LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
SOC.
CH9
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 2 mai 2024
Cassation partielle
Mme MARIETTE, conseiller doyen
faisant fonction de président
Arrêt n° 417 F-D
Pourvoi n° K 22-20.084
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 2 MAI 2024
M. [B] [N], domicilié [Adresse 2], a formé le pourvoi n° K 22-20.084 contre l'arrêt rendu le 17 mars 2022 par la cour d'appel de Dijon (chambre sociale), dans le litige l'opposant à la société HS aérospace Dijon, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 1], défenderesse à la cassation.
Le demandeur invoque, Ã l'appui de son pourvoi, deux moyens de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Douxami, conseiller, les observations de la SARL Thouvenin, Coudray et Grévy, avocat de M. [N], de la SCP Doumic-Seiller, avocat de la société HS aérospace Dijon, après débats en l'audience publique du 19 mars 2024 où étaient présents Mme Mariette, conseiller doyen faisant fonction de président, Mme Douxami, conseiller rapporteur, M. Pietton, conseiller, et Mme Dumont, greffier de chambre,
la chambre sociale de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Dijon, 17 mars 2022) et les productions, M. [N], engagé en qualité d'ajusteur monteur le 9 février 1976, par la société HS aérospace Dijon, a exercé les fonctions de membre de la délégation unique du personnel et de délégué syndical.
2. L'inspection du travail a autorisé son licenciement le 21 mars 2015.
3. Le salarié a été licencié pour inaptitude et impossibilité de reclassement par lettre du 3 juin 2015.
4. Par jugement du 8 juin 2017, le tribunal administratif a annulé la décision de l'inspection du travail. Par arrêt du 1er octobre 2018, la cour d'appel administrative a confirmé ce jugement.
5. Entre-temps, le salarié a saisi la juridiction prud'homale, le 9 juillet 2015, pour contester son licenciement et obtenir le paiement de différentes sommes.
Examen des moyens
Sur le premier moyen
Enoncé du moyen
6. Le salarié fait grief à I'arrêt de déclarer irrecevables, comme nouvelles, ses demandes en paiement des sommes de 7 329,87 euros de rappel de salaires pour la période de décembre 2014 à juin 2015 et de 732,98 euros de congés payés afférents, alors « qu'il résulte des articles 8 et 45 du décret n° 2016-660 du 20 mai 2016 que les dispositions de l'article R. 1452-7 du code du travail, aux termes desquelles les demandes nouvelles dérivant du même contrat de travail sont recevables même en appel, demeurent applicables aux instances introduites devant les conseils de prud'hommes antérieurement au 1er août 2016 ; que, pour déclarer irrecevable la demande de rappel de salaire présentée par le salarié pour la période de décembre 2014 à juin 2015, la cour d'appel a retenu que cette demande était nouvelle à hauteur d'appel ; qu'en statuant ainsi, quand le salarié avait saisi le conseil de prud'hommes le 9 juillet 2015 de sorte qu'il était recevable à présenter en cause d'appel des demandes nouvelles dérivant du même contrat de travail que les demandes portées devant le conseil de prud'hommes, la cour d'appel a violé l'article R. 1452-7 du code du travail, les articles 8 et 45 du décret du 20 mai 2016 et, par fausse application, les articles 564 et 566 du code de procédure civile.
Réponse de la Cour
Recevabilité du moyen
7. L'employeur conteste la recevabilité du moyen. Il soutient qu'il est contraire à la position soutenue devant la cour d'appel par le salarié qui avait conclu que ses demandes nouvelles ne pouvaient être formulées en appel que dans les limites de l'article 566 du code de procédure civile, c'est-à -dire à la condition qu'elles soient l'accessoire, la conséquence ou le complément nécessaire des demandes soumises au conseil de prud'hommes.
8. Cependant le moyen tiré de ce que les demandes nouvelles dérivaient du même contrat de travail que celles présentées devant le conseil de prud'hommes n'est pas contraire à cette position.
9. Le moyen est donc recevable.
Bien-fondé du moyen
Vu l'article R. 1452-7 du code du travail alors applicable et les articles 8 et 45 du décret n° 2016-660 du 20 mai 2016 :
10. Il résulte des deux derniers de ces textes que les dispositions de l'article R. 1452-7 du code du travail, aux termes desquelles les demandes nouvelles dérivant du même contrat de travail sont recevables même en appel, demeurent applicables aux instances introduites devant les conseils de prud'hommes antérieurement au 1er août 2016.
11. Pour déclarer irrecevables, comme nouvelles, les demandes en paiement d'un rappel de salaire pour la période de décembre 2014 à juin 2015 et des congés payés afférents, l'arrêt retient que devant le conseil de prud'hommes, le salarié n'a pas formé de demande en ce sens, qu'il prétend qu'il s'agit d'une demande accessoire à son argumentation sur l'absence d'application de l'avenant litigieux, que toutefois l'article 566 du code de procédure civile vise les demandes accessoires aux prétentions soumises aux premiers juges et non accessoires à une argumentation ou à un moyen et souligne que, sous le couvert d'une demande accessoire, le salarié tente de réparer un oubli.
12. Il conclut que cette demande n'est pas l'accessoire d'une demande déjà présente devant les premiers juges de sorte que, nouvelle à hauteur d'appel, elle est irrecevable.
13. En statuant ainsi, alors qu'il résultait de ses constatations que le salarié avait saisi le conseil de prud'hommes avant le 1er août 2016, ce dont elle aurait dû déduire que l'instance ainsi introduite était soumise au principe de la recevabilité en appel des demandes nouvelles dérivant du même contrat de travail, la cour a violé les textes susvisés.
Et sur second moyen, pris en ses première et troisième branches
Enoncé du moyen
14. Le salarié fait grief à l'arrêt de le débouter de sa demande d'indemnisation du préjudice résultant de l'annulation de l'autorisation de licenciement et de limiter à 3 892,12 euros brut, outre 389,21 euros au titre des congés payés afférents, la somme allouée à titre d'indemnité de préavis, alors :
« 1°/ que la durée du travail constitue un élément du contrat de travail qui ne peut être modifié sans l'accord du salarié ; que l'acceptation par le salarié de la modification de son contrat de travail doit être expresse ; qu'en retenant. pour considérer que la rémunération du salarié devait être calculée sur la base d'un temps partiel à 60 % comme prévu par un avenant non signé, que cet avenant avait reçu un commencement d exécution avec l'accord tacite du salarié quand ledit avenant ne pouvait être appliqué sans l'accord exprès de l'intéressé, la cour d'appel a violé l'article 1134, devenu 1103, du code civil ensemble l'article L. 2422-4 du code du travail ;
3°/ que la durée du travail constitue un élément du contrat de travail qui ne peut être modifié sans l'accord du salarié ; que l'acceptation expresse par le salarié de la modification de son contrat de travail est requise quelle que soit la cause de cette modification, même lorsque celle-ci est consécutive à des préconisations du médecin du travail ; qu'en retenant, pour considérer qu'il avait lieu de déterminer la rémunération du salarié sur les base définies par un avenant non signé portant le temps de travail de l'intéressé à 60 %, que cet avenant respectait les préconisations du médecin du travail, sans constater l'acceptation expresse, ou à tout le moins claire et non équivoque, par le salarié de cette modification de son contrat de travail, la cour d'appel a violé l'article 1134, devenu 1103, du code civil ensemble l'article L. 2422-4
du code du travail. »
Réponse de la Cour
Recevabilité du moyen
15. L'employeur conteste la recevabilité du moyen. Il soutient que, devant la cour d'appel, le salarié, d'une part, a prétendu avoir signé l'avenant de modification du contrat de travail, d'autre part, s'est contenté de faire valoir que cet avenant n'avait jamais été appliqué, qu'il ne l'avait pas signé et qu'il s'agissait d'un refus.
16. Cependant le moyen tiré de ce que le salarié n'a pas donné son accord exprès au passage d'un temps complet à un temps partiel n'est pas incompatible avec la position du salarié devant la cour d'appel qui a soutenu qu'il n'avait pas signé l'avenant et il se réfère à des considérations de fait résultant des énonciations de l'arrêt lui-même.
17. Le moyen est donc recevable.
Bien-fondé du moyen
Vu l'article 1134, devenu 1103, du code civil et l'article L. 2422-4 du code du travail :
18. Pour débouter le salarié de sa demande d'indemnisation du préjudice résultant de l'annulation de l'autorisation de licenciement et limiter le montant des sommes allouées au titre d'indemnité de préavis et de congés payés afférents, l'arrêt retient que le salarié n'a formé aucune réclamation quant aux documents remis et signés, comme la déclaration du maintien des garanties de santé et de prévoyance du 5 juin 2015, faisant état d'un temps partiel à 60 % et que, par ailleurs, l'employeur devait respecter les préconisations du médecin du travail qui a, dans son avis du 28 novembre 2014, prévu une inaptitude du salarié dans la limite d'un travail à temps partiel à 60 %, puis à 50 % à un poste assis selon avis du 22 janvier 2015.
19. Il en déduit que, nonobstant l'avenant non signé, celui-ci a reçu un commencement d'exécution avec l'accord tacite du salarié et dans les limites de l'aptitude telle qu'arrêtée par le médecin du travail.
20. En statuant ainsi, alors qu'il résultait de ses constatations que le salarié n'avait pas donné son accord exprès à la modification de son contrat de travail, la cour d'appel a violé les textes susvisés.
Portée et conséquences de la cassation
21. La cassation des chefs de dispositif déclarant irrecevables les demandes du salarié en paiement d'un rappel de salaire pour la période de décembre 2014 à juin 2015 et des congés payés afférents, déboutant le salarié de sa demande d'indemnisation du préjudice résultant de l'annulation de son licenciement et limitant les sommes allouées au titre d'indemnité de préavis et de congés payés afférents n'emporte pas celle des chefs de dispositif de l'arrêt condamnant l'employeur aux dépens ainsi qu'au paiement d'une somme en application de l'article 700 du code de procédure civile, justifiés par d'autres dispositions de l'arrêt non remises en cause.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur l'autre grief, la Cour :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il déclare irrecevables les demandes de M. [N] en paiement d'un rappel de salaire pour la période de décembre 2014 à juin 2015 et des congés payés afférents, déboute M. [N] de sa demande d'indemnisation du préjudice résultant de l'annulation de son licenciement et condamne la société HS aérospace Dijon à payer M. [N] les sommes de 3 892,12 euros et 389,21 euros au titre d'indemnité de préavis et des congés payés afférents, l'arrêt rendu le 17 mars 2022, entre les parties, par la cour d'appel de Dijon ;
Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Besançon ;
Condamne la société HS aérospace Dijon aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société HS aérospace Dijon et la condamne à payer à M. [N] la somme de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du deux mai deux mille vingt-quatre.