LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
SOC.
HP
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 24 janvier 2024
Cassation
Mme CAPITAINE, conseiller doyen
faisant fonction de président
Arrêt n° 85 F-D
Pourvoi n° M 22-12.817
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 24 JANVIER 2024
Mme [S] [K], domiciliée [Adresse 2], a formé le pourvoi n° M 22-12.817 contre le jugement rendu le 24 novembre 2021 et rectfifié le 8 mars 2023, par le conseil de prud'hommes d'Auch, dans le litige l'opposant à la société Téléperformance France, société anonyme, dont le siège est [Adresse 1], défenderesse à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, trois moyens de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Lacquemant, conseiller, les observations de la SARL Cabinet François Pinet, avocat de Mme [K], de la SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol, avocat de la société Téléperformance France, après débats en l'audience publique du 12 décembre 2023 où étaient présentes Mme Capitaine, conseiller doyen faisant fonction de président, Mme Lacquemant, conseiller rapporteur, Mme Nirdé-Dorail, conseiller, et Mme Aubac, greffier de chambre,
la chambre sociale de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon le jugement attaqué (conseil de prud'hommes d'Auch, 24 novembre 2021), Mme [K] a été engagée en qualité de conseillère client référente le 24 mai 2000 par la société Téléperformance France qui a pour activité de gérer à distance la relation entre ses clients entreprise et leurs clients.
2. Le 18 mars 2020, elle a fait valoir son droit de retrait et a saisi, le 20 janvier 2021, la juridiction prud'homale pour obtenir le paiement d'un rappel de salaire pour la période de mars à avril 2020 outre des dommages-intérêts.
Examen des moyens
Sur les premier et deuxième moyens
3. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces moyens qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Mais sur le troisième moyen, pris en ses deuxième et quatrième branches
Enoncé du moyen
4. La salariée fait grief à l'arrêt de la débouter de l'ensemble de ses demandes, alors :
« 2°/ qu'aucune retenue sur salaire ne peut être pratiquée à l'encontre du salarié qui s'est retiré d'une situation de travail dont il avait un motif raisonnable de penser qu'elle présentait un danger grave et imminent pour sa vie ou pour sa santé ; que l'existence de ce motif raisonnable est appréciée à la date de la cessation du travail ; que, pour dire que "la société Téléperformance France a, dans le cadre de la crise sanitaire covid-19, respecté ses obligations en matière sanitaire et de sécurité, en suivant scrupuleusement les recommandations du gouvernement", le conseil des prud'hommes a retenu que "la société Téléperformance France a fait appel le 11 juin 2020, aux services d'un bureau de contrôle pour procéder à un audit de l'établissement de [Localité 3], les conclusions confirment le respect du guide des bonnes pratiques sanitaires, mais aussi de la communication, de la distanciation, et des barrières physiques, de l'hygiène et des conditions de travail" ; qu'en statuant ainsi, quand il constatait que Mme [K] avait exercé son droit de retrait à compter du 18 mars 2020 et qu'elle formait une demande de rappel de salaire au titre des mois de mars et avril 2019 [en réalité, "2020"], le conseil des prud'hommes s'est fondé sur des faits postérieurs à l'exercice du droit de retrait, impropres en tant que tels à établir le respect de l'employeur de ses obligations à l'époque de son exercice par la salariée, violant l'article L. 4131-1 du code du travail ;
4°/ que Mme [K] versait aux débats, en pièce n° 16, la mise en demeure du 23 mars 2020 que l'inspecteur du travail avait adressée à la société Téléperformance France, laquelle enjoignait notamment à l'employeur de mettre en oeuvre les mesures sanitaires prises par les autorités en procédant à la désinfection totale du centre, à la désinfection des postes de travail et sièges après chaque changement d'équipe et à la mise à disposition des salariés de gel hydro alcoolique, ainsi qu'une organisation du travail sans rotation des équipes pour celles dont le travail ne pourrait pas être organisé sous forme de télétravail ; qu'en s'abstenant d'examiner cet élément-contemporain de l'exercice du droit de retrait - de nature à caractériser la situation de travail dont Mme [K] avait un motif raisonnable de penser qu'elle présentait un danger grave et imminent pour sa vie ou pour sa santé, le conseil des prud'hommes a, derechef, violé l'article 455 du code de procédure civile. »
Réponse de la Cour
Vu les articles L. 4131-1 et L. 4131-3 du code du travail et 455 du code de procédure civile :
5. Selon le premier de ces textes, le salarié peut se retirer d'une situation de travail dont il a un motif raisonnable de penser qu'elle présente un danger grave et imminent pour sa vie ou sa santé.
6. Selon le deuxième, aucune sanction, aucune retenue de salaire ne peut être prise à l'encontre d'un travailleur ou d'un groupe de travailleurs qui se sont retirés d'une situation de travail dont ils avaient un motif raisonnable de penser qu'elle présentait un danger grave et imminent pour la vie ou pour la santé de chacun d'eux.
7. Selon le dernier, tout jugement doit être motivé.
8. Pour débouter la salariée de ses demandes de rappel de salaire, le jugement retient que l'employeur a, lors de la crise sanitaire Covid 19, respecté ses obligations en matière sanitaire et de sécurité, en suivant scrupuleusement les recommandations du gouvernement. Il ajoute que l'employeur a fait appel le 11 juin 2020 aux services d'un bureau de contrôle pour procéder à un audit de l'établissement de [Localité 3], dont les conclusions confirment le respect du guide des bonnes pratiques sanitaires, mais aussi de la communication, de la distanciation et des barrières physiques, de l'hygiène et des conditions de travail.
9. En statuant ainsi, d'une part, par une affirmation ne permettant pas à la Cour de cassation d'exercer son contrôle sur l'examen des éléments de preuve qui lui étaient proposés alors que la salariée produisait une mise en demeure adressée à l'employeur par le directeur régional des entreprises, de la concurrence, la consommation du travail et de l'emploi, rappelant les constatations effectuées le 19 mars 2020 par l'inspecteur du travail, d'autre part, par des motifs impropres à établir le respect par l'employeur de ses obligations en matière de sécurité à l'époque de l'exercice de son droit de retrait par la salariée, le conseil de prud'hommes a violé les textes susvisés.
Portée et conséquences de la cassation
10. La cassation du chef de dispositif déboutant la salariée de sa demande de rappel de salaires emporte la cassation du chef de dispositif la déboutant de sa demande de dommages-intérêts qui s'y rattache par un lien de dépendance nécessaire.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :
CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, le jugement rendu le 24 novembre 2021 et rectifié par jugement du 8 mars 2023, entre les parties, par le conseil de prud'hommes d'Auch ;
Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ce jugement et les renvoie devant le conseil de prud'hommes de Tarbes ;
Condamne la société Téléperformance aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société Téléperformance et la condamne à payer à Mme [K] la somme de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite du jugement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-quatre janvier deux mille vingt-quatre.