale du salarié est un élément connu de la direction depuis 2008 sans qu'aucun fait spécifique et utile ne puisse permettre de retenir un lien entre cette appartenance et le licenciement intervenu le 6 juin 2014 et qu'il n'a pas été retenu de discrimination syndicale.
11. En se déterminant ainsi, sans examiner l'ensemble des éléments invoqués par le salarié et le syndicat de nature à supposer l'existence d'une discrimination, notamment le retard d'évolution salariale, le lien entre les mises à pied disciplinaires notifiées au salarié et son appartenance syndicale et l'exercice de son droit de grève, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision.
Et sur le second moyen du même pourvoi, pris en sa première branche
Enoncé du moyen
12. Le salarié et le syndicat font grief à l'arrêt de débouter le salarié de ses demandes tendant à annuler son licenciement, ordonner sa réintégration et au paiement des salaires et congés payés dus au titre du licenciement nul, ainsi que de sa demande tendant à ordonner à l'employeur le retrait de tous les exemplaires des sanctions annulées des dossiers en version papier et informatique, et d'allouer au syndicat la seule somme de 800 euros à titre indemnitaire pour atteinte aux intérêts collectifs de la profession, alors « qu'est nul le licenciement prononcé en considération des activités syndicales du salarié ; que la cassation à intervenir sur le premier moyen, relatif à la discrimination syndicale, emportera la cassation par voie de conséquence des chefs du dispositif critiqués par le présent moyen en application des dispositions de l'article 624 du code de procédure civile. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 624 du code de procédure civile :
13. La cassation prononcée sur le premier moyen du pourvoi principal entraîne la cassation, par voie de conséquence, des chefs de dispositif de l'arrêt déboutant le salarié de ses demandes d'annuler son licenciement, d'ordonner sa réintégration, de paiement des salaires et congés payés dus au titre du licenciement nul et de sa demande d'ordonner à l'employeur le retrait de tous les exemplaires des sanctions annulées des dossiers en version papier et informatique.
Portée et conséquences de la cassation
14. En application de l'article 624 du code de procédure civile, la cassation des chefs de dispositif déboutant le salarié de ses demandes au titre de la discrimination syndicale et au titre de la nullité du licenciement entraîne la cassation des chefs de dispositif condamnant l'employeur à payer au salarié une certaine somme à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, ordonnant le remboursement par l'employeur à Pôle emploi des indemnités de chômage versées au salarié, dans la limite de deux mois, et déclarant irrecevable par confirmation du jugement les demandes du syndicat CGT Schindler, qui s'y rattachent par un lien d'indivisibilité ou de dépendance nécessaire.
15. La cassation des chefs de dispositif déboutant le salarié de ses demandes de dommages-intérêts au titre de la discrimination syndicale, d'annuler son licenciement, d'ordonner sa réintégration, de paiement des salaires et congés payés dus au titre du licenciement nul, de sa demande d'ordonner à l'employeur le retrait de tous les exemplaires des sanctions annulées des dossiers en version papier et informatique, condamnant l'employeur à payer au salarié une certaine somme à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, ordonnant le remboursement par l'employeur à Pôle emploi des indemnités de chômage versées au salarié, dans la limite de deux mois, déclarant le syndicat irrecevable en ses demandes et limitant la condamnation de l'employeur au paiement de la somme de 800 euros au syndicat pour atteinte aux intérêts collectifs de la profession n'emporte pas celle des chefs de dispositif de l'arrêt condamnant l'employeur aux dépens ainsi qu'au paiement d'une somme en application de l'article 700 du code de procédure civile, justifiés par d'autres condamnations prononcées à l'encontre de celui-ci et non remises en cause.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :
REJETTE le pourvoi incident ;
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il déboute M. [B] de ses demandes de dommages-intérêts au titre d'une discrimination syndicale, d'annuler son licenciement, d'ordonner sa réintégration, de paiement des salaires et congés payés dus au titre du licenciement nul, de sa demande d'ordonner à la société Schindler le retrait de tous les exemplaires des sanctions annulées des dossiers en version papier et informatique, en ce qu'il condamne la société Schindler à payer à M. [B] la somme de 15 000 euros à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, en ce qu'il ordonne le remboursement par la société Schindler à Pôle emploi des indemnités de chômage versées à M. [B], dans la limite de deux mois, en ce qu'il déclare le syndicat CGT Schindler irrecevable en ses demandes et en ce qu'il limite la condamnation de la société Schindler au paiement de la somme de 800 euros au syndicat CGT Schindler pour atteinte aux intérêts collectifs de la profession, l'arrêt rendu le 25 novembre 2021, entre les parties, par la cour d'appel de Versailles ;
Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Versailles autrement composée ;
Condamne la société Schindler aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société Schindler et la condamne à payer à M. [B] et au syndicat CGT Schindler la somme globale de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du six septembre deux mille vingt-trois.