LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :
N° K 23-86.719 F-D
N° 00342
SL2
14 FÉVRIER 2024
REJET
M. BONNAL président,
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 14 FÉVRIER 2024
MM. [E] [T], [M] [T], [L] [C], [V] [R], [Y] [S], les associations la Ligue des droits de l'homme, la Fédération internationale des ligues des droits de l'homme et le Centre syrien pour les médias et la liberté d'expression, parties civiles, ont formé un pourvoi contre l'arrêt de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Paris, 7e section, en date du 20 novembre 2023, qui, après non-lieux partiels, a renvoyé M. [Z] [G] devant la cour d'assises de Paris, sous l'accusation de complicité de crimes de guerre et participation à un groupement en vue de la préparation de crimes de guerre.
Des mémoires ont été produits, en demande et en défense.
Sur le rapport de M. Brugère, conseiller, les observations de la SCP Piwnica et Molinié, avocat de MM. [E] [T], [M] [T], [L] [C], [V] [R], [Y] [S], les associations la Ligue des droits de l'homme, la Fédération internationale des ligues des droits de l'homme et le Centre syrien pour les médias et la liberté d'expression, les observations de la SARL Boré, Salve de Bruneton et Mégret, avocat de M. [Z] [G], et les conclusions de M. Aldebert, avocat général, après débats en l'audience publique du 14 février 2024 où étaient présents M. Bonnal, président, M. Brugère, conseiller rapporteur, M. de Larosière de Champfeu, conseiller de la chambre, et Mme Lavaud, greffier de chambre,
la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée en application de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure ce qui suit.
2. Le 26 juin 2019, une plainte a été déposée par plusieurs associations des chefs de tortures et actes de barbarie, crimes contre l'humanité et crimes de guerre commis par le groupe islamiste salafiste Jaysh Al-Islam (JAI), commis entre 2012 et 2018 en Syrie, dans le cadre de la lutte armée menée par ce groupe afin d'instaurer un nouveau gouvernement fondé sur la charia.
3. Le 29 janvier 2020, M. [Z] [G], qui a assuré les fonctions d'ancien porte-parole de JAI, a été mis en examen.
4. Le 19 juillet 2023, les juges d'instruction, après non-lieux partiels, ont ordonné la mise en accusation de M. [G] pour complicité de crimes de guerres par conscription ou enrôlement de mineurs dans un groupe armé, lancement d'attaques délibérées contre la population civile, atteintes volontaires à la vie, à l'intégrité physique ou psychique et enlèvement ou séquestration, complicité de disparitions forcées et participation à une entente ou à un groupement armé formé en vue de la préparation de crimes de guerre.
5. M. [G] a relevé appel de cette décision.
Examen des moyens
Sur le premier moyen, pris en sa première branche
6. Le grief n'est pas de nature à permettre l'admission du pourvoi au sens de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale.
Sur le premier moyen, pris en sa seconde branche
Enoncé du moyen
7. Le moyen est pris de la violation des articles 2 de la convention de New-York sur les disparitions forcées, 221-12 du code pénal, 212, 591 et 593 du code de procédure pénale.
8. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a prononcé un non-lieu du chef de complicité de disparitions forcées, alors :
« 2°/ que les disparitions forcées peuvent également être caractérisées lorsqu'elles sont commises avec l'acquiescement de l'Etat ; que cet acquiescement peut être exprès ou tacite ; que le fait pour un Etat de tolérer les disparitions forcées et de s'abstenir de toute enquête sur les disparitions, établit que les personnes ont agi avec l'acquiescement de l'Etat ; qu'en prononçant le non-lieu en ce que l'acquiescement ne pouvait pas être tacite, la chambre de l'instruction a de nouveau méconnu les dispositions susvisées. »
Réponse de la Cour
9. Pour prononcer un non-lieu du chef de complicité de disparition forcée, l'arrêt attaqué énonce que l'on peut retenir, à partir des témoignages recueillis, que la disparition d'opposants a été favorable au pouvoir syrien.
10. Les juges indiquent que, cependant, l'affirmation des magistrats instructeurs selon laquelle aucune enquête n'aurait été entreprise par les autorités syriennes n'apparaît pas suffisamment étayée.
11. Ils ajoutent que la notion d'acquiescement tacite n'est pas conforme à l'état actuel du droit international ou national, qui exige un acte positif et une participation directe du pouvoir pour que puisse être retenue une autorisation, un appui ou un acquiescement, participation directe qui n'apparaît pas démontrée en l'espèce.
12. En l'état de ces motifs qui établissent que l'inexistence d'une enquête diligentée par les autorités étatiques sur ces disparitions, constitutive d'une passivité de nature à établir une approbation à ces agissements, est insuffisamment caractérisée, la chambre de l'instruction a justifié sa décision
13. Le moyen qui critique un motif surabondant de l'arrêt attaqué est, dès lors, inopérant.
Sur le deuxième moyen
Enoncé du moyen
14. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a prononcé un non-lieu du chef de complicité de crimes de guerre par le lancement d'attaques délibérées, alors :
« 1°/ que l'aide ou l'assistance, élément constitutif de la complicité, peut résulter de la participation à des réunions en lien avec l'infraction principale ; que la chambre de l'instruction qui a énoncé que M. [G] participait à des réunions du groupe JAI dans lesquelles étaient abordées les questions des attaques contre les populations civiles et qu'il n'était pas qu'un porte-parole mais donnait des conseils au chef de ce groupe, ne pouvait, sans se contredire, retenir l'absence de charges à l'encontre de M. [G] ; que dès lors la chambre de l'instruction a méconnu les articles 121-7 et 461-9 du code pénal, 212, 591 et 592 du code de procédure pénale ;
2°/ que la chambre de l'instruction ne pouvait pas énoncer que le groupe JAI pratiquait des « attaques sans discernement sur des populations civiles » et que « les participants à ce groupe s'accordaient sur la volonté de commettre ces crimes de guerre », et tout à la fois prononcer le non-lieu à l'encontre de M. [G], pourtant participant à ce groupe ; que la chambre de l'instruction a de nouveau méconnu les dispositions susvisées. »
Réponse de la Cour
15. Pour prononcer un non-lieu du chef de complicité de crimes de guerre par attaques volontaires à la vie, à l'intégrité physique ou psychique, par enlèvements et séquestrations, l'arrêt attaqué énonce que JAI a constitué au moment des faits un groupe armé organisé, au regard des critères définis par le tribunal international pour l'ex-Yougoslavie, et que le lien de rattachement de M. [G] à ce groupe est établi par les éléments du dossier d'instruction.
16. Les juges retiennent que le fait principal d'attaques délibérées imputables à JAI est constitué, tant par les témoignages que par les constatations des organismes nationaux et internationaux.
17. Ils observent qu'aucun des éléments retenus à charge par les juges d'instruction contre M. [G] n'est contemporain des attaques de décembre 2013 et de celles menées entre septembre 2014 et février 2015.
18. Ils indiquent que le fait pour M. [G], porte-parole du groupe, d'assister à des réunions au cours desquelles sont abordées des questions de stratégie ou militaires ne démontre pas que celui-ci a facilité une attaque antérieure.
19. Ils ajoutent que converser avec un fournisseur d'armes, quand on appartient à un groupe armé, ou encore donner des conseils aux chefs de ce groupe, même au-delà de son rôle de porte-parole, et fournir des éléments d'informations, à propos de l'attaque d'Adra al-Omalya, à des journalistes ne suffisent pas, pour autant, à démontrer une participation active à ces attaques ou que M. [G] a facilité celles-ci, commises plusieurs mois auparavant.
20. En l'état de ces énonciations, la chambre de l'instruction n'a méconnu aucun des textes visés au moyen.
21. Dès lors, le moyen ne peut être accueilli.
Sur le troisième moyen
Enoncé du moyen
22. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a prononcé un non-lieu du chef de complicité crimes de guerre par attaques volontaires à la vie, à l'intégrité physique ou psychique, aux enlèvements et séquestrations, alors :
« 1°/ que la chambre de l'instruction a énoncé qu'il n'était pas établi que M. [G] « ait été informé de ces traitements » tandis qu'elle a énoncé que M. [G] « était au courant de son utilisation » des cages et donc du traitement infligé ; que la chambre de l'instruction qui s'est contredite, a méconnu les articles 121-7 et 461-2 du code pénal, 212, 591 et 593 du code de procédure pénale ;
2°/ que la chambre de l'instruction a énoncé que le groupe JAI pratiquait les « enlèvements, les séquestrations, les tortures, les meurtres, les égorgements, les décapitations » et que « les participants à ce groupe s'accordaient sur la volonté de commettre ces crimes de guerre » ; qu'en prononçant cependant un non-lieu, la chambre de l'instruction n'a pas justifié sa décision et a de nouveau méconnu les dispositions susvisées. »
Réponse de la Cour
23. Pour prononcer un non-lieu du chef de complicité de crimes de guerre par le lancement d'attaques délibérées, l'arrêt attaqué énonce qu'il existe des charges suffisantes pour caractériser les infractions d'atteintes volontaires à la vie, à l'intégrité physique et psychique, et les enlèvements et séquestrations au regard des documents et des témoignages recueillis pendant l'instruction, notamment s'agissant des exactions commises sur de nombreux civils perpétré à Adra al-Omalya en décembre 2013, après la prise d'assaut de cette ville.
24. Les juges relèvent qu'il n'est pas démontré l'existence d'un acte positif de M. [G] qui aurait facilité ces infractions ni qu'il aurait donné des instructions pour les commettre.
25. Ils ajoutent qu'à supposer que M. [G] ait effectivement visité les geôles de JAI à plusieurs reprises, ces visites ne constituent pas des charges de nature à établir qu'il aurait donné des instructions ou commis un acte positif de nature à faciliter la commission des faits, ou même qu'il ait été informé de ceux-ci, la photographie trouvée dans son ordinateur montrant seulement qu'il était au courant de l¿utilisation de cages pour y enfermer des civils.
26. En se déterminant ainsi, la chambre de l'instruction a justifié sa décision.
27. Dès lors, le moyen ne saurait être accueilli.
28. Par ailleurs, la procédure est régulière, et les faits, objet de l'accusation, sont qualifiés crime par la loi.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi ;
DIT n'y avoir lieu à application de l'article 618-1 du code de procédure pénale ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président en son audience publique du quatorze février deux mille vingt-quatre.