LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
SOC.
CH9
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 15 mai 2024
Cassation partielle
M. HUGLO, conseiller doyen
faisant fonction de président
Arrêt n° 505 F-D
Pourvoi n° B 22-24.492
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 15 MAI 2024
M. [H] [F], domicilié [Adresse 2], a formé le pourvoi n° B 22-24.492 contre l'arrêt rendu le 4 octobre 2022 par la cour d'appel de Paris (pôle 6, chambre 11), dans le litige l'opposant à la société Mutuelle générale des cheminots, dont le siège est [Adresse 1], défenderesse à la cassation.
La société Mutuelle générale des cheminots a formé un pourvoi incident contre le même arrêt.
Le demandeur au pourvoi principal invoque, à l'appui de son recours, un moyen de cassation.
La demanderesse au pourvoi incident invoque, à l'appui de son recours, un moyen de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Ollivier, conseiller référendaire, les observations de la SCP Gadiou et Chevallier, avocat de M. [F], de la SCP Célice, Texidor, Périer, avocat de la société Mutuelle générale des cheminots, après débats en l'audience publique du 3 avril 2024 où étaient présents M. Huglo, conseiller doyen faisant fonction de président, Mme Ollivier, conseiller référendaire rapporteur, M. Rinuy, conseiller, et Mme Aubac, greffier de chambre,
la chambre sociale de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 4 octobre 2022), M. [F] a été engagé en qualité de directeur général, statut cadre dirigeant, par la Mutuelle générale des cheminots (MGC) à compter du 21 mai 2013.
2. Il a été élu, le 2 octobre 2013, membre du conseil d'administration de l'Union nationale mutualiste interprofessionnelle (UNMI) et, le 24 juin 2015, membre du conseil d'administration du Centre informatique des mutuelles (CIMUT).
3. Le 12 avril 2017, le salarié a été mis à pied à titre conservatoire. Il a été convoqué à un entretien préalable fixé au 21 avril 2017 et, par lettre du 26 avril 2017, a prévenu l'employeur qu'il bénéficiait du statut de salarié protégé. Le 27 avril suivant, l'employeur a sollicité auprès de l'inspecteur du travail l'autorisation de licencier le salarié ; cette autorisation a été accordée par décision du 3 juillet 2017. Le salarié a été licencié pour faute grave par lettre du 5 juillet 2017.
4. Le 25 juillet 2017, le salarié a formé un recours hiérarchique contre la décision de l'inspecteur du travail. Le ministre du travail, par décision du 28 mars 2018, a annulé la décision de l'inspecteur du travail du 3 juillet 2017 et a autorisé le licenciement du salarié.
5. Le 6 septembre 2018, le salarié a saisi la juridiction prud'homale aux fins de réintégration, de paiement d'un rappel de salaire jusqu'au jour de sa réintégration effective et de diverses sommes à titre de dommages-intérêts.
6. Par jugement du 3 juillet 2019, le tribunal administratif a annulé l'autorisation du ministre du travail de licencier le salarié. Ce jugement a été confirmé par la cour administrative d'appel par arrêt du 3 novembre 2020. Par arrêt du 23 juin 2021, le Conseil d'Etat a rejeté le pourvoi formé par l'employeur.
Examen des moyens
Sur le moyen du pourvoi incident, en ce qu'il fait grief à l'arrêt de juger le licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse
7. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Mais sur le moyen du pourvoi principal
Enoncé du moyen
8. Le salarié fait grief à l'arrêt de rejeter sa demande de réintégration, de le débouter de sa demande de rappel de salaire subséquente et du surplus de ses demandes, hormis celle au titre de l'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, alors :
« 1°/ que la procédure de licenciement d'un salarié, membre d'un conseil d'administration d'une mutuelle, qui est protégé, est identique à celle applicable au délégué syndical ; qu'en conséquence, en cas d'annulation par le juge administratif de la décision d'autorisation de l'inspecteur du travail ou du ministre compétent, le salarié concerné a le droit, s'il le demande dans un délai de deux mois à compter de la notification de la décision, d'être réintégré dans son emploi ou un emploi équivalent ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a relevé que par un jugement du 3 juillet 2019, confirmé par arrêts de la cour d'administrative d'appel de Paris et du Conseil d'Etat les 3 novembre 2020 et 23 juin 2021, le tribunal administratif de Paris avait annulé l'autorisation de licenciement de M. [F] et que ce dernier, membre élu au conseil d'administration de l'Union nationale mutualiste interprofessionnelle (UNMI) et du Centre informatique des mutuelles (CIM), avait demandé à être réintégré dans son emploi de directeur général de la MGC par lettre datée du 26 août 2019, demande réitérée les 18 et 22 décembre 2020 et 6 et 8 juillet 2021 ; qu'en considérant que M. [F] ne pouvait prétendre à être réintégré dans son ancien emploi dès lors que le statut de membre du conseil d'administration d'une mutuelle n'était pas visé par l'article L. 2422-1 du code du travail, la cour d'appel, qui a méconnu qu'il pouvait en bénéficier par assimilation avec un délégué syndical s'agissant de la procédure de licenciement applicable, a violé les articles L. 2411-1, L. 2411-3, L. 2411-19, L. 2422-1 du code du travail et L. 114-24 du code de la mutualité ;
2°/ que lorsque l'annulation d'une décision d'autorisation est devenue définitive, le salarié investi d'un mandat de membre du conseil d'administration d'une mutuelle, assimilé à celui de délégué syndical s'agissant de la procédure de licenciement applicable, a droit au paiement d'une indemnité correspondant à la totalité du préjudice subi au cours de la période écoulée entre son licenciement et sa réintégration, s'il en a formulé la demande dans le délai de deux mois à compter de la notification de la décision ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a expressément relevé que M. [F], salarié membre du conseil d'administration de Mutuelles, avait demandé à être réintégré à son poste de directeur général de la MGC par lettre datée du 26 août 2019, demande réitérée les 18 et 22 décembre 2020 et 6 et 8 juillet 2021, en suite de l'annulation devenue définitive de la décision d'autorisation de son licenciement prononcée par un jugement du 3 juillet 2019, confirmé par arrêts de la cour d'administrative d'appel de Paris et du Conseil d'Etat les 3 novembre 2020 et 23 juin 2021 ; qu'en le déboutant de sa demande indemnitaire au titre du préjudice financier subi depuis son licenciement et qu'il continuait à subir à défaut de réintégration, la cour d'appel a violé les articles L. 2411-1, L. 2411-3, L. 2411-19, L. 2422-1 et L. 2422-4 du code du travail et L. 114-24 du code de la mutualité. »
Réponse de la Cour
Vu l'article L. 114-24 du code de la mutualité et les articles L. 2411-3, L. 2422-1 et L. 2422-4 du code du travail :
9. Selon le premier de ces textes, le licenciement par l'employeur d'un salarié exerçant le mandat d'administrateur d'une mutuelle, union ou fédération ou ayant cessé son mandat depuis moins de six mois est soumis à la procédure prévue aux articles L. 2411-3 et L. 2421-9 du code du travail.
10. Selon l'article L. 2411-3 susvisé, le licenciement d'un délégué syndical ne peut intervenir qu'après autorisation de l'inspecteur du travail.
11. Selon l'article L. 2422-1 du code du travail, lorsque le ministre compétent annule, sur recours hiérarchique, la décision de l'inspecteur du travail autorisant le licenciement d'un salarié investi de l'un des mandats énumérés par ce texte, ou lorsque le juge administratif annule la décision d'autorisation de l'inspecteur du travail ou du ministre compétent, le salarié concerné a le droit, s'il le demande dans un délai de deux mois à compter de la notification de la décision, d'être réintégré dans son emploi ou dans un emploi équivalent. Cette disposition s'applique, notamment, aux salariés investis d'un mandat de délégué syndical.
12. Aux termes de l'article L. 2422-4 du code du travail, lorsque l'annulation d'une décision d'autorisation est devenue définitive, le salarié investi d'un des mandats mentionnés à l'article L. 2422-1 a droit au paiement d'une indemnité correspondant à la totalité du préjudice subi au cours de la période écoulée entre son licenciement et sa réintégration, s'il en a formulé la demande dans le délai de deux mois à compter de la notification de la décision. L'indemnité correspond à la totalité du préjudice subi au cours de la période écoulée entre son licenciement et l'expiration du délai de deux mois s'il n'a pas demandé sa réintégration. Ce paiement s'accompagne du versement des cotisations afférentes à cette indemnité qui constitue un complément de salaire.
13. L'article L. 114-24 du code de la mutualité soumettant le licenciement d'un salarié exerçant le mandat d'administrateur d'une mutuelle, union ou fédération à la procédure prévue à l'article L. 2411-3, il en résulte que le salarié exerçant le mandat d'administrateur doit bénéficier de la protection du salarié mentionné à l'article L. 2411-3 au sens de l'article L. 2422-1, auquel les dispositions de ce dernier texte sont applicables.
14. Pour débouter le salarié de ses demandes de réintégration et de paiement d'un rappel de salaire, l'arrêt retient qu'en cas d'annulation de l'autorisation de licencier, l'article L. 2422-1 ne vise pas le salarié membre d'un conseil d'administration d'une mutuelle comme ayant le droit de solliciter sa réintégration dans son emploi et que le membre élu d'un conseil d'administration d'une mutuelle ne disposant pas du droit à réintégration, c'est à juste titre que les premiers juges ont débouté le salarié de sa demande de réintégration et de sa demande de rappel de salaire.
15. En statuant ainsi, alors qu'à la suite de l'annulation de l'autorisation administrative de licenciement, le salarié exerçant un mandat d'administrateur d'une mutuelle avait droit à réintégration dans son emploi ou dans un emploi équivalent, ainsi qu'au paiement de l'indemnité correspondant à la totalité du préjudice subi au cours de la période écoulée entre son licenciement et sa réintégration, dans les conditions prévues à l'article L. 2422-4 du code du travail, la cour d'appel a violé les textes susvisés.
Portée et conséquences de la cassation
16. La cassation des chefs de dispositif de l'arrêt rejetant la demande de réintégration et déboutant le salarié de sa demande de rappel de salaire subséquente n'entraîne pas la cassation du chef de dispositif déboutant le salarié du surplus de ses demandes que la critique formée par le moyen du pourvoi du salarié n'est pas susceptible d'atteindre.
17. Cette cassation n'emporte pas celle des chefs de dispositif de l'arrêt condamnant l'employeur aux dépens ainsi qu'au paiement d'une somme en application de l'article 700 du code de procédure civile, justifiés par d'autres dispositions de l'arrêt et non remises en cause.
18. En application de l'article 624 du code de procédure civile, la cassation des chefs de dispositif de l'arrêt rejetant la demande de réintégration et déboutant le salarié de sa demande de rappel de salaire subséquente, entraîne la cassation du chef de dispositif condamnant la Mutuelle générale des cheminots à verser au salarié une indemnité de 100 000 euros au titre du licenciement sans cause réelle et sérieuse avec intérêts au taux légal à compter de l'arrêt, qui s'y rattache par un lien de dépendance nécessaire.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il rejette la demande de réintégration, déboute M. [F] de sa demande de rappel de salaire subséquente à sa demande de réintégration et en ce qu'il condamne la Mutuelle générale des cheminots à verser à M. [F] une indemnité de 100 000 euros au titre du licenciement sans cause réelle et sérieuse, l'arrêt rendu le 4 octobre 2022, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;
Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Paris autrement composée ;
Condamne la Mutuelle générale des cheminots aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la Mutuelle générale des cheminots et la condamne à payer à M. [F] la somme de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du quinze mai deux mille vingt-quatre.