LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
CIV. 2
FD
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 25 avril 2024
Cassation
Mme MARTINEL, président
Arrêt n° 355 F-B
Pourvoi n° G 22-13.481
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 25 AVRIL 2024
L'union de recouvrement des cotisations de sécurité sociale et d'allocations familiales (URSSAF) du Centre-Val de Loire, dont le siège est [Adresse 2], a formé le pourvoi n° 22-13.481 contre le jugement rendu le 8 décembre 2021 par le tribunal judiciaire de Lille (pôle social), dans le litige l'opposant à Mme [G] [P], domiciliée [Adresse 1], défenderesse à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, deux moyens de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Montfort, conseiller référendaire, les observations écrites et orales de la SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol, avocat de l'URSSAF du Centre-Val de Loire, de la SAS Boulloche, Colin, Stoclet et Associés, avocat de Mme [P], et l'avis de Mme Tuffreau, avocat général référendaire, après débats en l'audience publique du 5 mars 2024 où étaient présents Mme Martinel, président, M. Montfort, conseiller référendaire rapporteur, Mme Renault-Malignac, conseiller doyen, M. Gaillardot, premier avocat général, et Mme Gratian, greffier de chambre,
la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt ;
Faits et procédure
1. Selon le jugement attaqué (tribunal judiciaire de Lille, 8 décembre 2021), rendu en dernier ressort, sur renvoi après cassation (2e Civ., 28 janvier 2021, pourvoi n° 19-22.255), l'union de recouvrement des cotisations de sécurité sociale et d'allocations familiales du Centre-Val de Loire (l'URSSAF) a adressé, par un courrier du 15 décembre 2017, à Mme [P] (la cotisante), un appel rectificatif de la cotisation subsidiaire maladie au titre de la protection universelle maladie pour l'année 2016.
2. La cotisante a saisi une juridiction chargée du contentieux de la sécurité sociale d'une demande d'annulation de cet appel de cotisations.
Examen des moyens
Sur la demande de renvoi devant l'assemblée plénière
3. Aux termes de l'article L. 431-6 du code de l'organisation judiciaire, le renvoi devant l'assemblée plénière peut être ordonné lorsque l'affaire pose une question de principe, notamment s'il existe des solutions divergentes soit entre les juges du fond, soit entre les juges du fond et la Cour de cassation. Il doit l'être lorsque, après cassation d'un premier arrêt ou jugement, la décision rendue par la juridiction de renvoi est attaquée par les mêmes moyens.
4. Les moyens de cassation invoqués au soutien du présent pourvoi ne sont pas les mêmes que ceux présentés à l'occasion du pourvoi n° 19-22.255, ayant donné lieu à l'arrêt du 28 janvier 2021.
5. Il n'y a pas lieu, dès lors, de renvoyer l'affaire devant l'Assemblée plénière de la Cour de cassation.
Sur le premier moyen, pris en ses première, deuxième et quatrième branches
Enoncé du moyen
6. L'URSSAF fait grief au jugement d'annuler l'appel de cotisation, alors que :
« 1°/ que si l'article R. 380-4 du code de la sécurité sociale dispose que la cotisation solidaire maladie est appelée au plus tard le dernier jour ouvré du mois de novembre de l'année suivant celle au titre de laquelle elle est due, il n'assortit ce délai d'aucune sanction ; qu'il s'ensuit que le dépassement du délai d'appel de cotisation par l'URSSAF ne saurait entraîner l'annulation dudit appel de cotisation ; qu'en jugeant néanmoins que l'appel de cotisation pour 2016 avait été adressé à la cotisante par courrier du 15 décembre 2017, soit après le délai légal, et devait en conséquence être annulé, le tribunal judiciaire a ajouté à la loi et violé l'article précité ;
2°/ que la date limite d'appel de cotisation fixée par voie réglementaire ne constitue pas le terme d'un délai de prescription après lequel aucun appel de cotisation ne peut plus être émis ; qu'en jugeant que le pouvoir réglementaire avait choisi de limiter dans le temps la période pendant laquelle la cotisation subsidiaire maladie pouvait être appelée, si bien que, passé ce délai, l'URSSAF ne pouvait plus réclamer la cotisation litigieuse, le tribunal judiciaire a violé l'article R. 380-4 du code de la sécurité sociale ;
4° / que les cotisations de sécurité sociale sont portables et non quérables ; qu'il appartient au cotisant de s'acquitter spontanément de sa dette, nonobstant l'appel de cotisations ; qu'en déboutant l'URSSAF de sa demande reconventionnelle en paiement de la cotisation subsidiaire maladie, le tribunal judiciaire a violé les articles L. 380-2 et R. 380-4 du code de la sécurité sociale. »
Réponse de la Cour
Vu les articles L. 380-2 et R. 380-4, I, du code de la sécurité sociale, le premier dans sa rédaction issue de la loi n° 2015-1702 du 21 décembre 2015, et le second dans sa rédaction issue du décret n° 2017-736 du 3 mai 2017, applicables au recouvrement de la cotisation litigieuse :
7. Selon le premier de ces textes, les personnes mentionnées à l'article L. 160-1 du code de la sécurité sociale sont redevables d'une cotisation annuelle dont les conditions d'assujettissement, les modalités de détermination de l'assiette et le taux sont fixés par les articles D. 380-1, D. 380-2 et D. 380-5 du même code, dans leur rédaction issue du décret n° 2016-979 du 9 juillet 2016.
8. Selon le deuxième de ces textes, la cotisation assise sur les revenus non professionnels mentionnée à l'article L. 380-2 du code de la sécurité sociale, est appelée au plus tard le dernier jour ouvré du mois de novembre de l'année suivant celle au titre de laquelle elle est due. Elle est exigible dans les trente jours suivant la date à laquelle elle est appelée.
9. La Cour de cassation juge que le non-respect par l'organisme de recouvrement de la date limite mentionnée par ce texte a pour seul effet de reporter le délai au terme duquel la cotisation devient exigible (2e Civ., 28 janvier 2021, pourvoi n° 19-25.853, publié au Bulletin).
10. En application du principe rappelé au paragraphe 8, l'appel de cotisation détermine le point de départ du délai de trente jours au terme duquel la cotisation est exigible. L'obligation de cotiser existe dès lors que les conditions fixées par la loi, tant pour l'accès au bénéfice des prestations en nature de l'assurance maladie et maternité que pour le paiement des cotisations qui s'y rapportent, sont remplies. Par conséquent, le cotisant doit s'acquitter spontanément de sa dette de cotisations et seul un appel de cotisation postérieur à l'expiration du délai de prescription s'opposerait à la mise en recouvrement de la cotisation.
11. En l'espèce, pour annuler l'appel de cotisation, le jugement énonce que le pouvoir réglementaire a choisi de limiter dans le temps la période pendant laquelle la cotisation subsidiaire maladie pouvait être appelée. Il retient que l'appel de la cotisation subsidiaire maladie due au titre de l'année 2016 devait intervenir impérativement avant le jeudi 30 novembre 2017 et que, passé ce délai, l'URSSAF ne pouvait plus réclamer la cotisation litigieuse.
12. En statuant ainsi, alors que la date limite d'appel de la cotisation fixée par voie réglementaire ne constitue pas le terme d'un délai de prescription après lequel aucun appel de la cotisation ne peut plus être émis, le tribunal a violé les textes susvisés.
Sur le second moyen, pris en sa première branche
Enoncé du moyen
13. L'URSSAF fait grief au jugement d'annuler l'appel de cotisation, alors « que le directeur d'un organisme local ou régional peut déléguer à un organisme local ou régional la réalisation des missions ou activités liées à la gestion des organismes, par une convention qui prend effet après approbation par le directeur de l'organisme national de chaque branche concernée ; qu'en l'espèce, diverses URSSAF, dont l'URSSAF Ile-de-France, avaient délégué à l'URSSAF Centre-Val de Loire leurs missions de recouvrement de la cotisation subsidiaire maladie par convention du 1er décembre 2017, laquelle avait été approuvée par le directeur général de l'agence centrale des organismes de sécurité sociale (l'ACOSS) par décision du 11 décembre 2017 ; qu'en jugeant que l'URSSAF Centre-Val de Loire n'était pas habilitée à notifier à la cotisante le 15 décembre 2017 un appel de cotisations dès lors que la décision du directeur général de l'ACOSS n'avait été publiée au Bulletin officiel que le 15 janvier 2018, quand la publication de cette décision n'était pas requise pour que la convention de délégation du 1er décembre 2017 prenne effet, le tribunal a violé l'article L. 122-7 du code de la sécurité sociale. »
Réponse de la Cour
Vu l'article L. 122-7 du code de la sécurité sociale, dans sa rédaction issue de la loi n° 2016-1827 du 23 décembre 2016, applicable au litige :
14. Aux termes de l'alinéa 1er de ce texte, le directeur d'un organisme local ou régional peut déléguer à un organisme local ou régional la réalisation des missions ou activités liées à la gestion des organismes au service des prestations au recouvrement et à la gestion des activités de trésorerie, par une convention qui prend effet après approbation par le directeur de l'organisme national de chaque branche concernée.
15. Il résulte de ce texte que la convention de délégation prend effet dès son approbation par le directeur de l'organisme national de la branche concernée. En conséquence, l'organisme délégataire est habilité à exercer les pouvoirs résultant de cette délégation à compter de la décision d'approbation.
16. Pour annuler l'appel à cotisation, le jugement énonce que la décision du directeur de l'ACOSS du 11 décembre 2017, qui a validé l'habilitation de l'URSSAF du Centre-Val de Loire, n'a été publiée au Bulletin officiel santé, protection sociale, solidarité que le 15 janvier 2018 et qu'en l'absence de publication de la décision de délégation à la date du 15 décembre 2017, l'URSSAF délégataire ne pouvait procéder à l'appel et au recouvrement de la cotisation subsidiaire maladie due par la cotisante au titre de l'année 2016.
17. En statuant ainsi, le tribunal a violé le texte susvisé.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs du pourvoi, la Cour :
CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, le jugement rendu le 8 décembre 2021, entre les parties, par le tribunal judiciaire de Lille ;
Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ce jugement et les renvoie devant le tribunal judiciaire d'Amiens.
Condamne Mme [P] aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite du jugement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-cinq avril deux mille vingt-quatre.