LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :
N° F 22-87.516 F-D
N° 01519
GM
19 DÉCEMBRE 2023
REJET
M. BONNAL président,
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
________________________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 19 DÉCEMBRE 2023
L'association [4], partie civile, a formé un pourvoi contre l'arrêt de la cour d'appel de Paris, chambre 2-7, en date du 15 décembre 2022, qui, dans la procédure suivie contre M. [L] [D] du chef de diffamation publique envers un particulier, a prononcé sur les intérêts civils.
Des mémoires ont été produits, en demande et en défense, et des observations complémentaires ont été produites par le demandeur.
Sur le rapport de M. Dary, conseiller, les observations de la SCP Le Griel, avocat de l'association [4], les observations de la SCP Lyon-Caen et Thiriez, avocat de M. [L] [D], et les conclusions de M. Aldebert, avocat général, après débats en l'audience publique du 21 novembre 2023 où étaient présents M. Bonnal, président, M. Dary, conseiller rapporteur, Mme Labrousse, conseillers de la chambre, et M. Maréville, greffier de chambre,
la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée en application de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure ce qui suit.
2. Le 24 janvier 2020, l'association [4] a porté plainte et s'est constituée partie civile devant un juge d'instruction contre M. [L] [D], secrétaire national du [3], du chef de diffamation publique envers particulier, à raison des propos suivants tenus le 30 octobre 2019 dans l'émission « Les 4 Vérités » diffusée en direct sur France 2 : « je vais aller plus loin, hein, est-ce que l'argent public versé au [2] sert à acheter des armes, quand on voit que, à l'attentat de [Localité 1], c'est un candidat, un ex-candidat aux cantonales qui aujourd'hui était armé depuis plusieurs années, ce n'est pas nouveau quand même ».
3. Par ordonnance d'un juge d'instruction, M. [D] a été renvoyé devant le tribunal correctionnel du chef susvisé.
4. Le tribunal a relaxé le prévenu et prononcé sur les intérêts civils.
5. La partie civile a relevé appel de cette décision.
Examen des moyens
Sur le premier moyen, pris en sa première branche
Enoncé du moyen
6. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a dit que M. [D] n'avait commis aucune faute civile fondée sur la diffamation publique envers un particulier et a confirmé le jugement du tribunal correctionnel en ce qu'il l'a débouté de ses demandes, alors :
« 1°/ que la cour d'appel a relevé que « les propos incriminés imputent au [2] devenu [4] d'accepter dans ses rangs des personnes au comportement violent, armées » et qu'il résultait des pièces produites qu' « au moment où [L] [D] s'exprimait, certains membres du [2] étaient présentés dans la presse comme ayant eu un comportement violent en lien avec l'achat et/ou la manipulation d'armes », ceci pour en déduire que « [L] [D] produit des éléments qui apparaissent suffisants pour considérer qu'il avait pu légitimement tenir les propos poursuivis, dans le cadre d'un débat politique » et pouvait ainsi bénéficier de l'exception de bonne foi ; que, cependant, les propos poursuivis imputent au [2], non pas d'accepter dans ses rangs des personnes armées au comportement violent, mais d'utiliser l'argent public qui lui est versé pour acheter des armes, ce qui pourrait résulter du fait que l'auteur de l'attentat de [Localité 1] était un ex-candidat de ce parti aux élections cantonales et était armé depuis plusieurs années, et ce qui ne serait pas nouveau ; que, ce faisant, la cour a méconnu le sens et la portée des propos diffamatoires poursuivis. »
Réponse de la Cour
7. Pour déclarer diffamatoires les propos poursuivis, l'arrêt attaqué, après avoir rappelé leur teneur, retient exactement qu'ils imputent au [2] devenu [4] d'accepter dans ses rangs des personnes au comportement violent, armées, ce qui est a minima contraire à la morale.
8. Ils en concluent qu'il s'agit d'un fait précis, susceptible de preuve, portant atteinte à l'honneur du parti politique en cause et qu'en conséquence, les propos poursuivis présentent un caractère diffamatoire.
9. En l'état de ces seules énonciations, la cour d'appel a justifié sa décision.
10. Ainsi, le grief doit être écarté.
Sur le premier moyen, pris en sa seconde branche, les deuxième et troisième moyens
11. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a dit que M. [D] n'avait commis aucune faute civile fondée sur la diffamation publique envers un particulier et a confirmé le jugement du tribunal correctionnel en ce qu'il l'a débouté de ses demandes, alors :
« 2°/ que les six pièces produites par [L] [D] et retenues par la cour d'appel comme constituant une base factuelle suffisante aux propos diffamatoires de celui-ci sont un article du site Ouest France sur l'attentat de la mosquée de [Localité 1], une notice Wikipédia sur ce même attentat, un article du Monde sur un ex-candidat [2] aux élections municipales condamné en 2016 pour trafic d'armes, un article du site France Info sur la garde-à-vue de ce même ex-candidat [2], un autre article du site France Info sur un candidat [2] aux élections cantonales ayant publié sur internet en 2012 un photomontage le représentant avec une arme braquée sur la tempe de la marionnette des Guignols de l'info de [O] [W], et un article sur un ancien membre du service d'ordre du [2] condamné en 2017 pour trafic d'armes et ayant témoigné dans l'affaire des attentats de l'Hyper Cacher de janvier 2015 ; que ces pièces ne font aucune mention ni aucune allusion à une prétendue acquisition d'armes par le [2], ni même d'ailleurs – eu égard à la lecture dénaturante que la cour d'appel a fait des propos poursuivis – à un quelconque membre de ce parti qui aurait eu un comportement violent et qui aurait été armé ; que lesdites pièces ne pouvaient légalement être considérées comme constituant une base factuelle suffisante aux propos poursuivis ; qu'en estimant le contraire, la cour d'appel n'a pas légalement justifié sa décision sur la bonne foi accordée à [L] [D]. »
12. Le deuxième moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a dit que M. [D] n'avait commis aucune faute civile fondée sur la diffamation publique envers un particulier et a confirmé le jugement du tribunal correctionnel en ce qu'il l'a débouté de ses demandes, alors « qu'en partant de l'attentat perpétré en 2019 par une personne qui avait été un éphémère candidat [2] aux élections cantonales en 2015, pour insinuer ensuite, par une extrapolation abusive et malveillante, que l'argent public versé à ce parti politique servirait à « acheter des armes » et qu'une telle chose ne serait pas nouvelle, les propos diffamatoires poursuivis manquent singulièrement de prudence dans l'expression, l'homme politique qu'est [L] [D] aborderait-il même là un sujet d'intérêt général qui ferait l'objet d'un débat politique ; qu'en considérant néanmoins que ce dernier aurait fait preuve de prudence dans l'expression, aux motifs inopérants qu'il a fait mention de « la nécessité d'une enquête sur les groupuscules d'extrême droite » et fait part de « son souhait de montrer la réalité de l'autre face de la même pièce, l'islam politique », la cour d'appel n'a pas légalement justifié sa décision sur la bonne foi accordée à [L] [D]. »
13. Le troisième moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a dit que M. [D] n'avait commis aucune faute civile fondée sur la diffamation publique envers un particulier et a confirmé le jugement du tribunal correctionnel en ce qu'il l'a débouté de ses demandes, alors que la liberté d'expression comporte des devoirs et des responsabilités et peut être soumise à des restrictions et sanctions qui constituent des mesures nécessaires à la défense de l'ordre et à la protection des droits d'autrui ; qu'en l'espèce, les propos litigieux ont dépassé les limites de la liberté d'expression et le prononcé d'une condamnation civile contre [L] [D] pour diffamation publique envers le [4] ne porterait pas une atteinte disproportionnée à cette liberté ; qu'en jugeant le contraire, la cour d'appel a fait une fausse application du contrôle de proportionnalité. »
Réponse de la Cour
14. Les moyens sont réunis.
15. Pour rejeter l'existence d'une faute civile commise par le prévenu, l'arrêt retient, en substance, par motifs propres et adoptés, qu'il n'est pas contestable que les propos diffamatoires, prononcés dans le cadre d'une émission politique, s'inscrivent dans un débat d'intérêt général majeur sur la question de l'utilisation des fonds publics dans les partis politiques et celle des décisions politiques face aux dangers de la montée de la violence dans la vie démocratique.
16. Les juges ajoutent que la suffisance d'une base factuelle suppose l'existence, au moment où les propos incriminés ont été tenus, d'éléments objectifs sur lesquels la croyance de l'auteur de la diffamation pouvait légitimement se fonder et relèvent à cet égard que sont produits essentiellement des articles de presse qu'ils énumèrent, ne retenant que ceux antérieurs aux propos poursuivis, dont il résulte qu'au moment où le prévenu s'est exprimé, certains membres du [2] étaient présentés comme ayant eu un comportement violent en lien avec l'achat et/ou la manipulation d'armes.
17. Ils en concluent que les éléments ainsi produits apparaissent suffisants pour considérer que le prévenu a pu légitimement tenir les propos poursuivis, en l'absence d'animosité personnelle établie à l'égard de la partie civile et dès lors qu'il a conservé la prudence requise dans un tel contexte, les propos poursuivis ne dépassant pas les limites admissibles de la liberté d'expression.
18. En se déterminant ainsi, la cour d'appel a justifié sa décision.
19. En effet, elle a exactement apprécié qu'il résultait des pièces produites par le prévenu, homme politique, et non journaliste, professionnel de l'information, s'exprimant sur un sujet d'intérêt général relatif à l'utilisation des fonds publics dans les partis politiques face aux dangers de la montée de la violence dans la vie publique, la mise en cause de certains membres du [4], présentés comme ayant eu un comportement violent en lien avec l'achat ou la manipulation d'armes.
20. Cela l'autorisait à apprécier moins strictement les critères d'animosité personnelle et de prudence dans l'expression.
21. Il en résulte que M. [D] n'a pas dépassé les limites de la liberté d'expression.
22. Par ailleurs, l'arrêt est régulier en la forme.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi ;
FIXE à 2500 euros la somme que l'association [4], partie civile, devra payer à M. [L] [D], en application de l'article 618-1 du code de procédure pénale ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président en son audience publique du dix-neuf décembre deux mille vingt-trois.