LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
SOC.
HP
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 4 octobre 2023
Cassation partielle
M. HUGLO, conseiller doyen
faisant fonction de président
Arrêt n° 990 F-D
Pourvoi n° B 22-15.269
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 4 OCTOBRE 2023
M. [X] [W], domicilié [Adresse 2], a formé le pourvoi n° B 22-15.269 contre l'arrêt rendu le 17 février 2022 par la cour d'appel de Versailles (6e chambre), dans le litige l'opposant à la société Idemia France, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 1], venant aux droits de la société Oberthur technologies, défenderesse à la cassation.
Le demandeur invoque, à l'appui de son pourvoi, trois moyens de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Lanoue, conseiller référendaire, les observations de la SCP Fabiani, Luc-Thaler et Pinatel, avocat de M. [W], de la SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol, avocat de la société Idemia France, après débats en l'audience publique du 6 septembre 2023 où étaient présents M. Huglo, conseiller doyen faisant fonction de président, Mme Lanoue, conseiller référendaire rapporteur, M. Rinuy, conseiller, et Mme Jouanneau, greffier de chambre,
la chambre sociale de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Versailles, 17 février 2022), M. [W] a été engagé en qualité d'auditeur interne groupe, statut cadre, à compter du 1er avril 2005 par la société des participations Savare devenue, en juin 2005, la société François-Charles Oberthur. Le 1er décembre 2007, son contrat de travail a été transféré à la société François-Charles Oberthur fiduciaire (FCOF). A compter du 1er mai 2010, il a été expatrié au sein de la société Oberthur India Technologies Private Limited, en Inde, en qualité de responsable du contrôle financier, pour une mission d'une durée initiale de 18 mois, qui a été prolongée jusqu'au 30 juin 2012. Le 1er novembre 2011, son contrat de travail a été transféré à la société Oberthur technologies, aux droits de laquelle vient la société Idemia France (la société).Dans le dernier état de la relation contractuelle, il occupait un poste de manager audit.
2. Convoqué le 20 mars 2012 à un entretien préalable à un éventuel licenciement, il a été licencié le 12 avril 2012 pour cause réelle et sérieuse.
3. Invoquant un harcèlement moral et le non-respect de l'obligation de sécurité, il a saisi la juridiction prud'homale le 18 février 2013 en nullité de ce licenciement, subsidiairement à ce qu'il soit jugé sans cause réelle et sérieuse et en paiement de diverses sommes à titre d'indemnités.
Examen du moyen
Sur le premier moyen
4. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Mais sur le deuxième moyen, pris en ses deuxième et troisième branches
Enoncé du moyen
5. Le salarié fait grief à l'arrêt de le débouter de sa demande de dommages-intérêts pour violation de l'obligation de sécurité, alors :
« 2°/ que l'obligation de prévention des risques professionnels qui pèse sur l'employeur est distincte de la prohibition des agissements de harcèlement moral et ne se confond pas avec elle ; qu'en déboutant M. [W] de sa demande de dommages-intérêts pour manquement de l'employeur qui n'avait diligenté aucune enquête à la suite de la dénonciation de faits de harcèlement, à son obligation de sécurité, aux motifs que le harcèlement moral allégué a été précédemment écarté" quand cela ne suffisait pas à écarter tout manquement de l'employeur à ses obligations, la cour d'appel a violé les articles L. 4121-1 et suivants du code du travail, dans leur rédaction antérieure à l'ordonnance n°2017-1389 du 22 septembre 2017 ;
3°/ que la charge de la preuve de l'exécution de l'obligation de sécurité de résultat repose exclusivement sur l'employeur ; qu'en déboutant le salarié de sa demande aux motifs que concernant l'hépatite A qu'il avait contractée en Inde, nécessitant son rapatriement et son hospitalisation en France, il n'est pas établi que le billet d'avion de retour n'a pas été pris en charge par l'employeur" la cour d'appel qui a inversé la charge de la preuve, a violé les articles L. 4121-1 et L. 4121-2 du code du travail dans leur rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2017-1389 du 22 septembre 2017. »
Réponse de la Cour
6. Vu l'article L. 1152-1 du code du travail, l'article L. 4121-1 du code du travail, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2017-1389 du 22 septembre 2017, et l'article L. 4121-2 du même code, dans sa rédaction antérieure à la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016 :
7. Il résulte de ces textes que ne méconnaît pas l'obligation légale lui imposant de prendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs, notamment en matière de harcèlement moral, l'employeur qui justifie avoir pris toutes les mesures de prévention prévues par les articles L. 4121-1 et L. 4121-2 du code du travail et qui, informé de l'existence de faits susceptibles de constituer un harcèlement moral, a pris les mesures immédiates propres à le faire cesser.
8. L'obligation de prévention des risques professionnels, qui résulte des deux derniers textes susvisés, est distincte de la prohibition des agissements de harcèlement moral instituée par l'article L. 1152-1 du code du travail et ne se confond pas avec elle.
9. Pour débouter le salarié de ses demandes au titre de la violation de l'obligation de sécurité, l'arrêt retient, d'une part que le harcèlement moral allégué a été écarté, d'autre part que si le salarié expose que lorsqu'il a contracté une hépatite A aiguë en Inde, aucune disposition n'a été prise pour le rapatrier au plus vite, il n'est pas établi que le billet d'avion de retour en France n'a pas été pris en charge.
10. En statuant ainsi, par un motif inopérant et inversant la charge de la preuve, la cour d'appel a violé les textes susvisés.
Et sur le troisième moyen, pris en sa deuxième et sa troisième branches
Enoncé du moyen
11. Le salarié fait grief à l'arrêt de le débouter de sa demande de dommages-intérêts pour licenciement nul ou à tout le moins sans cause réelle et sérieuse, alors :
« 2°/ qu'en ne répondant pas au moyen des conclusions d'appel du salarié qui faisait valoir que son licenciement qui avait été prononcé pour avoir dénoncé des faits de harcèlement, visés dans la lettre de licenciement, était de ce seul fait nécessairement nul, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile ;
3°/ que le salarié qui relate des faits de harcèlement moral ne peut être licencié pour ce motif, sauf mauvaise foi, laquelle consiste dans la connaissance par le salarié de la fausseté des faits dénoncés et ne peut résulter de la seule circonstance qu'ils ne sont pas matériellement établis ; qu'en refusant d'en prononcer la nullité et en jugeant que le licenciement de M. [W], dont la lettre de licenciement lui reprochait d'avoir remis en cause sa hiérarchie directe" en proférant à son endroit des accusations de harcèlement moral", était justifié aux motifs que les accusations de harcèlement portées par le salarié à l'égard de M. [C], dont la cour a retenu qu'elles étaient mal fondées, apparaissent excéder ce qui relève de la liberté d'expression, la cour ayant précédemment relevé que l'appelant ne produisait aucun élément permettant d'établir que les appréciations contenues dans son évaluation n'étaient pas justifiées", la cour d'appel qui a uniquement retenu que le harcèlement moral n'était pas établi et que le salarié ne démontrait pas le caractère erroné des appréciations contenues dans ses évaluations professionnelles, ce qui n'était pas de nature à caractériser sa mauvaise foi, a violé les articles L. 1152-1, L. 1152-2 et L. 1152-3 du code du travail. »
Réponse de la Cour
Vu l'article L. 1152-1, l'article L. 1152-2, dans sa version antérieure à la loi n° 2012-954 du 6 août 2012, et l'article L. 1152-3 du code du travail :
12. Aux termes de l'article L. 1152-2 du code du travail, aucun salarié ne peut être sanctionné, licencié ou faire l'objet d'une mesure discriminatoire, directe ou indirecte notamment en matière de rémunération, de formation, de reclassement, d'affectation, de qualification, de classification, de promotion professionnelle, de mutation ou de renouvellement de contrat, pour avoir subi ou refusé de subir des agissements répétés de harcèlement moral ou pour avoir témoigné de tels agissements ou les avoir relatés. En vertu de l'article L. 1152-3 du même code, toute rupture de contrat de travail intervenue en méconnaissance des articles L. 1152-1 et L. 1152-2 du code précité, toute disposition contraire ou tout acte contraire est nul.
13. Il s'en déduit que le salarié qui relate des faits de harcèlement moral ne peut être licencié pour ce motif sauf mauvaise foi, laquelle ne peut résulter que de la connaissance par le salarié de la fausseté des faits qu'il dénonce.
14. Pour débouter le salarié de sa demande en paiement de dommages-intérêts pour licenciement nul, subsidiairement pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, l'arrêt retient que les griefs de remise en question de la hiérarchie directe, d'insubordination et de remise en cause de l'organisation de la société sont établis, et que ces deux griefs suffisent à justifier le licenciement du salarié qui repose sur une cause réelle et sérieuse, et ce sans qu'il soit nécessaire d'examiner le troisième grief relatif au dénigrement du groupe.
15. En se déterminant ainsi, alors qu'il résultait de ses constatations que la lettre de licenciement reprochait au salarié d'avoir dénoncé l'existence d'un harcèlement moral auprès de l'ancien président de la société et sans rechercher si le salarié avait, par cette lettre, dénoncé des faits dont il connaissait la fausseté, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il déboute M. [W] de sa demande de reconnaissance de nullité du licenciement, de sa demande d'indemnité pour licenciement nul, subsidiairement pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, de sa demande de dommages-intérêts pour violation de l'obligation de sécurité et en ce qu'il statue sur les dépens et l'application de l'article 700 du code de procédure civile, l'arrêt rendu le 17 février 2022, entre les parties, par la cour d'appel de Versailles ;
Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Versailles autrement composée ;
Condamne la société Idemia France aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société Idemia France et la condamne à payer à M. [W] la somme de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du quatre octobre deux mille vingt-trois.