LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
CIV. 1
IJ
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 13 décembre 2023
Rejet
Mme CHAMPALAUNE, président
Arrêt n° 669 F-D
Pourvoi n° B 22-11.727
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, DU 13 DÉCEMBRE 2023
1°/ Mme [S] [Z], veuve [T], domiciliée [Adresse 2],
2°/ Mme [N] [T], épouse [U], domiciliée [Adresse 3] (Royaume-Uni),
3°/ M. [I] [T], domicilié [Adresse 6],
ont formé le pourvoi n° B 22-11.727 contre l'arrêt rendu le 25 janvier 2022 par la cour d'appel de Paris (pôle 3, chambre 5), dans le litige les opposant :
1°/ à Mme [F] [B], épouse [Y], domiciliée [Adresse 5]),
2°/ au procureur général près de la cour d'appel de Paris, domicilié en son parquet général, [Adresse 1],
défendeurs à la cassation.
Les demandeurs invoquent, à l'appui de leur pourvoi, plusieurs moyens de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Fulchiron, conseiller, les observations de la SCP Foussard et Froger, avocat de Mme [Z], veuve [T], de Mme [N] [T] et M. [I] [T], de la SCP Claire Leduc et Solange Vigand, avocat de Mme [B], après débats en l'audience publique du 24 octobre 2023 où étaient présents Mme Champalaune, président, M. Fulchiron, conseiller rapporteur, Mme Auroy, conseiller doyen, et Mme Layemar, greffier de chambre,
la première chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 25 janvier 2022), Mme [B], de nationalité italienne et résidant en Italie, est née le 13 mai 1951 à [Localité 4].
2. En 2006, Mme [B] a agi devant le tribunal de Verbania (Italie) aux fins d'établissement de sa filiation à l'égard de [C] [T].
3. Par jugement du 22 novembre 2010, confirmé par arrêt du 30 janvier 2015 de la cour d'appel de Turin, le tribunal a accueilli sa demande.
4. [C] [T] est décédé le 20 octobre 2015.
5. Un arrêt du 22 septembre 2016 de la Cour de cassation italienne a rejeté le pourvoi que celui-ci avait formé.
6. Sa veuve, Mme [S] [Z], et ses enfants, Mme [N] [T] et M. [I] [T] (les consorts [T]), ont assigné Mme [B] devant le tribunal judiciaire de Paris aux fins de voir déclarer inopposables les décisions italiennes.
Examen des moyens
Sur le deuxième moyen
7. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Sur le premier moyen
Enoncé du moyen
8. Les consorts [T] font grief à l'arrêt de déclarer exécutoires en France le jugement du tribunal de Verbania du 22 novembre 2010, l'arrêt de la cour d'appel de Turin du 30 janvier 2015 et l'arrêt de la Cour de cassation italienne du 22 septembre 2016, alors « qu'il résulte de l'article 1er de la Convention sur l'exécution des jugements en matière civile et commerciale signée à Rome le 3 juin 1930 entre la République française et le Royaume d'Italie que la reconnaissance en France d'une décision italienne rendue en matière d'état des personnes est notamment subordonnée à la condition "que la décision émane d'une juridiction compétente selon les règles du titre II de la présente Convention autant qu'elles soient applicables, ou à défaut, selon les règles admises en la matière par la législation du pays où la décision est invoquée" ; que l'article 11 de la même Convention prévoit qu'"en matière personnelle ou mobilière, dans les contestations entre Français et Italiens sont compétentes les juridictions de celui des deux pays où le défendeur a son domicile, ou, à défaut de domicile dans l'un des deux pays, sa résidence habituelle" ; qu'il en découle qu'il ne peut être fait application des règles françaises de compétence en la matière que dans l'hypothèse où le défendeur n'a pas de domicile ni de résidence ni en France, ni en Italie ; qu'en considérant qu'il pouvait être fait abstraction de la règle posée par l'article 11 au motif que le critère de compétence n'était pas rempli en Italie, alors même qu'il était rempli en France, de sorte que cette règle pouvait trouver à s'appliquer, les juges du fond ont violé les articles 1 et 11 de la Convention franco-italienne du 3 juin 1930. »
Réponse de la Cour
9. Selon l'article 1er, 1, de la Convention sur l'exécution des jugements en matière civile et commerciale, signée à Rome le 3 juin 1930 entre la France et l'Italie, les décisions rendues dans un Etat contractant sont reconnues sur le territoire de l'autre Etat, si elles émanent d'une juridiction compétente selon les règles du titre II de la Convention autant qu'elles sont applicables, ou à défaut, selon les règles admises en la matière par la législation du pays où la décision est invoquée.
10. Après avoir constaté que le critère de compétence de l'article 11 de la Convention qui, en matière personnelle et mobilière, soumet les contestations entre Français et Italiens aux juridictions de celui des deux pays où le défendeur a son domicile, ou, à défaut de domicile dans l'un des deux pays, sa résidence habituelle, n'était pas rempli, les consorts [T] étant domiciliés en France, la cour d'appel a vérifié si la décision italienne émanait d'une juridiction compétente selon les règles de droit international privé françaises et a retenu que le litige se rattachait de manière caractérisée avec l'Italie en raison de la nationalité de Mme [B].
11. Elle en a exactement déduit que les décisions en cause pouvaient être déclarées exécutoires en France.
12. Le moyen n'est donc pas fondé.
Sur le troisième moyen
Enoncé du moyen
13. Les consorts [T] font le même grief à l'arrêt, alors « que sur le terrain de l'ordre public international, qui intègre les stipulations de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, le principe de proportionnalité commandait que les décisions italiennes soient déclarées inopposables en France aux consorts [T] ; que d'une part, en effet, italienne, ayant toujours vécu en Italie, sans lien avec la France, Mme [F] [B] est dotée, du seul fait des décisions italiennes, d'un lien de filiation dans le milieu où elle vit, sans qu'il soit besoin d'une reconnaissance en France des décisions italiennes ; que d'autre part, n'ayant pas entretenu de liens avec [C] [T], elle n'a agi qu'à l'âge de 55 ans, après avoir été informée par sa mère de sa probable filiation dès l'âge de 9 ans, et a choisi d'agir non pas en France mais en Italie et a maintenu sa demande visant à faire déclarer opposables les décisions italiennes, après le décès de [C] [T], révélant par là même que son action, étrangère à la recherche de ses origines pour l'établissement d'un lien de filiation, n'avait que des visées patrimoniales ; qu'enfin, eu égard à l'écoulement du temps et à la situation de Mme [B] telle qu'elle l'a elle-même décrite, l'accueil en France des décisions italiennes attentait de façon évidente à la sécurité juridique, tant du point de vue de l'intérêt général que du point de vue de la famille [T], ainsi qu'à la paix des familles et au droit au respect de la vie privée et familiale à laquelle les consorts [T] pouvaient légitimement prétendre ; qu'en l'état de ces éléments, les juges du second degré, en écartant l'atteinte à l'ordre public, ont violé l'article 1er de la convention du 3 juin 1930, ensemble l'article 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et le principe de sécurité juridique. »
Réponse de la Cour
14. La cour d'appel a relevé, d'abord, que si la reconnaissance des décisions italiennes établissant un lien de filiation entre Mme [B] et [C] [T] constituait une ingérence dans l'exercice du droit au respect de la vie privée et familiale des enfants de celui-ci et de sa veuve, et portait atteinte à la sécurité juridique en ce qu'elle entraînait la réouverture de la succession paternelle, cette ingérence poursuivait un but légitime, la protection du droit de Mme [B] au respect de sa vie privée.
15. La cour d'appel a observé, ensuite, qu'en l'absence d'une telle reconnaissance, Mme [B] ne pourrait se prévaloir des effets d'une filiation juridiquement établie et serait ainsi privée d'une partie des éléments de son identité.
16. Elle a retenu que les consorts [T] ne démontraient pas que Mme [B] avait agi à des fins purement patrimoniales.
17. Elle a ajouté que Mme [B] étant née avant le mariage de son père et la naissance des autres enfants, la reconnaissance de l'établissement de sa filiation n'était pas de nature à troubler la paix des familles.
18. Elle a estimé que les consorts [T] ne pouvaient se prévaloir de l'atteinte à la sécurité juridique causée par la réouverture d'une succession close depuis plusieurs années, dès lors que l'action avait été engagée avant le décès de leur auteur, et qu'ils avaient choisi de régler la succession sans attendre ni préserver les droits éventuels de Mme [B].
19. La cour d'appel a pu en déduire que la reconnaissance en France des décisions italiennes établissant la filiation de Mme [B] à l'égard de [C] [T] ne portait pas une atteinte disproportionnée aux droits et libertés en cause et, partant, à l'ordre public international français.
20. Le moyen n'est donc pas fondé.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne les consorts [T] aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par les consorts [T] et les condamne à payer à Mme [B] la somme de 3 000 euros ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du treize décembre deux mille vingt-trois.