LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :
N° A 24-82.643 F-D
N° 01068
GM
10 JUILLET 2024
REJET
Mme INGALL-MONTAGNIER conseiller le plus ancien faisant fonction de président,
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 10 JUILLET 2024
M. [J] [N] a formé un pourvoi contre l'arrêt de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Douai, en date du 7 février 2024, qui, dans la procédure suivie contre lui du chef d'importation non autorisée de stupéfiants en bande organisée, infractions à la législation sur les stupéfiants et associations de malfaiteurs, en récidive, a ordonné la prolongation exceptionnelle de sa détention.
Des mémoires ampliatif et personnel ont été produits.
Sur le rapport de M. Pauthe, conseiller, les observations de la SCP Ricard, Bendel-Vasseur, Ghnassia, avocat de M. [J] [N], et les conclusions de M. Desportes, premier avocat général, après débats en l'audience publique du 10 juillet 2024 où étaient présents Mme Ingall-Montagnier, conseiller le plus ancien faisant fonction de président en remplacement du président empêché, M. Pauthe, conseiller rapporteur, Mme Piazza, conseiller de la chambre, et M. Maréville, greffier de chambre,
la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée en application de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure ce qui suit.
2. M. [J] [N], mis en examen des chefs susvisés, a été placé en détention provisoire entre le 4 août 2017 et le 12 février 2019 puis a été mis en liberté sous contrôle judiciaire.
3. Le 26 janvier 2021, il a été mis en accusation devant la cour d'assises qui, par arrêt du 10 février 2023, l'a condamné à vingt ans de réclusion criminelle.
4. Il a été de nouveau incarcéré en exécution de cet arrêt dont il a relevé appel.
5. Par arrêt de la Cour de cassation en date du 11 mai 2023, la Cour d'assises du Nord, spécialement et autrement composée, a été désignée comme juridiction d'appel.
6. Par requête du 22 janvier 2024, le procureur général a saisi le président de la chambre de l'instruction aux fins de prolongation à titre exceptionnel de la détention provisoire de M. [N] pour une durée de six mois.
Examen des moyens
Sur le moyen du mémoire personnel
7. Le moyen n'est pas de nature à permettre l'admission du pourvoi au sens de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale.
Sur le premier moyen du mémoire ampliatif
Enoncé du moyen
8. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a ordonné, à titre exceptionnel, la prolongation de la détention provisoire de M. [N] pour une durée de six mois à compter du 13 février 2024 à 0 heure, alors « qu'en vertu de l'article 380-3-1 du code de procédure pénale, l'accusé doit comparaître devant la cour d'assises statuant en appel sur l'action publique dans un délai d'un an à compter de l'appel ; que selon ce même texte, si l'audience sur le fond ne peut se tenir avant l'expiration de ce délai, le président de la chambre de l'instruction peut, à titre exceptionnel, par une décision mentionnant les raisons de fait ou de droit faisant obstacle au jugement de l'affaire, ordonner la prolongation de la détention pour une nouvelle durée de six mois ; qu'en l'espèce, l'arrêt constate que la chambre de l'instruction était composée de Monsieur Vouaux, président de la chambre de l'instruction, statuant à juge unique, conformément à l'article 191 du code de procédure pénale ; que ce faisant, la chambre de l'instruction, qui ne pouvait pas statuer, même à juge unique, sur la demande de prolongation de la détention provisoire, qui ressort de la compétence exclusive du président de la chambre de l'instruction, a violé les articles 191, 380-3-1 et 592 du code de procédure pénale. »
Réponse de la Cour
9 . C'est à tort que la décision attaquée a été qualifiée d'arrêt, dès lors que, en application de l'article 380-3-1 du code de procédure pénale, la décision de prolongation de la détention provisoire est prise par le président de la chambre de l'instruction qui statue par ordonnance.
10. Toutefois, elle n'encourt pas la censure dès lors qu'il ressort de ses mentions qu'après débats devant le seul magistrat composant la chambre de l'instruction, elle a été également délibérée par celui-ci seul, en application de l'article 380-3-1 précité, et non par la formation collégiale de ladite chambre.
11. Ainsi, le moyen doit être écarté.
Sur le deuxième moyen du mémoire ampliatif
Enoncé du moyen
12. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a rejeté la demande de renvoi alors « que le conseil de M. [N] a déposé un mémoire dans lequel il avait demandé, afin de vérifier la compatibilité de son état de santé avec son maintien en détention, que son dossier médical soit versé à la procédure, d'une part, et qu'une expertise médicale soit ordonnée, d'autre part ; qu'en rejetant la demande de renvoi, en se bornant à constater qu'il n'y a pas lieu d'ordonner à nouveau une expertise médicale, sans se prononcer sur la demande de production du dossier médical, la chambre de l'instruction a violé les articles 591 à 593 du code de procédure pénale. »
Réponse de la Cour
13. Pour rejeter la demande de renvoi, la décision attaquée énonce, en substance, qu'en l'état de l'expertise récemment ordonnée faisant apparaître que les soins prodigués ou accessibles et disponibles en détention répondaient aux besoins de la prise en charge de l'état de santé du détenu, il n'y a pas lieu d'ordonner une nouvelle expertise médicale.
14. En statuant ainsi, la chambre de l'instruction a implicitement mais nécessairement répondu à la demande de production du dossier médical qu'elle a rejetée.
15. Dès lors, le moyen sera écarté.
Sur le troisième moyen du mémoire ampliatif
Enoncé du moyen
16. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a ordonné, à titre exceptionnel, la prolongation de la détention provisoire de M. [N] pour une durée de six mois à compter du 13 février 2024 à 0 heure, alors « que le fait que le rôle d'une Cour d'assises soit encombré ne suffit pas à justifier la prolongation de la détention pour une période exceptionnelle ; qu'en relevant, pour ordonner la prolongation de la détention provisoire de [J] [N] pour une période exceptionnelle de six mois, qu'il n'a pu être jugé par la cour d'assises dans le délai prévu par le code de procédure pénale en raison du nombre de dossiers criminels en attente de jugement ne permettant pas l'examen de l'affaire dans le délai légal, situation aggravée par la forte augmentation des affaires nouvelles parvenues dans les deux cours d'assises du ressort après deux années 2020 et 2021 marquées par cette pandémie, et ce malgré les diligences apportées par les autorités compétentes à la poursuite de cette procédure, mais sans mieux caractériser les diligences particulières mises en oeuvre pour permettre l'examen du dossier par la Cour d'assises et en quoi les conséquences de la crise sanitaire constituaient toujours, plusieurs années après celle-ci, des circonstances insurmontables qui ont empêché d'y parvenir, la chambre de l'instruction n'a pas donné de base légale à sa décision au regard des articles 380-3-1 du code de procédure pénale, 5 et 6§1 de la Convention européenne des droits de l'homme. »
Réponse de la Cour
17. Pour prolonger, à titre exceptionnel, la détention provisoire de M. [N], la décision attaquée retient que l'audiencement de son dossier devant la cour d'assises n'a pas été possible dans le délai d'un an en raison des répercussions de l'épidémie de Covid-19 et des mesures de confinement qu'elle a entraînées impliquant des restrictions de déplacement ainsi que l'annulation des sessions d'assises, le nombre de dossiers criminels en attente de jugement ne permettant pas l'examen de l'affaire dans le délai légal, et que cette situation a été aggravée par la forte augmentation des affaires nouvelles parvenues dans les deux cours d'assises du ressort après les années 2020 et 2021 marquées par cette pandémie.
18. Le juge précise que la cour d'appel a pris d'importantes dispositions pour parvenir à améliorer le délai de jugement des affaires criminelles avec détenus, à savoir la création d'un septième poste de président de cour d'assises en septembre 2022 permettant l'organisation de six sessions supplémentaires par an, un triplement des sessions outre le dédoublement déjà en place pour la cour d'assises du Nord, grâce à une mutualisation des moyens avec le tribunal judiciaire de Douai pour disposer d'une salle d'audience, ainsi que l'anticipation de la mise en place de la cour criminelle départementale dès le 1er janvier 2023 par la demande formée aux accusés et leurs conseils en attente d'être jugés pour des faits relevant de la compétence de cette juridiction sur la réorientation de leurs dossiers afin d'être jugés dans les délais plus courts attachés à celle-ci.
19. En l'état de ces énonciations et dès lors que la décision attaquée a exposé, sans insuffisance ni contradiction, les raisons de fait et de droit faisant obstacle au jugement de l'affaire dans le délai légal et les diligences particulières mises en oeuvre pour permettre l'examen du dossier par la cour d'assises, le président de la chambre de l'instruction, qui pouvait se fonder, comme il l'a fait, sur les éléments administratifs d'organisation et d'effectifs connus des intéressés, a justifié sa décision.
20. Ainsi, le moyen sera écarté.
21. Par ailleurs, la décision est régulière en la forme.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président en son audience publique du dix juillet deux mille vingt-quatre.