LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
CIV. 1
CF
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 28 février 2024
Rejet
Mme CHAMPALAUNE, président
Arrêt n° 82 FS-B
Pourvoi n° D 22-20.147
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, DU 28 FÉVRIER 2024
1°/ M. [K] [C],
2°/ Mme [L] [Z],
domiciliés tous deux [Adresse 1],
ont formé le pourvoi n° D 22-20.147 contre l'arrêt rendu le 22 juin 2022 par la cour d'appel d'Aix-en-Provence (chambre 1 - 1), dans le litige les opposant :
1°/ au procureur général près la cour d'appel d'Aix-en-Provence, domicilié en son parquet général, 20 place de Verdun, 13616 Aix-en-Provence cedex 1,
2°/ au bâtonnier de l'ordre des avocats d'Aix-en-Provence, domicilié [Adresse 2],
défendeurs à la cassation.
Les demandeurs invoquent, à l'appui de leur pourvoi, cinq moyens de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Mornet, conseiller, les observations écrites et orales de la SCP Waquet, Farge et Hazan, avocat de M. [C] et de Mme [Z], de la SCP Piwnica et Molinié, avocat du bâtonnier de l'ordre des avocats d'Aix-en-Provence, et l'avis de M. Aparisi, avocat général, après débats en l'audience publique du 9 janvier 2024 où étaient présents Mme Champalaune, président, M. Mornet, conseiller rapporteur, Mme Duval-Arnould, conseiller doyen, MM. Jessel, Chevalier, Mmes Kerner-Menay, Bacache-Gibeili, conseillers, Mmes de Cabarrus, Feydeau-Thieffry, Kass-Danno, conseillers référendaires, M. Aparisi, avocat général, et Mme Ben Belkacem, greffier de chambre,
la première chambre civile de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt ;
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Aix-en-Provence, 22 juin 2022), le 9 décembre 2019, un accusé ayant comparu devant une cour d'assises et n'ayant pas obtenu le renvoi de son affaire, a demandé au cours de l'audience à ses avocats choisis, M. [C] et Mme [Z] (les avocats), de ne plus assurer sa défense. Le président de la cour d'assises, faisant application de l'article 317 du code de procédure pénale, les a commis d'office.
2. Les avocats ont présenté des motifs d'excuse et d'empêchement et quitté la salle d'audience. Après le rejet de ces motifs par le président de la cour d'assises, ils ont refusé de la rejoindre.
3. Ils ont fait l'objet de poursuites disciplinaires pour avoir sciemment omis de respecter les règles professionnelles propres à l'acceptation d'une commission d'office, prévues aux articles 6 du décret n° 205-790 du 12 juillet 2005 et 9 de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971, faits prévus et punis par les articles 183 et 184 du décret n° 91-1197 du 27 novembre 1991.
Examen des moyens
Sur les premier, deuxième et troisième moyens, sur le quatrième moyen, pris en ses trois premières branches, et sur le cinquième moyen, pris en ses deuxième et troisième branches
4. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces griefs qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Sur le quatrième moyen, pris en ses quatrième et cinquième branches
Enoncé du moyen
5. Les avocats font grief à l'arrêt de dire qu'ils ont sciemment omis de respecter les règles professionnelles propres à l'acceptation d'une commission d'office et de prononcer à l'encontre de chacun d'eux une peine d'avertissement, alors :
« 4° / que l'accusé ayant annoncé quitter la salle d'audience et demandé à ses avocats de quitter la barre et de ne plus le défendre, la commission d'office manquait à son objectif de garantir une assistance effective de l'avocat, pour se résumer à la contrainte d'une présence passive et taisante de l'avocat contre la volonté de l'accusé ; en cet état, le fait, après rejet de leurs motifs d'excuses par le président, pour Me [K] [C] et Me [L] [Z], soumis à deux mandats contradictoires du justiciable et du président, en conscience et avec indépendance, de refuser de rester passivement dans la salle d'audience, et d'apporter en quittant la salle une assistance effective au choix ultime de défense de l'accusé face à un procès dont les conditions inéquitables étaient dénoncées en vain, constitue un mode de défense au sens de la Convention européenne des droits de l'homme, exclusif d'une faute disciplinaire ; en l'excluant, la cour d'appel a violé l'article 6 § 1 et § 3 de la Convention européenne des droits de l'homme, ensemble les articles 3 et 9 de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971, 6 du décret n° 2005-790 du 12 juillet 2005 et le principe de libre défense ;
5°/ qu'en retenant encore que "s'il n'a pas entravé le cours de la justice", le refus des avocats de déférer à leur désignation d'office "a privé l'accusé d'être défendu à l'audience", sans tenir compte de l'annonce de l'accusé, qui emportait le refus d'une assistance effective des avocats via la contrainte de la commission d'office, la cour d'appel n'a pas légalement justifié sa décision au regard des articles 6 § 1 et § 3 de la Convention européenne des droits de l'homme, 3 et 9 de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 et 6 du décret n° 2005-790 du 12 juillet 2005 et le principe de libre défense. »
Réponse de la Cour
6. Aux termes de l'article 317 du code de procédure pénale, à l'audience, la présence d'un défenseur auprès de l'accusé est obligatoire. Si le défenseur choisi ou désigné conformément à l'article 274 ne se présente pas, le président en commet un d'office.
7. Selon l'article 9 de la loi du 31 décembre 1971 précitée, l'avocat régulièrement commis d'office par le président de la cour d'assises ne peut refuser son ministère sans faire approuver ses motifs d'excuse ou d'empêchement par celui-ci.
8. Aux termes de l'article 6, alinéa 2, du décret du 12 juillet 2005 précité, devenu l'article 6, alinéa 2, du décret n° 2023-552 du 30 juin 2023 portant code de déontologie des avocats, l'avocat est tenu de déférer aux désignations et commissions d'office, sauf motif légitime d'excuse ou d'empêchement admis par l'autorité qui a procédé à la désignation ou à la commission.
9. Lorsque le président de la cour d'assises constate que l'accusé n'est pas ou plus défendu et lui commet d'office un avocat, en application de l'article 317 du code de procédure pénale, il est seul compétent pour admettre ou rejeter les motifs d'excuse ou d'empêchement invoqués par ce dernier.
10. Il s'en déduit que le fait pour l'avocat de quitter la salle d'audience, même à la demande de l'accusé, malgré la décision du président de la cour d'assises de ne pas approuver les motifs d'excuse ou d'empêchement qu'il a présentés, caractérise un refus d'exercer la mission qui lui a été confiée et peut être sanctionné disciplinairement.
11. Il incombe au juge, saisi de poursuites disciplinaires contre l'avocat qui n'a pas déféré à une commission d'office, de se prononcer sur la régularité de la décision du président de la cour d'assises rejetant les motifs d'excuse ou d'empêchement qu'il avait présentés pour refuser son ministère et, par suite, de porter une appréciation sur ces motifs (1re Civ., 20 mai 2020, pourvoi n° 19-10.868, 18-25.136, publié).
12. Ayant examiné les circonstances dans lesquelles les avocats avaient quitté la salle d'audience et retenu que les motifs d'excuse et d'empêchement invoqués avaient été valablement écartés par le président de la cour d'assises, la cour d'appel en a exactement déduit que leur comportement, même s'il était approuvé par le client, n'était pas un mode de défense au sens de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et constituait un manquement au respect des règles de la profession d'avocat.
13. Le moyen n'est donc pas fondé.
Sur le cinquième moyen, pris en sa première branche
Enoncé du moyen
14. Les avocats font grief à l'arrêt de prononcer à l'encontre de chacun d'eux une peine d'avertissement, alors « que l'accusé ayant annoncé quitter la salle d'audience et demandé à ses avocats de quitter la barre et de ne plus le défendre, la commission d'office manquait à son objectif de garantir une assistance effective de l'avocat, pour se résumer à la contrainte d'une présence passive et taisante de l'avocat contre la volonté de l'accusé ; en retenant que "s'il n'a pas entravé le cours de la justice", le refus des avocats de déférer à leur désignation d'office "a privé l'accusé d'être défendu à l'audience", sans avoir constaté que l'accusé serait revenu sur son choix, la cour d'appel a statué par un motif impropre à justifier de la nécessité de la sanction disciplinaire des avocats dans une société démocratique ; elle a privé sa décision de base légale au regard de l'article 6 § 1 de la Convention européenne des droits de l'homme. »
Réponse de la Cour
15. Sous le couvert d'un grief non fondé de défaut de base légale, le moyen ne tend qu'à remettre en discussion devant la Cour de cassation la sanction prononcée, à l'issue d'une appréciation par les juges du fond de son caractère nécessaire et proportionné.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne M. [C] et Mme [Z] aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-huit février deux mille vingt-quatre.