LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
SOC.
HP
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 4 octobre 2023
Cassation
M. HUGLO, conseiller doyen
faisant fonction de président
Arrêt n° 989 F-D
Pourvoi n° K 22-14.679
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 4 OCTOBRE 2023
1°/ M. [X] [Y], domicilié [Adresse 2],
2°/ le syndicat CFDT énergie Alsace, dont le siège est [Adresse 1],
ont formé le pourvoi n° K 22-14.679 contre l'arrêt rendu le 11 février 2022 par la cour d'appel de Colmar (chambre sociale, section A), dans le litige les opposant à la société Rossmann, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 3], défenderesse à la cassation.
Les demandeurs invoquent, à l'appui de leur pourvoi, un moyen unique de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Lanoue, conseiller référendaire, les observations de la SCP Thouvenin, Coudray et Grévy, avocat de M. [Y] et du syndicat CFDT énergie Alsace, de la SCP Fabiani, Luc-Thaler et Pinatel, avocat de la société Rossmann, et après débats en l'audience publique du 6 septembre 2023 où étaient présents M. Huglo, conseiller doyen faisant fonction de président, Mme Lanoue, conseiller référendaire rapporteur, M. Rinuy, conseiller, et Mme Jouanneau, greffier de chambre,
la chambre sociale de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Colmar, 11 février 2022), M. [Y] a été engagé en qualité d'opérateur sur machine automatisée à compter du 1er novembre 1999 par la société Rossmann (la société). Il occupait en dernier lieu le poste de conducteur découpoir Fossati. A compter de 2006, il a exercé des mandats représentatifs et syndicaux.
2. Il a saisi la juridiction prud'homale le 19 février 2019 aux fins d'obtenir la modification de son taux horaire, un rappel de salaire et des dommages-intérêts, invoquant être victime d'une discrimination syndicale, subsidiairement d'un non-respect du principe d'égalité de traitement. Le syndicat CFDT de la chimie et de l'énergie d'Alsace (le syndicat) est intervenu volontairement à la procédure.
Examen du moyen
Enoncé du moyen
3. Le salarié et le syndicat font grief à l'arrêt de débouter le salarié de ses demandes au titre de la discrimination syndicale et de rejeter la demande du syndicat à titre de dommages-intérêts pour atteinte à l' intérêt collectif de la profession, alors « que lorsque le salarié présente des éléments de fait constituant, selon lui, une discrimination directe ou indirecte, il appartient au juge d'apprécier si ces éléments, pris dans leur ensemble, laissent supposer l'existence d'une telle discrimination et, dans l'affirmative, il incombe à l'employeur de prouver que ses décisions sont justifiées par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a retenu comme établis, d'une part, l'exercice par le salarié exposant depuis 2006 de différents mandats électifs et syndicaux pour le syndicat CFDT et, d'autre part, une différence de rémunération continue et injustifiée en sa défaveur du 1er janvier 2008 au 1er janvier 2019 en comparaison avec un autre salarié engagé en décembre 2006 et exerçant le même travail, soit des éléments laissant supposer une discrimination syndicale ; qu'en retenant que les éléments invoqués par le salarié, même pris ensemble, ne laissent pas supposer l'existence d'une discrimination directe ou indirecte en raison de l'appartenance syndicale, aux motifs que celui-ci n'explique pas en quoi cette différence d'évolution serait liée à son activité syndicale" quand il résultait de ses propres constations que les éléments invoqués laissaient supposer une discrimination syndicale et qu'il appartenait, non pas au salarié, mais à l'employeur de démontrer que sa décision reposait sur des motifs objectifs étrangers à toute discrimination, la cour d'appel a violé les articles L. 1132-1 du code du travail, dans sa rédaction issue de la loi n° 2017-256 du 28 février 2017, et les articles L. 1134-1 et L. 2141-5, alinéa 1er, du code du travail. »
Réponse de la Cour
Vu l'article L. 1132-1, dans sa rédaction issue de la la loi n° 2019-486 du 22 mai 2019, les articles L. 1134-1 et L. 2141-5 du code du travail :
4. En application du deuxième des textes susvisés, lorsque le salarié présente des éléments de fait constituant selon lui une discrimination directe ou indirecte, il appartient au juge d'apprécier si ces éléments, pris dans leur ensemble, laissent supposer l'existence d'une telle discrimination et, dans l'affirmative, il incombe à l'employeur de prouver que ses décisions sont justifiées par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination.
5. Pour débouter le salarié et le syndicat de leurs demandes au titre de la discrimination syndicale, l'arrêt retient que, si le salarié justifie de ce qu'un collègue, exerçant les mêmes fonctions que lui, a bénéficié d'une évolution de rémunération plus favorable que la sienne, il n'explique pas en quoi cette différence d'évolution serait liée à son activité syndicale.
6. En statuant ainsi, après avoir constaté que le salarié, affecté au poste de conducteur découpoir Fossati à compter du 1er janvier 2007, comparait sa situation avec celle d'un collègue, engagé le 4 décembre 2006 au même poste, et que le salaire de ce dernier était supérieur à celui du salarié de 11 % le 1er janvier 2008, de 22 % le 1er janvier 2013, de 16 % le 1er janvier 2016 et de 18,5 % le 1er janvier 2019, la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations et a fait peser la charge de la preuve sur le seul salarié, a violé les textes susvisés.
Portée et conséquences de la cassation
7. En application de l'article 624 du code de procédure civile, la cassation des chefs de dispositif de l'arrêt relatifs à la discrimination syndicale entraîne la cassation des chefs de dispositif relatifs à l'inégalité de traitement qui s'y rattachent par un lien de dépendance nécessaire, les demandes formulées au titre de l'inégalité de traitement l'étant à titre subsidiaire.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 11 février 2022, entre les parties, par la cour d'appel de Colmar ;
Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Metz ;
Condamne la société Rossmann aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société Rossmann et la condamne à payer à M. [Y] et au syndicat CFDT de la chimie et de l'énergie d'Alsace la somme globale de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du quatre octobre deux mille vingt-trois.