LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
CIV. 2
CF
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 3 octobre 2024
Cassation partielle
Mme MARTINEL, président
Arrêt n° 883 F-B
Pourvoi n° C 21-25.823
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 3 OCTOBRE 2024
1°/ M. [Y] [D], domicilié [Adresse 4],
2°/ [X] [V], épouse [D],ayant été domiciliée [Adresse 4], décédée le [Date décès 5] 2023,
3°/ M. [M] [D], domicilié [Adresse 1], en qualité d'héritier de sa mère, [X] [D], décédée,
ont formé le pourvoi n° 21-25.823 contre l'arrêt rendu le 26 octobre 2021 par la cour d'appel de Rennes (1ère chambre), dans le litige les opposant :
1°/ à la société Banque CIC Ouest, société anonyme, dont le siège est [Adresse 2], venant aux droits du Crédit industriel de l'Ouest,
2°/ à la société Mutualité sociale agricole d'Armorique, dont le siège est [Adresse 3],
défenderesses à la cassation.
Les demandeurs invoquent, à l'appui de leur pourvoi, un moyen unique de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Cardini, conseiller référendaire, les observations de la SAS Boulloche, Colin, Stoclet et Associés, avocat de M. [Y] [D], de [X] [V], épouse [D], et de M. [M] [D], en qualité d'héritier de sa mère, [X] [D], décédée, la SCP Doumic-Seiller, avocat de la société Banque CIC Ouest, après débats en l'audience publique du 9 juillet 2024 où étaient présents Mme Martinel, président, M. Cardini, conseiller référendaire rapporteur, Mme Durin-Karsenty, conseiller doyen, et Mme Cathala, greffier de chambre,
la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt ;
Reprise d'instance
1. Il est donné acte à M. [Y] [D] et à M. [M] [D] (les consorts [D]) de leur reprise d'instance, à la suite du décès de [X] [V], épouse [D].
Faits et procédure
2. Selon l'arrêt attaqué (Rennes, 26 octobre 2021), statuant sur renvoi après cassation (2e Civ., 19 novembre 2020, pourvoi n° 19-19.269), la société Crédit Industriel de l'Ouest, aux droits de laquelle se trouve la société Banque CIC Ouest (la banque), a délivré, sur le fondement d'un acte notarié de prêt du 15 juin 2004, un commandement de payer valant saisie immobilière à M. [Y] [D] et [X] [V] puis les a assignés à une audience d'orientation.
Examen du moyen
Enoncé du moyen
3. Les consorts [D] font grief à l'arrêt de fixer la créance de la banque à l'égard de M. [Y] [D] à la somme de 115 759,75 euros en principal, intérêts, frais et accessoires et d'autoriser la vente de l'immeuble leur appartenant, alors « que la saisie immobilière ne peut être pratiquée que par un créancier titulaire d'une créance exigible ; que la cour d'appel a estimé que la clause d'exigibilité figurant au contrat de prêt du 15 juin 2004 « prévoyant la résiliation du contrat pour une défaillance de l'emprunteur en termes très généraux (« somme due à quiconque ») et afférente à l'exécution de conventions distinctes » était abusive et devait être réputée non écrite, que la déchéance du terme n'avait pas été valablement prononcée à l'égard de Mme [D], faute de mise en demeure préalable, mais qu'elle avait été valablement prononcée à l'égard de M. [D] de sorte que la saisie immobilière était fondée en ce qui le concerne, la créance de la banque, fixée la somme de 115 759,75 euros, étant exigible ; qu'en statuant ainsi, quand elle avait admis que la clause d'exigibilité figurant au contrat de prêt était abusive et devait être réputée non écrite, de sorte que la banque CIC Ouest n'avait pu valablement prononcer la déchéance du terme à l'égard de M. [D] et que sa créance n'était pas non plus exigible le concernant, elle n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations et a violé l'article L. 311-2 du code des procédures civiles d'exécution, ensemble l'article L. 132-1 du code de la consommation, dans sa version issue de l'ordonnance n° 2001-741 du 23 août 2001 applicable à la date de conclusion du prêt. »
Réponse de la Cour
4. Vu l'article 1134 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, et l'article L. 132-1 du code de la consommation, dans sa rédaction antérieure à celle issue de la loi n° 2008-776 du 4 août 2008 :
5. Selon le deuxième de ces textes, dans les contrats conclus entre professionnels et non-professionnels ou consommateurs, sont abusives les clauses qui ont pour objet ou pour effet de créer, au détriment du non-professionnel ou du consommateur, un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat. Les clauses abusives sont réputées non écrites.
6. Pour fixer la créance de la banque à l'égard de M. [D] à la somme de 115 759,75 euros, l'arrêt retient que si le contrat de prêt d'une somme d'argent peut prévoir que la défaillance de l'emprunteur non commerçant entraînera la déchéance du terme, celle-ci ne peut, sauf stipulation expresse et non équivoque, être déclarée acquise au créancier sans la délivrance d'une mise en demeure restée sans effet, précisant le délai dont dispose le débiteur pour y faire obstacle, que la clause d'exigibilité immédiate étant réputée non écrite, la banque ne pouvait prononcer valablement la déchéance du terme, sans mise en demeure préalable des débiteurs et qu'il est constant que la banque a envoyé, à l'adresse commune des époux, une lettre de mise en demeure préalable à la déchéance du terme qui ne mentionnait que M. [D].
7. Il en déduit que la déchéance du terme n'a pas été valablement prononcée à l'égard de Mme [D], faute de mise en demeure préalable, mais que la banque a valablement prononcé la déchéance du terme à l'égard de M. [D].
8. En statuant ainsi, après avoir dit que la clause d'exigibilité immédiate stipulée au contrat de prêt constituait une clause abusive qui devait être réputée non écrite, ce dont il résultait que la déchéance du terme ne pouvait reposer sur cette clause, peu important l'envoi par la banque d'une mise en demeure, la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, a violé les textes susvisés.
Portée et conséquences de la cassation
9. En application de l'article 624 du code de procédure civile, la cassation du chef de dispositif de l'arrêt fixant la créance de la banque à l'égard de M. [D] entraîne la cassation des autres chefs de dispositif, à l'exception de ceux disant que la clause d'exigibilité prévue au contrat de prêt présente un caractère abusif et doit être réputée non écrite et disant que la banque ne justifie pas que la déchéance du terme a été valablement prononcée à l'égard de [X] [V], épouse [D], qui s'y rattachent par un lien de dépendance nécessaire.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
CASSE ET ANNULE, sauf en ce qu'il dit que la clause d'exigibilité prévue au contrat de prêt du 15 juin 2004 présente un caractère abusif et doit être réputée non écrite et dit que la société Banque CIC Ouest ne justifie pas que la déchéance du terme a été valablement prononcée à l'égard de [X] [V] épouse [D], l'arrêt rendu le 26 octobre 2021, entre les parties, par la cour d'appel de Rennes ;
Remet, sauf sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Rennes autrement composée.
Condamne la société Banque CIC Ouest et la société Mutualité sociale agricole d'Armorique aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société Banque CIC Ouest et la condamne à payer à MM. [Y] et [M] [D] la somme globale de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre civile, prononcé et signé par le président en l'audience publique du trois octobre deux mille vingt-quatre et signé par Mme Thomas greffier de chambre qui a assisté au prononcé de l'arrêt.