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10/09/2024 | FRANCE | N°C2400928

France | France, Cour de cassation, Chambre criminelle, 10 septembre 2024, C2400928


LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :


N° A 23-83.145 F-D


N° 00928




ODVS
10 SEPTEMBRE 2024




REJET




M. BONNAL président,
















R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
________________________________________




AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________




ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 10 SEPTEMBRE 2024






Le Roy

aume du Maroc, partie civile, a formé un pourvoi contre l'arrêt n° 171 de la cour d'appel de Paris, chambre 2-7, en date du 12 avril 2023, qui, dans la procédure suivie notamment contre M. [J] [Y] du chef de diffamation publique env...

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :

N° A 23-83.145 F-D

N° 00928

ODVS
10 SEPTEMBRE 2024

REJET

M. BONNAL président,

R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
________________________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________

ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 10 SEPTEMBRE 2024

Le Royaume du Maroc, partie civile, a formé un pourvoi contre l'arrêt n° 171 de la cour d'appel de Paris, chambre 2-7, en date du 12 avril 2023, qui, dans la procédure suivie notamment contre M. [J] [Y] du chef de diffamation publique envers un particulier, a fait droit à l'exception de nullité de la citation.

Des mémoires ont été produits, en demande et en défense.

Sur le rapport de Mme Merloz, conseiller référendaire, les observations de la SARL Boré, Salve de Bruneton et Mégret, avocat du Royaume du Maroc, les observations de la SCP Spinosi, avocat de la société éditrice [1] et MM. [J] [Y], [N] [G] et [P] [Z], et les conclusions de Mme Caby, avocat général, après débats en l'audience publique du 11 juin 2024 où étaient présents M. Bonnal, président, Mme Merloz, conseiller rapporteur, Mme Labrousse, conseiller de la chambre, et Mme Dang Van Sung, greffier de chambre,

la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée en application de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure ce qui suit.

2. Le 18 février 2022, le Royaume du Maroc, représenté par son ambassadeur en France, a fait citer devant le tribunal correctionnel notamment M. [J] [Y], en sa qualité de directeur de la publication du journal [1], du chef de diffamation publique envers un particulier, à la suite d'un article publié sur le site [1] le 19 novembre 2021, intitulé « Comment les services de renseignement français ont traqué Pegasus après les révélations [1] », dénonçant les ciblages, effectués par « un services de sécurité de l'Etat marocain » et « les autorités marocaines », de plusieurs journalistes français, du Président de la République française et de son Premier ministre à travers l'utilisation du logiciel espion « Pegasus ».

3. Par jugement du 15 septembre 2022, le tribunal correctionnel a fait droit à l'exception de nullité de la citation, en raison de l'incertitude sur l'identité de la personne se plaignant des faits.

4. Le Royaume du Maroc a interjeté appel du jugement.

Examen du moyen

Sur le moyen, pris en sa première branche

5. Par arrêt du 19 décembre 2023, la Cour de cassation a dit n'y avoir lieu de saisir le Conseil constitutionnel de la question prioritaire de constitutionnalité.

6. Il en résulte que le grief est devenu sans objet.

Sur le moyen, pris en ses autres branches

Enoncé du moyen

7. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a déclaré nulle la citation délivrée à M. [Y] et la société éditrice [1] par le Royaume du Maroc faute de respecter les dispositions de l'article 53 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse, alors :

« 2°/ que l'article 53 de la loi sur la liberté de la presse n'exige, à peine de nullité de la poursuite, que la mention, dans la citation, de la qualification du fait incriminé et du texte de loi énonçant la peine encourue ; qu'en retenant, pour annuler la citation, qu'il existait « une incertitude quant à la personne qui se plaint des faits de diffamation publique » en ce que la citation avait été « délivrée « à la requête du Royaume du Maroc, représenté par son Ambassadeur en France, son Excellence, M. [W] [B] », alors qu'en page deux, il est mentionné que le Royaume du Maroc agit « au nom et pour le compte de ses services secrets et/ou de renseignement mis en cause » » et que « si en page cinq il est mentionné que les propos visent « les services secrets et/ou de renseignement marocains », il est indiqué en page sept que le préjudice est subi par le Royaume du Maroc », sans caractériser l'omission, dans la citation, du fait incriminé ou du texte de loi applicable, la cour d'appel, qui s'est déterminée par des motifs inopérants, a violé les articles 6, § 1er, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et 53 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse ;

3°/ que l'article 32 de la loi sur la liberté de la presse protège la réputation d'une administration publique étrangère même si elle est dépourvue de la personnalité morale ; que l'article 53 de la même loi n'exige, à peine de nullité de la poursuite, que la mention, dans la citation, de la qualification du fait incriminé et du texte de loi énonçant la peine encourue et que la nullité ne peut être prononcée que si la citation a pour effet de créer une incertitude dans l'esprit des prévenus quant à l'étendue des faits dont ils ont à répondre ; qu'en retenant qu'il existait « une incertitude quant à la personne qui se plaint des faits de diffamation publique », quand la citation indiquait que « le Royaume du Maroc [?] agiss[ait] au nom et pour le compte de ses services secrets et/ou de renseignement mis en cause » et quand l'atteinte à la réputation d'une administration publique dépourvue de la personnalité morale ne peut être réparée que dans le patrimoine de l'État dont elle dépend, en sorte que la discordance retenue n'était pas de nature à créer, dans l'esprit des prévenus, un doute sur l'étendue des faits dont ils avaient à répondre, la cour d'appel a violé les articles 6, § 1er, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et 53 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse ;

4°/ que l'article 53 de la loi sur la liberté de la presse n'exige, à peine de nullité de la poursuite, que la mention, dans la citation, de la qualification du fait incriminé et du texte de loi énonçant la peine encourue ; qu'en retenant, pour annuler la citation délivrée par le Royaume du Maroc, que « l'expression « services secrets et/ou de renseignement » [était] source d'une autre ambiguïté, puisqu'il est impossible de déterminer quel service serait particulièrement visé par les propos poursuivis, ce qui met les prévenus dans l'impossibilité de préparer utilement leur défense », quand l'acte de poursuite contenait la reproduction des passages incriminés, lesquels imputaient la commission d'une infraction à « un service de sécurité de l'État marocain » et à « des services de renseignement étrangers », dont ceux du Royaume du Maroc, qualifiait ces passages, visait le texte applicable et relevait, dans ses motifs, les modalités de leur diffusion, de sorte qu'il ne pouvait exister aucune ambiguïté sur les faits, objet de la poursuite, la cour d'appel a violé les articles 6, § 1er, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et 53 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse. »

Réponse de la Cour

8. C'est à tort que les juges ont déclaré nulle la citation adressée à la requête du Royaume du Maroc en raison de l'incertitude quant à la personne qui se plaignait des faits de diffamation publique envers un particulier.

9. En effet, l'article 53 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse n'exige, à peine de nullité de la poursuite, que la mention, dans la citation, de la qualification du fait incriminé et du texte de loi énonçant la peine encourue. Il en résulte que seule peut être annulée la citation qui a pour effet de créer une incertitude dans l'esprit des prévenus quant à l'étendue des faits dont ils ont à répondre. Tel n'est pas le cas en l'espèce, dès lors que la citation cite précisément les propos poursuivis, leur qualification juridique et le texte répressif.

10. Cependant, l'arrêt n'encourt pas la censure, dès lors qu'un Etat étranger est, en tout état de cause, irrecevable à agir en diffamation publique envers un particulier, que ce soit en son nom propre ou pour le compte de ses administrations publiques dépourvues de la personnalité morale.

11. Ainsi, le moyen doit être écarté.

12. Par ailleurs, l'arrêt est régulier en la forme.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi ;

FIXE à 2 500 euros la somme globale que Royaume du Maroc devra payer à M. [J] [Y] et à la société éditrice [1] et en application de l'article 618-1 du code de procédure pénale ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président en son audience publique du dix septembre deux mille vingt-quatre.


Synthèse
Formation : Chambre criminelle
Numéro d'arrêt : C2400928
Date de la décision : 10/09/2024
Sens de l'arrêt : Rejet

Références :

Décision attaquée : Cour d'appel de Paris, 12 avril 2023


Publications
Proposition de citation : Cass. Crim., 10 sep. 2024, pourvoi n°C2400928


Composition du Tribunal
Président : M. Bonnal (président)
Avocat(s) : SARL Boré, Salve de Bruneton et Mégret, SCP Célice, Texidor, Périer, SCP Spinosi

Origine de la décision
Date de l'import : 17/09/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CCASS:2024:C2400928
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