LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
SOC.
HP
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 8 novembre 2023
Cassation partielle
Mme MARIETTE, conseiller doyen
faisant fonction de président
Arrêt n° 2013 F-D
Pourvoi n° J 21-25.990
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 8 NOVEMBRE 2023
M. [I] [P], domicilié [Adresse 2], a formé le pourvoi n° J 21-25.990 contre l'arrêt rendu le 2 novembre 2021 par la cour d'appel de Paris (pôle 6, chambre 11), dans le litige l'opposant à la société RATP Travel Retail, société anonyme, anciennement dénommée société Promo métro, dont le siège est [Adresse 1], défenderesse à la cassation.
Le demandeur invoque, à l'appui de son pourvoi, trois moyens de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Barincou, conseiller, les observations de Me Haas, avocat de M. [P], de la SCP Célice, Texidor, Périer, avocat de la société RATP Travel Retail, après débats en l'audience publique du 3 octobre 2023 où étaient présents Mme Mariette, conseiller doyen faisant fonction de président, M. Barincou, conseiller rapporteur, Mme Grandemange, conseiller, et Mme Aubac, greffier de chambre,
la chambre sociale de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 2 novembre 2021), M. [P] a été engagé, le 4 septembre 1985, par la société Promo métro, devenue la société RATP Travel Retail, et il exerçait en dernier lieu les fonctions de chef de projet technique.
2. Les 12 septembre et 27 décembre 2016, l'employeur a notifié au salarié deux avertissements.
3. Le 23 mars 2017, le salarié a été mis à pied à titre conservatoire et convoqué à un entretien préalable puis a été licencié, par lettre du 6 avril 2017.
4. Le 24 mai 2018, il a saisi la juridiction prud'homale pour contester son licenciement et obtenir le paiement de diverses sommes, notamment au titre d'heures supplémentaires, ainsi que des dommages-intérêts pour harcèlement moral.
Examen des moyens
Sur le premier moyen
Enoncé du moyen
5. M. [P] fait grief à l'arrêt de le débouter de sa demande d'annulation de l'avertissement délivré le 12 septembre 2016, alors « que le salarié jouit dans l'entreprise et en dehors de celle-ci de sa liberté d'expression à laquelle seules des restrictions justifiées par la nature de la tâche à accomplir et proportionnées au but recherché peuvent être apportées ; qu'en relevant, pour en déduire le caractère justifié de l'avertissement notifié le 12 septembre 2016, que les termes du courriel adressé à son supérieur hiérarchique apparaissent excessifs et que le salarié, invité à s'expliquer sur les propos tenus, n'avait pas apporté de réponse claire, cependant que, dans ce courriel, le salarié se contentait de contester ses conditions de travail sans employer de termes injurieux, diffamatoires ou excessifs, la cour d'appel a violé l'article L. 1121-1 du code du travail, ensemble les articles 11 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen et 10 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. »
Réponse de la Cour
Vu l'article L. 1121-1 du code du travail :
6. Il résulte de ce texte que, sauf abus résultant de propos injurieux, diffamatoires ou excessifs, le salarié jouit, dans l'entreprise et en dehors de celle-ci, de sa liberté d'expression à laquelle seules des restrictions justifiées par la nature de la tâche à accomplir et proportionnées au but recherché peuvent être apportées.
7. Pour rejeter la demande d'annulation de l'avertissement délivré le 12 septembre 2016, l'arrêt constate d'abord qu'il est ainsi libellé : « par courriel adressé à votre ancien responsable hiérarchique, M. F., en date du 12 juillet 2016, vous lui indiquez qu'il fait preuve d'une agitation inappropriée, vous faites notamment état d'une « gestion douteuse » des entretiens annuels, d'une « organisation délétère » et de « conduites abusives » tenues au sein de votre service (...) je ne peux admettre la teneur et le ton que vous employez dans ce courriel. Vous indiquez enfin que si vous l'estimez nécessaire, cette affaire se poursuivra dans un cadre juridique. Les propos tenus et le ton que vous employez dans ce courriel sont exagérés, dénigrants, déplacés et menaçants vis-à-vis de votre encadrement. Ces critiques ne sont aucunement constructives. »
8. L'arrêt retient ensuite, après avoir relevé que le salarié ne conteste pas avoir tenu les propos qui lui sont reprochés, qu'ils apparaissent à tout le moins excessifs d'autant que pressé de se justifier et de s'expliquer, le salarié a refusé de répondre aux convocations de son supérieur et aux questions de la direction des ressources humaines de sorte que, contrairement à ce qu'il prétend, il a été invité à s'expliquer sur les propos qu'il avait tenus et ne peut donc pas reprocher à son employeur d'avoir tenté d'attenter à sa liberté d'expression. Il en déduit que, c'est à juste titre, en l'absence de réponse claire, que l'employeur a invité le salarié à ne pas renouveler ce type de comportement et lui a délivré à cette fin un avertissement qui n'apparaît en aucun cas disproportionné.
9. En statuant ainsi, alors que le courriel litigieux, adressé uniquement à un supérieur hiérarchique pour dénoncer ses conditions de travail et rédigé en des termes qui n'étaient ni injurieux, ni diffamatoires ou excessifs, ne caractérisait pas un abus dans la liberté d'expression du salarié, la cour d'appel a violé le texte susvisé.
Portée et conséquence de la cassation
10. En application de l'article 624 du code de procédure civile, la cassation des dispositions de l'arrêt rejetant la demande d'annulation de l'avertissement litigieux entraîne la cassation des chefs de dispositif ayant débouté le salarié de sa demande au titre du harcèlement moral, la cour d'appel s'étant notamment fondée sur l'absence d'annulation de l'avertissement délivré le 12 septembre 2016 pour exclure tout harcèlement, et de celle au titre de la nullité de son licenciement fondée sur les faits de harcèlement moral, qui s'y rattachent par un lien de dépendance nécessaire.
PAR CES MOTIFS, sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il déboute M. [P] de sa demande d'annulation de l'avertissement délivré le 12 septembre 2016, de ses demandes au titre du harcèlement moral et au titre de la nullité du licenciement, dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du code de procédure civile, confirme le jugement ayant condamné M. [P] aux dépens de première instance et laisse à chacune des parties la charge de ses propres dépens d'appel, l'arrêt rendu le 2 novembre 2021, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;
Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Paris, autrement composée ;
Condamne la société RATP Travel Retail aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société RATP Travel Retail et la condamne à payer à M. [P] la somme de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du huit novembre deux mille vingt-trois.