LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :
N° X 23-82.958 F-D
N° 00628
GM
22 MAI 2024
CASSATION PARTIELLE
M. BONNAL président,
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 22 MAI 2024
Mme [K] [V], épouse [X], partie civile, a formé un pourvoi contre l'arrêt de la cour d'appel de Rouen, chambre correctionnelle, en date du 28 mars 2023, qui, dans la procédure suivie contre M. [D] [C] du chef de blessures involontaires aggravées, a prononcé sur les intérêts civils.
Des mémoires, en demande et en défense, ainsi que des observations complémentaires ont été produits.
Sur le rapport de Mme Hairon, conseiller, les observations du cabinet François Pinet, avocat de Mme [K] [X], les observations de la SCP Waquet, Farge et Hazan, avocat de la société L' [1] et les conclusions de M. Croizier, avocat général, après débats en l'audience publique du 23 avril 2024 où étaient présents M. Bonnal, président, Mme Hairon, conseiller rapporteur, Mme Ingall-Montagnier, conseiller de la chambre, et M. Maréville, greffier de chambre,
la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée en application de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure ce qui suit.
2. Mme [K] [X] a été victime d'un accident de la circulation causé par le véhicule de M. [D] [C], assuré par la société [1] (l'assureur).
3. M. [C] a été déclaré coupable des faits poursuivis et, après expertise, le tribunal correctionnel l'a condamné à verser diverses sommes à la victime en réparation de ses préjudices.
4. La partie civile et l'assureur ont relevé appel de la décision.
5. Une nouvelle expertise médicale a été ordonnée par arrêt du 24 août 2022.
Examen des moyens
Sur le troisième moyen
6. Il n'est pas de nature à permettre l'admission du pourvoi au sens de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale.
Sur le premier moyen
Enoncé du moyen
7. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a condamné M. [C] à régler la seule somme de 5 822,09 euros au titre de la perte de gains professionnels futurs, alors « que lorsque la partie civile n'est plus, depuis la date de consolidation fixée par l'expert, en mesure d'exercer une activité professionnelle dans les conditions antérieures et qu'elle présente une réelle et durable restriction à occuper un emploi, la perte de gains professionnels futurs doit être liquidée sur la base des revenus antérieurs ; que pour déterminer le montant de l'indemnisation allouée au titre de la perte de gains professionnels futurs, l'arrêt attaqué énonce que l'expert retient un déficit fonctionnel permanent de 10 % pour [K] [X] et que son état est décrit comme « compatible avec une activité professionnelle avec un emploi adapté à temps partiel sans charge lourde ni station immobile prolongée », ce qui signifie qu'elle ne se trouve pas dans l'impossibilité de retrouver un emploi à un poste adapté, fut-il à temps partiel » et « qu'il convient de diviser par moitié » le montant de la perte de revenu calculé sur la base de son revenu antérieur et capitalisé, « du fait de la capacité de [K] [X] à occuper, depuis sa consolidation, un poste à temps partiel », qu'en limitant ainsi l'indemnisation du préjudice de l'exposante, en considération de la reprise d'une activité professionnelle avec un emploi adapté à temps partiel sans charge lourde ni station immobile prolongée, totalement hypothétique, eu égard notamment au fait que l'intéressée était âgée de 40 ans à la date de la consolidation, la cour d'appel a violé le principe de réparation intégrale et l'article 1240 du code civil. »
Réponse de la Cour
8. Pour limiter l'indemnisation octroyée à la partie civile au titre de la perte de gains professionnels futurs à la somme de 5 822,09 euros, après déduction de la rente d'invalidité capitalisée, l'arrêt attaqué énonce que l'expert retient un déficit fonctionnel permanent de 10 % et que Mme [X] ne se trouve pas dans l'impossibilité de retrouver un emploi à un poste adapté, fût-il à temps partiel.
9. Le juge en déduit qu'il y a lieu de diviser par moitié l'indemnité à laquelle Mme [X] peut prétendre, du fait de la capacité de celle-ci à occuper, depuis sa consolidation, un poste à temps partiel.
10. En l'état de ces énonciations, procédant de son appréciation souveraine, la cour d'appel a justifié sa décision.
11. En effet, la victime d'un dommage corporel ne peut être indemnisée de la perte totale de gains professionnels futurs que si, à la suite de la survenue de ce dommage, elle se trouve privée de la possibilité d'exercer une activité professionnelle.
12. Ainsi le moyen doit être écarté.
Mais sur le deuxième moyen
Enoncé du moyen
13. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a débouté Mme [X] de sa demande au titre de la tierce personne temporaire, alors « que le montant de l'indemnité allouée au titre de l'assistance d'une tierce personne ne saurait être réduit en cas d'assistance familiale ni subordonné à la justification de dépenses effectives ; que pour débouter Mme [X] de sa demande au titre de la tierce personne temporaire, l'arrêt, après avoir constaté l'existence du besoin de tierce personne depuis la date de l'accident, retient qu'elle ne justifie d'aucune aide ou assistance dont elle pourrait avoir bénéficié jusqu'à sa consolidation et qu'aucun élément n'est versé aux débats dans ce sens, qui permettrait à la cour, qui statue plus de trois années après la date de consolidation, d'apprécier la portée du dommage financier supporté, dont la réalité ne peut être que définitive et non hypothétique ; qu'en statuant ainsi, la cour d'appel a violé le principe de la réparation intégrale sans perte ni profit pour la victime. »
Réponse de la Cour
Vu le principe de la réparation intégrale sans perte ni profit :
14. Il résulte de ce principe que l'indemnisation du préjudice lié à l'assistance par une tierce personne, qui ne se limite pas aux seuls besoins vitaux de la victime, doit être évaluée en fonction des besoins de celle-ci et ne peut être subordonnée à la production de justifications des dépenses effectives.
15. Pour rejeter la demande d'indemnisation au titre de l'assistance par une tierce personne avant consolidation, l'arrêt attaqué énonce que s'il ne peut être contesté que la victime bénéficie d'un droit à indemnisation estimé par l'expert, celle-ci ne peut résulter que d'un dommage effectivement subi par la victime qui doit en justifier.
16. Le juge ajoute que Mme [X] ne justifie d'aucune aide ou assistance dont elle pourrait avoir bénéficié jusqu'à sa consolidation, et qu'en l'absence d'élément versé aux débats, le dommage financier allégué ne peut être apprécié.
17. En se déterminant ainsi, par des motifs impropres à écarter le besoin d'assistance de Mme [X], constaté par les experts et non contesté par l'assureur, la cour d'appel a méconnu le principe ci-dessus rappelé.
18. La cassation est par conséquent encourue.
Et sur le quatrième moyen
Enoncé du moyen
19. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a débouté Mme [X] de sa demande au titre du préjudice sexuel, alors « que l'expert avait indiqué dans son rapport que « les conséquences de l'accident et du traitement psychotrope peuvent être à l'origine d'une altération de la libido pouvant justifier d'un préjudice sexuel » et retenu un préjudice sexuel pouvant « se définir par une altération de la libido » ; qu'en retenant que l'expert avait retenu que le traitement psychotrope pouvait être à l'origine d'une altération de la libido, quand le rapport avait lié ce trouble au traitement et à l'accident, la cour d'appel a dénaturé le rapport d'expertise. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 593 du code de procédure pénale :
20. Tout jugement ou arrêt doit comporter les motifs propres à justifier la décision et répondre aux chefs péremptoires des conclusions des parties. L'insuffisance ou la contradiction des motifs équivaut à leur absence.
21. Pour débouter Mme [X] de sa demande d'indemnisation du préjudice sexuel, l'arrêt attaqué énonce qu'en dehors du traitement psychotrope pouvant être à l'origine d'une altération de la libido, l'expert ne retient aucune atteinte aux organes sexuels ni aucune perte de la capacité physique d'avoir une activité sexuelle, ni aucune atteinte à la faculté de procréer.
22. Le juge ajoute que la partie civile ne verse aux débats aucune pièce établissant la perte de libido invoquée et en déduit que le préjudice sexuel n'est pas établi.
23. En statuant ainsi, alors qu'il résultait du rapport d'expertise que les conséquences de l'accident et du traitement psychotrope pouvaient être à l'origine d'une altération de la libido et justifier un préjudice sexuel, dont l'indemnisation n'était pas au surplus contestée en son principe par l'assureur, la cour d'appel n'a pas justifié sa décision.
24. La cassation est par conséquent de nouveau encourue.
Portée et conséquences de la cassation
25. La cassation à intervenir ne concerne que les dispositions relatives à l'indemnisation du préjudice lié à l'assistance par une tierce personne avant consolidation et du préjudice sexuel. Les autres dispositions seront donc maintenues.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
CASSE et ANNULE l'arrêt susvisé de la cour d'appel de Rouen, en date du 28 mars 2023, mais en ses seules dispositions relatives à l'indemnisation du préjudice lié à l'assistance par une tierce personne avant consolidation et du préjudice sexuel, toutes autres dispositions étant expressément maintenues ;
Et pour qu'il soit à nouveau jugé, conformément à la loi, dans les limites de la cassation ainsi prononcée,
RENVOIE la cause et les parties devant la cour d'appel de Rouen, autrement composée, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;
DIT n'y avoir lieu à application de l'article 618-1 du code de procédure pénale ;
ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la cour d'appel de Rouen, et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement annulé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-deux mai deux mille vingt-quatre.