LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
SOC.
ZB1
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 8 novembre 2023
Rejet
Mme MARIETTE, conseiller doyen
faisant fonction de président
Arrêt n° 2015 F-D
Pourvois n°
R 22-12.430
D 22-14.006 JONCTION
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 8 NOVEMBRE 2023
I. L'Office des transports de la Corse (OTC), établissement public à caractère industriel et commercial, dont le siège est [Adresse 1], a formé les pourvois n° R 22-12.430 et D 22-14.006 contre un arrêt rendu le 22 décembre 2021 par la cour d'appel de Bastia (chambre sociale), dans les litiges l'opposant respectivement :
1°/ à Mme [H] [C], épouse [M], domiciliée [Adresse 2],
2°/ à Pôle emploi, dont le siège est [Adresse 3],
défendeurs à la cassation.
II. Mme [C] a formé le pouvoir n° 22-14.006 contre le même arrêt rendu dans le litige l'opposant à l'Office des transports de la Corse, défendresse à la cassation.
Le demandeur au pourvoi n° R 22-12.430 invoque, à l'appui de son recours, un moyen de cassation.
La demanderesse au pourvoi n° D 22-14.006 invoque, à l'appui de son recours, trois moyens de cassation.
Les dossiers ont été communiqués au procureur général.
Sur le rapport de Mme Grandemange, conseiller, les observations de la SCP Lyon-Caen et Thiriez, avocat de Mme [C], de la SARL Matuchansky, Poupot, Valdelièvre et Rameix, avocat de l'Office des transports de la Corse, après débats en l'audience publique du 3 octobre 2023 où étaient présents Mme Mariette, conseiller doyen faisant fonction de président, Mme Grandemange, conseiller rapporteur, M. Barincou, conseiller, et Mme Aubac, greffier de chambre,
la chambre sociale de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Jonction
1. En raison de leur connexité, les pourvois n° R 22-12.430 et D 22-14.006 sont joints.
Faits et procédure
2. Selon l'arrêt attaqué (Bastia, 22 décembre 2021), Mme [C] a été engagée par l'Office des transports de la région Corse, à compter du 1er août 1984. Elle occupait en dernier lieu les fonctions de chef de service, catégorie A, hors classe, indice 821.
3. Le 9 avril 2015, s'estimant victime de discrimination et de harcèlement moral, elle a saisi la juridiction prud'homale en paiement de diverses sommes au titre de l'exécution du contrat de travail et à titre indemnitaire.
4. Elle a été licenciée pour inaptitude et impossibilité de reclassement le 19 février 2020.
Examen des moyens
Sur les deuxième et troisième moyens du pourvoi de la salariée
5. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces moyens qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Sur le moyen du pourvoi de l'employeur, pris en ses deux premières branches
Enoncé du moyen
6. L'employeur fait grief à l'arrêt de dire que la salariée a été victime d'une discrimination au visa de l'article L. 1132-3-3 du code du travail, d'ordonner son repositionnement à l'échelon HEA indice majoré 881 à partir du 1er mai 2015, à l'échelon HEA 2 indice majoré 916 à partir du 1er mai 2016, à l'échelon HEA 3 indice majoré 963 à partir du 1er mai 2017, à l'échelon HEB indice majoré 963 à partir du 1er mai 2018 et à l'échelon HEB 2 indice majoré 1004 à partir du 1er mai 2019, de le condamner à verser à la salariée, au titre d'une discrimination au visa de l'article L. 1132-3-3 du code du travail, des sommes en réparation du préjudice moral subi et, au titre de son préjudice économique, à titre de rappels salariaux, des congés payés afférents, de dommages-intérêts au titre de la perte de pension de retraite correspondante, alors :
« 1°/ qu'en relevant d'office, et sans le soumettre à la discussion contradictoire des parties, le moyen pris de ce qu'aurait été applicable au litige l'article L. 1132-3-3 du code du travail, dans sa rédaction antérieure à la loi n° 2016-1691 du 9 décembre 2016, conférant la qualité de lanceur d'alerte au salarié ayant relaté ou témoigné de bonne foi des faits constitutifs d'un délit ou d'un crime dont il a eu connaissance dans l'exercice de ses fonctions, et non, comme le soutenaient les parties, ce même texte, dans sa rédaction postérieure à la loi n° 2016-1691 du 9 décembre 2016, en ce qu'il subordonnait la reconnaissance de la qualité de lanceur d'alerte au respect par le salarié des dispositions des articles 6 à 8 de la loi n° 2016-1691 du 9 décembre 2016, la cour d'appel a violé l'article 16 du code de procédure civile ;
2°/ qu'en tout état de cause, l'article L. 1132-3-3 du code du travail, dans sa rédaction antérieure à la loi n° 2016-1691 du 9 décembre 2016, doit être interprété conformément à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme, dont il résulte qu'un acte motivé par un grief ou une animosité personnels ou encore par la perspective d'un avantage personnel, notamment un gain pécuniaire, ne justifie pas un niveau de protection particulièrement élevé et, partant, que la protection du lanceur d'alerte est nécessairement subordonnée au caractère désintéressé de l'alerte ; qu'en retenant au contraire que la question du caractère désintéressé de la démarche de la salariée aurait été indifférente à la reconnaissance de la qualité de lanceur d'alerte, la cour d'appel a violé l'article L. 1132-3-3 du code du travail, dans sa rédaction antérieure à la loi n°2016-1691 du 9 décembre 2016 et l'article 10 § 1 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. »
Réponse de la Cour
7. Il résulte de l'article L. 1132-3-3, alinéa 1er du code du travail, dans sa rédaction issue de la loi n° 2013 - 1117 du 6 décembre 2013 comme dans celle résultant de la loi n° 2016-1691 du 9 décembre 2016, que le salarié qui relate ou témoigne de faits constitutifs d'un délit ou d'un crime dont il aurait eu connaissance dans l'exercice de ses fonctions n'est pas soumis à l'exigence d'agir de manière désintéressée et qu'il ne peut être licencié pour ce motif, sauf mauvaise foi, laquelle ne peut résulter que de la connaissance de la fausseté des faits qu'il dénonce et non de la seule circonstance que les faits dénoncés ne sont pas établis.
8. Le moyen est donc inopérant en sa première branche et mal fondé pour le surplus.
Sur le moyen du pourvoi de l'employeur, pris en sa troisième branche
Enoncé du moyen
9. L'employeur fait le même grief à l'arrêt alors « que l'employeur ne peut se voir imputer une discrimination fondée sur une alerte donnée par un salarié que s'il existe un lien de causalité entre l'alerte et la prétendue discrimination, lien qu'il incombe impérativement au juge de caractériser ; qu'en retenant néanmoins, pour condamner l'employeur sur le fondement de l'article L. 1132-3-3 du code du travail, dans sa rédaction antérieure à la loi n° 2016-1691 du 9 décembre 2016, que la salariée n'aurait ‘'connu aucune progression de carrière entre l'alerte de décembre 2014 et son licenciement en février 2020'', sans préciser en quoi l'évolution de carrière de la salariée aurait été différente avant et après l'alerte, élément qui aurait seul été de nature à caractériser un lien de causalité entre ladite alerte et l'évolution de carrière de la salariée, sachant que cette dernière se prévalait uniquement d'une ‘'progression depuis 2010 [?] nulle'‘ et plus précisément encore du fait qu'elle n'aurait ‘'pas progressé entre 2010 et 2014, restant au coefficient 821'', c'est-à-dire d'une évolution entamée avant même que la salariée n'ait donné l'alerte et donc, par construction, sans rapport de causalité avec ladite alerte, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 1132-3-3 du code du travail, dans sa rédaction antérieure à la loi n° 2016-1691 du 9 décembre 2016. »
Réponse de la Cour
10. Aux termes de l'article L. 1132-3-3, alinéa 1er, dans sa version issue de la loi n° 2013-1117 du 6 décembre 2013, aucune personne ne peut être écartée d'une procédure de recrutement ou de l'accès à un stage ou à une période de formation en entreprise, aucun salarié ne peut être sanctionné, licencié ou faire l'objet d'une mesure discriminatoire, directe ou indirecte, notamment en matière de rémunération, au sens de l'article L. 3221-3, de mesures d'intéressement ou de distribution d'actions, de formation, de reclassement, d'affectation, de qualification, de classification, de promotion professionnelle, de mutation ou de renouvellement de contrat, pour avoir relaté ou témoigné, de bonne foi, de faits constitutifs d'un délit ou d'un crime dont il aurait eu connaissance dans l'exercice de ses fonctions.
11. Il résulte du second alinéa de ce même texte, qu'en cas de litige relatif à l'application du premier alinéa, dès lors que la personne présente des éléments de fait qui permettent de présumer qu'elle a relaté ou témoigné de bonne foi de faits constitutifs d'un délit ou d'un crime, il incombe à la partie défenderesse, au vu des éléments, de prouver que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à la déclaration ou au témoignage de l'intéressé. Le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles.
12. La cour d'appel qui a constaté, d'une part, que la salariée avait déposé plainte pour faux et usage de faux en écriture publique, le 11 décembre 2014, à l'encontre de son employeur, faits dont elle avait eu connaissance dans l'exercice de ses fonctions, d'autre part, qu'elle n'avait connu entre cette alerte et son licenciement en février 2020 aucune progression de carrière, a pu en déduire que les éléments présentés par la salariée laissaient supposer l'existence d'une discrimination.
13. Elle a ensuite estimé que l'employeur n'apportait pas la preuve que cette absence totale de progression de carrière était justifiée par des éléments objectifs étrangers à l'alerte lancée.
14. Le moyen n'est donc pas fondé.
Sur le premier moyen du pourvoi de la salariée
Enoncé du moyen
15. La salariée fait grief à l'arrêt d'ordonner son repositionnement seulement aux échelons HEA indice majoré 881 à partir du 1er mai 2015, HEA 2 indice majoré 916 à compter du 1er mai 2016, HEA 3 indice majoré 963 à compter du 1er mai 2017, HEB indice majoré 963 à compter du 1er mai 2018, puis à l'échelon HEB 2 indice majoré 1004 à compter du 1er mai 2019, et de condamner l'Office des transports de la Corse à lui verser, au titre d'une discrimination au visa de l'article L. 1132-3-3 du code du travail, les seules sommes de 31 070,88 euros brut au titre de rappels salariaux, outre celle de 3 107,09 euros brut de congés payés afférents, dans le cadre de la réparation du préjudice économique subi du fait de la discrimination, alors « que tout jugement doit être motivé à peine de nullité ; que dès lors le juge ne peut, pour rechercher à quel coefficient de rémunération le salarié serait parvenu sans la discrimination constatée et réparer le préjudice qui en est résulté dans le déroulement de sa carrière, procéder par voie de considérations générales et abstraites et doit apprécier concrètement les faits nécessaires à la solution du litige ; qu'en se bornant, pour rejeter la demande de repositionnement de la salariée au grade d'administrateur hors classe HEB 3 à compter du 1er mai 2015, à affirmer qu'en vertu du principe de la réparation intégrale, est justifié un repositionnement de la salariée aux échelons HEA indice majoré 881 à partir du 1er mai 2015, HEA 2 indice majoré 916 à compter du 1er mai 2016, HEA 3 indice majoré 963 à compter du 1er mai 2017, HEB indice majoré 963 à compter du 1er mai 2018, puis à l'échelon HEB 2 indice majoré 1004 à compter du 1er mai 2019, sans préciser ni expliquer les raisons concrètes propres au litige et sur lesquelles elle s'est fondée pour retenir les repositionnements de la salariée, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile. »
Réponse de la Cour
16. La cour d'appel appréciant souverainement le coefficient de rémunération auquel la salariée victime de discrimination à raison de l'alerte qu'elle avait lancée serait parvenue en l'absence de toute discrimination, a constaté qu'au regard du déroulement de carrière et des fonctions exercées par l'intéressée, elle ne pouvait prétendre au grade d'administrateur hors classe HEB3 revendiqué à compter du 1er mai 2015.
17. Le moyen n'est donc pas fondé.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE les pourvois ;
Laisse à chacune des parties la charge des dépens par elle exposés ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du huit novembre deux mille vingt-trois.