LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
CIV. 1
MY1
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 9 octobre 2024
Cassation
Mme CHAMPALAUNE, président
Arrêt n° 528 F-D
Pourvoi n° F 22-18.148
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, DU 9 OCTOBRE 2024
M. [S] [A], domicilié [Adresse 13], a formé le pourvoi n° F 22-18.148 contre l'arrêt rendu le 26 avril 2022 par la cour d'appel de Reims (chambre civile, 1re section), dans le litige l'opposant :
1°/ à Mme [T] [H], domiciliée [Adresse 4],
2°/ à Mme [I] [D], veuve [E], domiciliée [Adresse 3],
3°/ à Mme [X] [D], épouse [B], domiciliée [Adresse 2],
4°/ à Mme [K] [D], domiciliée [Adresse 10],
5°/ à Mme [O] [D], domiciliée [Adresse 1],
défenderesses à la cassation.
Le demandeur invoque, à l'appui de son pourvoi, un moyen unique de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Bruyère, conseiller, les observations de la SCP Alain Bénabent, avocat de M. [A], de la SARL Boré, Salve de Bruneton et Mégret, avocat de Mme [H] et de Mmes [I], [X], [K] et [O] [D], après débats en l'audience publique du 9 juillet 2024 où étaient présents Mme Champalaune, président, M. Bruyère, conseiller rapporteur, Mme Guihal, conseiller doyen, et Mme Vignes, greffier de chambre,
la première chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Reims, 26 avril 2022), par acte reçu le 16 juillet 1969 par M. [D], notaire (le notaire), M. [A] a apporté à une société civile immobilière un immeuble désigné comme étant « un clos planté d'arbres fruitiers » figurant au cadastre de [Localité 14] sous les sections BN [Cadastre 11] et BN [Cadastre 12], devenues AC n°s [Cadastre 5] et [Cadastre 6], puis AC n°s [Cadastre 7] à [Cadastre 9].
2. Après que M. [A] a cédé ses parts de la société, celle-ci a, suivant acte notarié du 28 décembre 2010, vendu à M. et Mme [R] (les époux [R]) un terrain sur lequel existait une ruine, cadastré section AC n° [Cadastre 7] et n° [Cadastre 8].
3. Estimant que ces parcelles cadastrées section AC n° [Cadastre 7] et n° [Cadastre 8] étaient restées sa propriété et n'avaient pas été apportées à la SCI, M. [A] a d'abord assigné les époux [R] en revendication de leur propriété le 7 octobre 2011, puis le conservateur des hypothèques de [Localité 14] aux fins de rectification du nom de leur propriétaire.
4. Ses demandes ont été respectivement rejetées par des arrêts de la cour d'appel de Reims des 22 septembre 2015 et 28 février 2017, de même que, les 16 mars 2017 et 6 septembre 2018, les pourvois en cassation formés contre ces arrêts.
5. Par actes des 13, 16, 20 et 22 juillet 2020 et 20 août suivant, M. [A] a assigné Mme [T] [H], Mme [I] [D] veuve [E], Mme [X] [D] épouse [B], Mme [K] [D], Mme [O] [D] représentée par Mme [M] [J] en sa qualité de représentant légal, en leur qualité d'héritière et légataires universelles de [C] [D], décédé (les consorts [D]), afin de rechercher la responsabilité du notaire, en raison de la faute qu'il aurait commise dans la rédaction des actes, ayant eu pour effet de le déposséder de sa propriété des parcelles litigieuses.
6. Les consorts [D] ont invoqué la prescription de l'action.
Examen du moyen
Enoncé du moyen
7. M. [A] fait grief à l'arrêt de déclarer irrecevable comme prescrite son action à l'encontre des consorts [D], alors que « les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer ; qu'en déclarant l'action de M. [A] irrecevable comme prescrite, motifs pris que « le 7 octobre 2011 au plus tard, M. [A] avait acquis la certitude du préjudice qu'il invoque, résultant de sa dépossession alléguée de la propriété des deux parcelles litigieuses » et que « M. [A] ne peut pas raisonnablement soutenir que le délai de prescription de son action en responsabilité à l'encontre du notaire aurait été suspendu jusqu'à l'acquisition du caractère irrévocable des décisions statuant sur ses demandes en responsabilité à l'encontre du conservateur des hypothèques, d'une part, et en revendication des deux parcelles litigieuses », cependant que le dommage résultant de la dépossession de la propriété des deux parcelles litigieuses n'a pu se manifester avec certitude qu'avec les décisions passées en force de chose jugée dans le cadre des deux procédures initiées par M. [A], en particulier avec l'arrêt de la cour d'appel de Reims du 22 septembre 2015 qui a rejeté son action en revendication de propriété des deux parcelles à l'encontre des époux [R], ce dont il résulte que l'action en responsabilité introduite à l'encontre des héritiers du notaire le 13 juillet 2020 n'était pas prescrite, la cour d'appel a violé l'article 2224 du code civil ».
Réponse de la Cour
Vu l'article 2224 du code civil :
8. Aux termes de ce texte, les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer.
9. Il s'en déduit que le délai de prescription de l'action en responsabilité civile court à compter du jour où celui qui se prétend victime a connu ou aurait dû connaître le dommage, le fait générateur de responsabilité et son auteur, ainsi que le lien de causalité entre le dommage et le fait générateur.
10. Lorsque l'action en responsabilité tend à l'indemnisation d'un préjudice né de la reconnaissance d'un droit contesté au profit d'un tiers, seule la décision juridictionnelle devenue irrévocable, établissant ce droit met l'intéressé en mesure d'exercer l'action en réparation du préjudice qui en résulte. Cette décision constitue en conséquence le point de départ de la prescription.
11. Pour déclarer l'action irrecevable comme prescrite, l'arrêt retient que l'action de M. [A] en revendication de la propriété des immeubles acquis par les époux [R] a été introduite le 7 octobre 2011 et que, à cette date au plus tard, il avait acquis la certitude du préjudice qu'il invoque, résultant de sa dépossession alléguée de la propriété des parcelles litigieuses.
12. En statuant ainsi, alors que le dommage subi par M. [A] ne s'est manifesté qu'à compter de la décision devenue irrévocable du 22 septembre 2015 rejetant son action en revendication des deux parcelles, de sorte que le délai de prescription de l'action en responsabilité exercée contre le notaire a commencé à courir à compter de cette date, la cour d'appel a violé le texte susvisé.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 26 avril 2022, entre les parties, par la cour d'appel de Reims ;
Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Metz ;
Condamne Mme [T] [H], Mme [I] [D] veuve [E], Mme [X] [D] épouse [B], Mme [K] [D], Mme [O] [D], en leur qualité d'héritière et légataires universelles de [C] [D], aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par Mme [T] [H], Mme [I] [D] veuve [E], Mme [X] [D] épouse [B], Mme [K] [D], Mme [O] [D], en leur qualité d'héritière et légataires universelles de [C] [D], et les condamne à payer à M. [A], la somme globale de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du neuf octobre deux mille vingt-quatre.