LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
CIV. 2
FD
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 27 juin 2024
Cassation
Mme MARTINEL, président
Arrêt n° 629 F-B
Pourvoi n° Z 22-21.454
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 27 JUIN 2024
1°/ Mme [V] [I],
2°/ M. [J] [H], pris en la personne de son représentant légal Mme [V] [I],
tous deux domiciliés [Adresse 1],
ont formé le pourvoi n° Z 22-21.454 contre l'arrêt rendu le 19 juillet 2022 par la cour d'appel de Besançon (chambre sociale), dans le litige les opposant à la Maison départementale des personnes handicapées du Territoire de Belfort, dont le siège est MDPH 90, [Adresse 2], défenderesse à la cassation.
Les demandeurs invoquent, à l'appui de leur pourvoi, un moyen unique de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Dudit, conseiller référendaire, les observations de la SARL Cabinet François Pinet, avocat de Mme [I] et de M. [H], pris en la personne de son représentant légal Mme [I], de la SARL Meier-Bourdeau, Lécuyer et associés, avocat de la Maison départementale des personnes handicapées du Territoire de Belfort, et l'avis de Mme Pieri-Gauthier, avocat général, après débats en l'audience publique du 22 mai 2024 où étaient présentes Mme Martinel, président, Mme Dudit, conseiller référendaire rapporteur, Mme Renault-Malignac, conseiller doyen, et Mme Gratian, greffier de chambre,
la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt ;
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Besançon, 19 juillet 2022), le 4 avril 2019, Mme [I] (l'allocataire) a déposé, auprès de la Maison départementale des personnes handicapées du Territoire de Belfort (MDPH), une demande de prise en charge du handicap de son fils, mineur.
2. Par décisions du 1er juillet 2019, notifiées par lettre recommandée avec accusé de réception du 26 août 2019, la commission des droits et de l'autonomie des personnes handicapées a accordé à l'enfant le bénéfice de l'allocation de base d'éducation de l'enfant handicapé du 1er juillet 2019 au 30 juin 2020, avec un taux d'incapacité compris entre 50 et 79 %, et un accompagnement de l'élève en situation de handicap à hauteur de 9 heures par semaine, pour la période du 1er septembre 2019 au 10 juillet 2020. En revanche, elle lui a refusé le bénéfice d'une prise en charge pour déficience auditive et l'allocation complémentaire d'éducation.
3. Le 19 août 2019, l'allocataire, indiquant ne pas avoir reçu de décision dans les quatre mois suivant le dépôt de sa demande, a contesté la décision de rejet implicite de celle-ci. A défaut de décision rendue sur recours amiable, l'allocataire a saisi, le 30 octobre 2019, une juridiction chargée du contentieux de la sécurité sociale.
Examen du moyen
Sur le moyen, pris en sa deuxième branche
Enoncé du moyen
4. L'allocataire fait grief à l'arrêt de déclarer son recours irrecevable, alors « que lorsque le recours juridictionnel exercé à l'encontre d'une décision implicite de rejet de demandes de prestations et d'aides sociales est recevable, la juridiction, régulièrement saisie d'une demande de fixation de ses droits à prestations et aides sociales, doit statuer sur ses demandes, sans que le demandeur soit tenu de former un nouveau recours administratif préalable obligatoire à l'encontre d'une seconde décision de rejet notifiée par la commission des droits et de l'autonomie des personnes handicapées postérieurement à l'expiration du délai de quatre mois qui lui était imparti pour statuer sur les demandes ; que le recours administratif préalable obligatoire exercé contre une décision implicite de rejet de la commission des droits et de l'autonomie des personnes handicapées avant l'expiration du délai de quatre mois qui lui est imparti pour statuer sur les demandes n'est privé d'effet qu'à la condition qu'une décision explicite ait été effectivement rendue par la commission et notifiée au demandeur avant l'expiration de ce délai ; qu'en l'absence d'une telle décision explicite de rejet notifiée dans le délai réglementaire, le recours administratif préalable obligatoire est recevable ; qu'en retenant que les demandes de l'allocataire n'ayant été enregistrées par la MDPH du Territoire de Belfort que le 19 avril 2019, le délai lui étant imparti pour statuer sur les demandes expirait en conséquence le 19 août 2019, de sorte que le courrier du même jour de l'allocataire ne pouvait s'analyser, malgré les termes de son objet, en un recours préalable obligatoire, quand elle constatait que les décisions de la commission des droits et de l'autonomie des personnes handicapées de la MDPH du Territoire de Belfort n'avaient été portées à la connaissance de l'allocataire que le 28 août 2019, ce dont il résultait que leur recours administratif préalable obligatoire exercé par lettre du 19 août 2019, bien que prématuré à cette date, devait être tenu pour valide à compter du lendemain, date à laquelle le délai de quatre mois imparti à la commission des droits de l'autonomie des personnes handicapées pour statuer sur leurs demandes avait expiré et fait naître une décision implicite de rejet de celles-ci, la cour d'appel a violé les articles L. 142-1 et L. 142-4 du code de la sécurité sociale en leur rédaction issue de la loi n° 2019-222 du 23 mars 2019, ensemble les articles L. 241-6 et R. 241-36 du code de l'action sociale et des familles. »
Réponse de la Cour
Recevabilité du moyen
5. La MDPH conteste la recevabilité du moyen comme nouveau, mélangé de fait et de droit.
6. Cependant, le moyen qui ne se réfère à aucune considération de fait qui ne résulterait pas des énonciations de l'arrêt attaqué, est de pur droit.
7. Le moyen est, dès lors, recevable.
Bien-fondé du moyen
Vu les articles L. 142-5 et L. 142-2, 5°, du code de la sécurité sociale, dans leur rédaction antérieure à la loi n° 2019-22 du 23 mars 2019, alors en vigueur, et les articles R. 146-25 et R. 241-33 du code de l'action sociale et des familles, le premier dans sa rédaction issue du décret n° 2012-1414 du 18 décembre 2012, le second dans sa rédaction issue du décret n° 2018-928 du 29 octobre 2018, applicables au litige :
8. En application du troisième de ces textes, pour bénéficier des droits ou prestations mentionnés à l'article L. 241-6 du code de l'action sociale et des familles, la personne handicapée ou, le cas échéant, son représentant légal, dépose une demande auprès de la maison départementale des personnes handicapées compétente en application des dispositions de l'article L. 146-3 de ce code.
9. Selon le quatrième, le silence gardé pendant plus de quatre mois par la commission des droits et de l'autonomie des personnes handicapées, à partir de la date à laquelle la demande présentée auprès de la maison départementale des personnes handicapées, en vue de l'obtention de droits ou prestations, doit être regardée comme recevable dans les conditions mentionnées à l'article R. 146-26, vaut décision de rejet de ladite demande.
10. En application des deux premiers, les recours contentieux formés contre les décisions de la commission des droits et de l'autonomie des personnes handicapées mentionnées au premier alinéa de l'article L. 241-9 du code de l'action sociale et des familles, sont, à peine d'irrecevabilité, précédés d'un recours préalable, dans des conditions prévues par les articles R. 241-35 et suivants du même code.
11. La circonstance que le recours préalable obligatoire ait été exercé avant la naissance de la décision implicite de rejet ne rend pas irrecevable le recours contentieux lorsque, par suite de l'écoulement du délai de quatre mois visé à l'article R. 241-33 du code de l'action sociale et des familles, une décision implicite de rejet est intervenue.
12. La notification d'une décision de rejet explicite postérieurement à la date à laquelle est intervenue la décision de rejet implicite est sans incidence sur la recevabilité du recours contentieux.
13. Pour déclarer le recours irrecevable, l'arrêt retient que le recours, matérialisé par lettre du 19 août 2019, ne pouvait être dirigé contre la décision explicite du 1er juillet, car celle-ci n'a été notifiée par lettre recommandée avec accusé de réception que le 26 août 2019. Il ajoute que le délai de 4 mois, à l'expiration duquel une décision implicite de rejet est réputée être prise, arrivait à échéance le 19 août 2019, de sorte que le délai pour exercer le recours préalable n'avait commencé à courir que le 20 août. L'arrêt en déduit que l'allocataire, par sa lettre du 19 août, n'avait pas régulièrement saisi la MDPH d'un recours préalable, et qu'à réception, le 26 août 2019, de la notification de la décision, elle n'avait pas non plus saisi l'organisme d'un recours préalable.
14. En statuant ainsi, la cour d'appel a violé les textes susvisés.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs du pourvoi, la Cour :
CASSE ET ANNULE, sauf en ce qu'il écarte les écritures communiquées après l'audience par Mme [I], l'arrêt rendu le 19 juillet 2022, entre les parties, par la cour d'appel de Besançon ;
Remet, sauf sur ce point, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Dijon.
Condamne la Maison départementale des personnes handicapées du Territoire de Belfort aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la Maison départementale des personnes handicapées du Territoire de Belfort et la condamne à payer à Mme [I] et à M. [H], pris en la personne de son représentant légal Mme [I], la somme globale de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-sept juin deux mille vingt-quatre.