LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
SOC.
ZB1
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 20 mars 2024
Cassation partielle
M. HUGLO, conseiller doyen
faisant fonction de président
Arrêt n° 330 F-D
Pourvoi n° M 22-20.476
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 20 MARS 2024
1°/ la société La Poste, société anonyme, dont le siège est [Adresse 2],
2°/ M. [K] [S], domicilié [Adresse 1],
agissant en sa qualité de président du CHSCT de l'établissement de [Adresse 4],
ont formé le pourvoi n° M 22-20.476 contre le jugement rendu le 30 juin 2022 par le président du tribunal judiciaire de Rennes, statuant selon la procédure accélérée au fond, dans le litige les opposant au CHSCT de l'établissement de [Adresse 4], dont le siège est [Adresse 3], défendeur à la cassation.
Les demandeurs invoquent, à l'appui de leur pourvoi, deux moyens de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Rinuy, conseiller, les observations de la SARL Boré, Salve de Bruneton et Mégret, avocat de la société La Poste, et de M. [S] ès qualitès, de la SARL Thouvenin, Coudray et Grévy, avocat du CHSCT de l'établissement de [Adresse 4], après débats en l'audience publique du 14 février 2024 où étaient présents M. Huglo, conseiller doyen faisant fonction de président, M. Rinuy, conseiller rapporteur, Mme Bouvier, conseiller, et Mme Dumont, greffier de chambre,
la chambre sociale de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon le jugement attaqué (président du tribunal judiciaire de Rennes, 30 juin 2022), rendu selon la procédure accélérée au fond, l'établissement La Poste de [Adresse 4], regroupant notamment le centre de courrier de [Adresse 5], est doté d'un comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT).
2. Le 16 mars 2022, le président du CHSCT a inscrit à l'ordre du jour de la réunion du 22 mars 2022 « l'information au CHSCT du projet d'ajustement de la durée du temps de travail à [Adresse 5] en juillet 2022 ».
3. Lors de la réunion du 22 mars 2022, les membres du CHSCT ont demandé à ce que le point fixé à l'ordre du jour soit modifié et qu'une consultation soit organisée sur le sujet, ce qui a été soumis au vote et adopté à la majorité.
4. A l'issue de la réunion, le comité a soumis au vote, avec l'accord du président, M. [S], une résolution par laquelle les représentants du personnel au CHSCT ont décidé d'avoir recours à un cabinet d'expertise afin d'examiner les conséquences de la mise en oeuvre du projet modifiant les horaires de travail sur la sécurité, les conditions de travail et la santé au travail du personnel et a désigné le cabinet Isast à cette fin. Cette résolution a été adoptée à la majorité des membres du CHSCT.
5. Le 30 mars 2022, la société La Poste et M. [S], en sa qualité de président du CHSCT de l'établissement de [Adresse 4], ont assigné le CHSCT et M. [J], en sa qualité de représentant désigné du CHSCT, devant le président du tribunal judiciaire aux fins d'annulation de la délibération du 22 mars 2022 en invoquant son irrégularité et subsidiairement l'absence de juste motif de recours à une expertise.
Examen des moyens
Sur le premier moyen
Enoncé du moyen
6. La société La Poste fait grief au jugement de déclarer régulière la délibération du CHSCT du 22 mars 2022 sollicitant une expertise, de la débouter de sa demande d'annulation de la résolution ordonnant une expertise pour projet important, alors « que les dispositions de l'article L. 4614-8 du code du travail selon lesquelles l'ordre du jour des réunions du comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail est établi par le président et le secrétaire, sont impératives ; qu'en l'espèce, le président du tribunal judiciaire, pour débouter La Poste de sa demande d'annulation de la délibération du 22 mars 2022, a retenu "que l'ordre du jour de la réunion du CHSCT du 22 mars 2022 portait notamment la mention « information au CHSCT du projet d'ajustement de la durée du temps de travail à [Adresse 5] à compter de juillet 2022 ». Lors de ladite réunion, les membres du CHSCT ont demandé à ce que le point n° 2 fixé à l'ordre du jour soit modifié et qu'une consultation soit organisée sur le sujet, ce qui a été soumis au vote et adopté à la majorité. ». Dès lors, la désignation d'un expert sur la question du projet d'ajustement et ses conséquences pour les conditions de travail des salariés avait un lien implicite mais nécessaire avec la question inscrite à l'ordre du jour et sa modification adoptée en cours de réunion" ; qu'en statuant de la sorte, le tribunal judiciaire, qui a homologué une modification de l'ordre du jour intervenue en dehors de l'accord du président et du secrétaire, a violé l'article L. 4614-8 du code du travail dans sa rédaction, applicable au litige, issue de la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016. »
Réponse de la Cour
7. Le président du tribunal judiciaire qui a retenu, d'une part que l'ordre du jour de la réunion du CHSCT du 22 mars 2022 portait notamment la mention « information au CHSCT du projet d'ajustement de la durée du temps de travail à [Adresse 5] à compter de juillet 2022 », de sorte que la désignation d'un expert sur la question du projet d'ajustement et ses conséquences pour les conditions de travail des salariés avait un lien implicite mais nécessaire avec la question inscrite à l'ordre du jour, d'autre part que la désignation d'un expert avait été soumise au vote et adoptée à la majorité des membres du CHSCT, a pu, nonobstant les motifs erronés mais surabondants tirés d'une modification en séance de l'ordre du jour, en déduire que la délibération était régulière.
8. Le moyen n'est, dès lors, pas fondé.
Mais sur le second moyen, pris en sa première branche
Enoncé du moyen
9. La société La Poste fait le même grief au jugement, alors « qu'aux termes de l'article L. 4614-12 du code du travail dans sa rédaction, applicable au litige, issue de la loi n° 2015-994 du 17 août 2015, le comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail peut faire appel à un expert agréé en cas de projet important modifiant les conditions de santé et de sécurité ou les conditions de travail, prévu à l'article L. 4612-8 ; qu'il appartient au CHSCT, demandeur à l'expertise organisée aux frais de l'employeur, d'établir que les conditions légales de sa mise en oeuvre sont réunies, c'est à dire de démontrer l'existence d'un projet important modifiant les conditions de santé, de sécurité ou les conditions de travail dans l'entreprise ; qu'en l'espèce le tribunal judiciaire, pour débouter La Poste de sa demande d'annulation de la délibération du 22 mars 2022 ordonnant une expertise "projet important" au sein de l'établissement de [Adresse 5], a retenu que "la preuve incombant à celui qui allègue, il appartient à l'employeur qui conteste la nécessité de l'expertise décidée par le CHSCT de démontrer que le projet litigieux n'est pas un projet important (Cass. Soc., 10 février 2010, n° 08-15.086)" et, après analyse des allégations du CHSCT, qu'il "doit dès lors être jugé que la société La Poste ne démontre pas, comme pourtant il lui incombe, que le projet litigieux n'est pas un projet important modifiant les conditions de santé et de sécurité ou les conditions de travail" ; qu'en statuant de la sorte le tribunal judiciaire, qui a renversé la charge de la preuve, a violé l'article L. 4614-12-2° du code du travail, ensemble l'article 1353 du code civil. »
Réponse de la Cour
Vu les articles L. 4614-12, 2°, et L. 4612-8-1 du code du travail, et l'article 1353 du code civil :
10. Aux termes du premier de ces textes, le comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail peut faire appel à un expert agréé en cas de projet important modifiant les conditions de santé et de sécurité ou les conditions de travail, prévu à l'article L. 4612-8-1.
11. Aux termes du deuxième, le comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail est consulté avant toute décision d'aménagement important modifiant les conditions de santé et de sécurité ou les conditions de travail et, notamment, avant toute transformation importante des postes de travail découlant de la modification de l'outillage, d'un changement de produit ou de l'organisation du travail, avant toute modification des cadences et des normes de productivité liées ou non à la rémunération du travail.
12. Selon le troisième texte, celui qui réclame l'exécution d'une obligation doit la prouver. Réciproquement, celui qui se prétend libéré doit justifier le paiement ou le fait qui a produit l'extinction de son obligation.
13. Il en résulte qu'il incombe au comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail, dont la délibération ordonnant une expertise en application de l'article L. 4614-12, 2°, du code du travail est contestée, de démontrer l'existence d'un projet important.
14. Pour débouter la société La Poste de sa demande d'annulation de la résolution ordonnant une expertise pour projet important, le jugement retient que la preuve incombant à celui qui allègue, il appartient à l'employeur qui conteste la nécessité de l'expertise décidée par le CHSCT de démontrer que le projet litigieux n'est pas un projet important et que la société La Poste ne démontre pas, comme pourtant il lui incombe, que le projet litigieux n'est pas un projet important modifiant les conditions de santé et de sécurité ou les conditions de travail.
15. En statuant ainsi, le président du tribunal judiciaire a violé les textes susvisés.
Portée et conséquences de la cassation
16. La cassation du chef de dispositif du jugement déboutant la société La Poste de sa demande d'annulation de la résolution ordonnant une expertise pour projet important n'emporte pas celle des chefs de dispositif du jugement rejetant la demande de déclarer irrégulière la délibération du CHSCT en date du 22 mars 2022 que les griefs du second moyen sont insusceptibles d'atteindre.
17.La cassation du chef de dispositif déboutant la société La Poste de sa demande d'annulation de la résolution ordonnant une expertise pour projet important n'emporte pas celle des chefs de dispositif de l'arrêt condamnant la société La Poste aux dépens ainsi qu'au paiement d'une somme en application de l'article 700 du code de procédure civile, justifiés par les dispositions de l'article L. 4614-13, alinéa 3, du code du travail, dont il résulte que l'ensemble des frais nés de la contestation de la décision du CHSCT de recourir à l'expertise, y compris les honoraires d'avocat, incombe à l'employeur, sauf abus.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il rejette la demande d'annulation de la résolution adoptée à la majorité des membres du CHSCT le 22 mars 2022 désignant un expert agréé en cas de projet important modifiant les conditions de santé et de sécurité ou les conditions de travail, le jugement rendu le 30 juin 2022, entre les parties, par le président du tribunal judiciaire de Rennes ;
Remet, sur ce point, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant le président du tribunal judiciaire de Lorient ;
Condamne la société La Poste aux dépens ;
En application de l'article L. 4614-13 du code du travail, condamne la société La Poste à payer à la SARL Thouvenin, Coudray et Grévy la somme de 3 600 euros TTC ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite du jugement partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du vingt mars deux mille vingt-quatre.