LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
CIV. 2
LM
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 18 janvier 2024
Cassation partielle
sans renvoi
Mme MARTINEL, président
Arrêt n° 31 FS-B
Pourvoi n° M 21-23.968
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 18 JANVIER 2024
La société Infosanté, société par actions simplifiée unipersonnelle, dont le siège est [Adresse 3], a formé le pourvoi n° M 21-23.968 contre l'arrêt rendu le 8 septembre 2021 par la cour d'appel de Paris (pôle 1, chambre 3), dans le litige l'opposant :
1°/ à la société NIS, société à responsabilité limitée unipersonnelle, dont le siège est [Adresse 1],
2°/ à la société WIS, société à responsabilité limitée unipersonnelle, dont le siège est [Adresse 4],
3°/ à la société 3J santé, société par actions simplifiée unipersonnelle,
4°/ à la société JJ conseil & santé, société à responsabilité limitée unipersonnelle,
5°/ à l'association Centre de santé de [Adresse 6],
ayant toutes trois leur siège [Adresse 5],
6°/ à la société Bienfait santé Invest, société à responsabilité limitée unipersonnelle, dont le siège est [Adresse 2],
défenderesses à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, deux moyens de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Jollec, conseiller référendaire, les observations de la SARL Matuchansky, Poupot, Valdelièvre et Rameix, avocat de la société Infosanté, de la SCP Piwnica et Molinié, avocat des sociétés NIS, WIS, 3J santé, JJ conseil & santé, Bienfait santé Invest et de l'association Centre de santé de [Adresse 6], et l'avis de M. Adida-Canac, avocat général, après débats en l'audience publique du 28 novembre 2023 où étaient présents Mme Martinel, président, Mme Jollec, conseiller référendaire rapporteur, Mme Durin-Karsenty, conseiller doyen, Mmes Vendryes, Caillard, M. Waguette, conseillers, Mme Bohnert, M. Cardini, Mmes Latreille, Bonnet, Chevet, conseillers référendaires, M. Adida-Canac, avocat général, et Mme Thomas, greffier de chambre,
la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt ;
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 8 septembre 2021), les sociétés NIS, WIS, 3J santé, JJ conseil & santé, Bienfait santé Invest et l'association Centre de santé de [Adresse 6] ont saisi par requête le président d'un tribunal de commerce, sur le fondement de l'article 145 du code de procédure civile, afin de voir ordonner des mesures d'instruction dans les locaux de la société Infosanté.
2. Par ordonnance du 21 octobre 2019, il a été fait droit à la requête. Les mesures d'instruction ont été réalisées le 20 novembre 2019 et des pièces ont été placées sous séquestre.
3. Le 4 décembre 2019, les sociétés NIS, WIS, 3J santé, JJ conseil & santé, Bienfait santé Invest et l'association Centre de santé de [Adresse 6] ont assigné la société Infosanté devant le président d'un tribunal de commerce en référé aux fins d'ordonner l'ouverture du séquestre portant sur l'intégralité des éléments saisis ainsi que la communication des différents éléments. L'affaire a été enrôlée sous un numéro de répertoire général.
4. Le 20 décembre 2019, la société Infosanté a saisi en référé le président d'un tribunal de commerce en rétractation de l'ordonnance sur requête du 21 octobre 2019, affaire enrôlée sous un autre numéro de répertoire général.
5. Les deux procédures n'ont pas été jointes.
6. Par ordonnance du 27 novembre 2020, le président d'un tribunal de commerce, statuant en référé, a rejeté la demande de rétractation de la société Infosanté et a fixé des modalités de levée du séquestre.
7. La société Infosanté a relevé appel de cette ordonnance.
Examen des moyens
Sur le premier moyen
8. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Mais sur le second moyen, pris en sa première branche
Enoncé du moyen
9. La société Infosanté fait grief à l'arrêt de dire que la procédure de levée de séquestre devait être engagée selon la procédure ci-après, même s'il était fait appel de cette décision, tout en préservant les intérêts de la société Infosanté jusqu'à la décision d'appel, de dire que les pièces retenues comme devant être communiquées lors de la levée de séquestre seraient maintenues sous séquestre jusqu'à la décision définitive, de dire que la levée du séquestre des pièces obtenues lors des opérations de constat par l'huissier instrumentaire devait se faire conformément aux articles R. 153-3 et R. 153-8 du code de commerce, de dire que la procédure de levée de séquestre serait la suivante : demande à la société Infosanté de faire un tri sur les fichiers des pièces séquestrées en trois catégories : catégorie "A" les pièces qui pourraient être communiquées sans examen, catégorie "B" les pièces qui étaient concernées par le secret des affaires et que la société Infosanté refusait de communiquer, catégorie "C" les pièces que la SAS Infosanté refusait de communiquer, mais qui n'étaient pas concernées par le secret des affaires, de dire que ce tri où chaque pièce serait numérotée serait communiqué à la SCP [Z] [G] et Olivier Flament, prise en la personne de Mme [G], huissier instrumentaire, pour un contrôle de cohérence avec le fichier initial séquestré, de dire que, pour les pièces concernées par le secret des affaires, conformément aux articles R. 153-3 à R. 153-8 du code de commerce, la société Infosanté communiquerait au président « un mémoire précisant, pour chaque information ou partie de la pièce en cause, les motifs qui lui confèrent le caractère d'un secret des affaires » et de fixer le calendrier suivant : communication à la SCP [Z] [G] et Olivier Flament, prise en la personne de Mme [G], et au président, des trics des fichiers demandés avant le 8 janvier 2021, et renvoi de l'affaire RG 2019067476, après contrôle de cohérence par l'huissier de justice, à l'audience du mercredi 27 janvier 2021 à 15 heures en cabinet pour examen de la fin de la levée de séquestre, alors « que si le juge saisi en référé d'une demande de modification ou de rétractation de l'ordonnance est compétent pour statuer sur la levée totale ou partielle de la mesure de séquestre dans les conditions prévues par les articles R. 153-3 à R. 153-10 du code de commerce, excède en revanche ses pouvoirs le juge de la rétraction qui statue sur les modalités de communication et de production des pièces séquestrées, cependant qu'il n'en est pas saisi dans l'instance en rétractation, mais l'est dans une autre instance, non jointe à l'instance en rétractation ; que la cour d'appel, pour dire que le juge de première instance n'avait pas excédé ses pouvoirs en se prononçant sur les conditions de levée du séquestre, a retenu que le juge de la rétractation était compétent pour statuer sur la levée de la mesure de séquestre et qu'en se prononçant sur les conditions de la levée du séquestre, le premier juge avait seulement organisé, dans l'intérêt d'une bonne administration de la justice, les modalités procédurales de l'audience à venir sur la levée des séquestres ; qu'en statuant ainsi, quand ces considérations n'étaient pas de nature à conférer au juge de la rétractation le pouvoir, dans l'affaire enregistrée sous le numéro RG 2019070063, de se prononcer sur des mesures dont il n'avait pas été saisi dans ladite instance, mais dans une autre instance enregistrée sous le numéro RG 2019067476, avec laquelle aucune jonction n'avait été ordonnée, la cour d'appel, qui a statué par un motif impropre à justifier, au cas particulier, le pouvoir du juge de la rétraction de se prononcer sur les conditions de levée de la mesure de séquestre, a consacré l'excès de pouvoir commis par le premier juge et violé l'article R. 153-1 du code de commerce. »
Réponse de la Cour
Vu les articles L. 153-1 et R. 153-1, alinéa 3, du code de commerce et l'article 367, alinéa 1er, du code de procédure civile :
10. Selon le premier de ces textes, lorsqu'à l'occasion d'une instance civile ou commerciale ayant pour objet une mesure d'instruction sollicitée avant tout procès, il est fait état ou demandé la communication ou la production d'une pièce dont il est allégué qu'elle est de nature à porter atteinte au secret des affaires, le juge peut, d'office ou à la demande d'une partie ou d'un tiers, ordonner des mesures tendant à protéger le secret des affaires.
11. Aux termes du second, le juge saisi en référé d'une demande de modification ou de rétractation de l'ordonnance est compétent pour statuer sur la levée totale ou partielle de la mesure de séquestre dans les conditions prévues par les articles R. 153-3 à R. 153-10 du code de commerce.
12. Cependant, lorsque deux instances ont été engagées devant le même juge des référés, l'une en levée du séquestre provisoire, l'autre en rétractation de l'ordonnance sur requête, ce juge ne peut ni statuer sur la levée du séquestre, ni même se prononcer sur les modalités de levée du séquestre si aucune jonction n'a été ordonnée.
13. Pour confirmer l'ordonnance du président d'un tribunal de commerce, saisi en rétractation, ayant statué sur les modalités de la levée du séquestre provisoire, l'arrêt retient que le juge de la rétractation est compétent pour statuer sur la levée de la mesure de séquestre, conformément à l'article R. 153-1, alinéa 3, du code de commerce et que le président du tribunal de commerce a seulement organisé, dans l'intérêt d'une bonne administration de la justice, les modalités procédurales de l'audience à venir sur la levée des séquestres, de sorte que l'ordonnance n'a pas eu pour conséquence la communication des pièces et la levée du séquestre et n'a donc pas privé la société Infosanté de son droit à un débat contradictoire.
14. En statuant ainsi, alors qu'elle constatait l'existence d'une instance en levée du séquestre, dont la jonction n'avait pourtant pas été ordonnée avec l'instance en rétractation, la cour d'appel, ayant consacré l'excès de pouvoir du juge, qui s'est prononcé sur des demandes formées à l'occasion d'une autre procédure, a violé le texte susvisé.
Portée et conséquences de la cassation
15. Après avis donné aux parties, conformément à l'article 1015 du code de procédure civile, il est fait application des articles L. 411-3, alinéa 1er, du code de l'organisation judiciaire et 627 du code de procédure civile.
16. La cassation prononcée, par voie de retranchement, n'implique pas, en effet, qu'il soit à nouveau statué sur le fond.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur l'autre grief du pourvoi, la Cour :
CASSE ET ANNULE, par voie de retranchement, mais seulement en ce qu'il déboute la société Infosanté de sa demande fondée sur l'excès de pouvoir du juge de la rétractation et en ce qu'il confirme l'ordonnance entreprise ayant :
- dit que la procédure de levée de séquestre doit être engagée selon la procédure ci-après, même s'il est fait appel de cette décision, tout en préservant les intérêts de la SAS Infosanté jusqu'à la décision d'appel ;
- dit que les pièces retenues comme devant être communiquées lors de la levée de séquestre, seront maintenues sous séquestre jusqu'à la décision définitive ;
- dit que la levée du séquestre des pièces obtenues lors des opérations de constat par l'huissier instrumentaire doit se faire conformément aux articles R. 153-3 et R. 153-8 du code de commerce ;
- dit que la procédure de levée de séquestre sera la suivante :
- demande à la SAS Infosanté de faire un tri sur les fichiers des pièces séquestrées en trois catégories :
* catégorie « A » les pièces qui pourront être communiquées sans examen ;
* catégorie « B » les pièces qui sont concernées par le secret des affaires et que la SAS Infosanté refuse de communiquer ;
* catégorie « C » les pièces que la SAS Infosanté refuse de communiquer, mais qui ne sont pas concernées par le secret des affaires ;
- dit que ce tri où chaque pièce sera numéroté sera communiqué à la SCP [Z] [G] et Olivier Flament, prise en la personne de Mme [G], huissier instrumentaire, pour un contrôle de cohérence avec le fichier initial séquestré ;
- dit que, pour les pièces concernées par le secret des affaires, conformément aux articles R. 153-3 à R. 153-8 du code de commerce, la SAS Infosanté communiquera au président un mémoire précisant, pour chaque information ou partie de la pièce en cause, les motifs qui lui confèrent le caractère d'un secret des affaires ;
- fixé le calendrier suivant :
* communication à la SCP [Z] [G] et Olivier Flament, prise en la personne de Mme [G], et au président, des trics des fichiers demandés avant le 8 janvier 2021 ;
* renvoyé l'affaire RG 2019067476, après contrôle de cohérence par l'huissier, à l'audience du mercredi 27 janvier 2021 à 15h en cabinet pour examen de la fin de la levée de séquestre ;
l'arrêt rendu le 8 septembre 2021, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;
Dit n'y avoir lieu à renvoi.
Condamne les sociétés NIS, WIS, 3J santé, JJ conseil & santé, Bienfait santé Invest et l'association Centre de santé de [Adresse 6] aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par les sociétés NIS, WIS, 3J santé, JJ conseil & santé, Bienfait santé Invest et l'association Centre de santé de [Adresse 6] et les condamne à payer à la société Infosanté la somme globale de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du dix-huit janvier deux mille vingt-quatre.