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09/10/2024 | FRANCE | N°52400986

France | France, Cour de cassation, Chambre sociale, 09 octobre 2024, 52400986


LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :


SOC.


JL10






COUR DE CASSATION
______________________




Audience publique du 9 octobre 2024








Cassation partielle




Mme MARIETTE, conseiller doyen
faisant fonction de président






Arrêt n° 986 F-D


Pourvoi n° F 22-17.757






R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E


_________________________


AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS


_________________________




ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 9 OCTOBRE 2024


La société BNP Paribas, société anonyme, dont le siège est [Adresse 2], a formé le pourvoi n° F 22-17.757 contre l'arrêt ren...

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :

SOC.

JL10

COUR DE CASSATION
______________________

Audience publique du 9 octobre 2024

Cassation partielle

Mme MARIETTE, conseiller doyen
faisant fonction de président

Arrêt n° 986 F-D

Pourvoi n° F 22-17.757

R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________

ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 9 OCTOBRE 2024

La société BNP Paribas, société anonyme, dont le siège est [Adresse 2], a formé le pourvoi n° F 22-17.757 contre l'arrêt rendu le 17 mars 2022 par la cour d'appel de Paris (pôle 6, chambre 7), dans le litige l'opposant :

1°/ à M. [V] [Y], domicilié [Adresse 1],

2°/ à Pôle emploi, direction régionale [Localité 4], dont le siège est [Adresse 3],

défendeurs à la cassation.

La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, trois moyens de cassation.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de M. Seguy, conseiller, les observations de la SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol, avocat de la société BNP Paribas, de la SCP Françoise Fabiani - François Pinatel, avocat de M. [Y], les plaidoiries de Me Gatineau et Me Pinatel, et l'avis oral de Mme Grivel, avocat général, après débats en l'audience publique du 10 septembre 2024 où étaient présents Mme Mariette, conseiller doyen faisant fonction de président, M. Seguy, conseiller rapporteur, M. Pietton, conseiller, Mme Grivel, avocat général, et Mme Dumont, greffier de chambre,

la chambre sociale de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 17 mars 2022), M. [Y] a été engagé en qualité de manager consultant, à compter du 1er avril 2011, par la société BNP Paribas (la société). En dernier lieu, il était deputy head du métier transaction banking APAC au sein de la succursale de Singapour.

2. Le 8 juin 2012, un avertissement lui a été notifié en raison de son comportement, considéré par l'employeur comme équivalent à du harcèlement sexuel, à l'égard d'une collaboratrice.

3. Le 9 novembre 2017, le salarié a été convoqué à un entretien préalable à un éventuel licenciement puis a été licencié pour faute grave par lettre du 1er décembre 2017.

4. Il a saisi la juridiction prud'homale pour contester cette rupture et obtenir paiement de diverses sommes à ce titre et au titre de l'exécution du contrat de travail.

Examen des moyens

Sur le premier moyen

Enoncé du moyen

5. La société fait grief à l'arrêt de juger que le licenciement pour faute grave du salarié est dépourvu de cause réelle et sérieuse, de la condamner à lui payer des sommes à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, d'indemnité compensatrice de préavis outre les congés payés afférents, d'indemnité conventionnelle de licenciement, d'indemnité de mutation au retour, de rappel de rémunération variable pour l'année 2016 outre les congés payés afférents et de dommages-intérêts pour perte de chance relative à la rémunération variable 2017 et de la condamner à rembourser aux organismes intéressés les indemnités de chômage versées au salarié licencié du jour de la rupture, dans la limite de six mois d'indemnité de chômage, alors :

« 1°/ que le trouble objectif résultant dans l'entreprise, caractérisé notamment par le risque pour la santé des salariés, de la révélation largement médiatisée d'agissements fautifs d'un salarié déjà sanctionnés, peut justifier son licenciement pour faute grave, peu important que la révélation litigieuse ne soit pas intervenue à l'initiative du salarié ; qu'en l'espèce, l'employeur soulignait que la révélation largement médiatisée, en 2017, des agissements inappropriés du salarié sanctionnés en 2012 à l'égard d'une collaboratrice et sa reconnaissance publique par ce dernier avaient suscité une vive réaction des salariés de BNP Paribas, plusieurs d'entre eux faisant part de leur état de choc et du souhait de voir le collaborateur auteur des agissements litigieux quitter l'entreprise au plus vite, estimant que sa présence portait atteinte à leur sécurité, et certaines salariées ayant fait part de leur crainte à travailler dans un environnement de travail hostile, exprimant un sentiment d'insécurité et de malaise lié à son appartenance au groupe BNP Paribas ; qu'en affirmant que les développements de la société sur le trouble objectif causé par la révélation en 2017 des faits commis par le salarié en 2012 étaient inopérants pour établir une faute de ce dernier, que les agissements commis en 2012 avaient déjà fait l'objet d'une sanction disciplinaire et que le salarié n'était pas à l'origine de la révélation des faits dans la presse, la cour d'appel a violé les articles L. 1234-1, L. 1234-5, L. 1234-9 et L. 1235-1 du code du travail, ces deux derniers dans leur version issue de l'ordonnance n° 2017-1387 du 22 septembre 2017 ;

2°/ que l'employeur peut invoquer à l'appui d'un licenciement le trouble objectif existant dans l'entreprise résultant de la révélation largement médiatisée d'agissements fautifs déjà sanctionnés, quelle qu'ait été la sanction alors choisie par l'employeur dans l'exercice de son pouvoir de direction ; qu'en retenant à l'appui de sa décision qu'il résultait des messages produits par la société que le trouble objectif invoqué avait notamment été causé par son propre traitement, en qualité d'employeur, des agissements commis en 2012 et sa décision de maintenir alors le salarié dans ses effectifs, la cour d'appel a statué par un motif inopérant et privé sa décision de base légale au regard des articles L. 1234-1, L. 1234-5, L. 1234-9 et L. 1235-1 du code du travail, ces deux derniers dans leur version issue de l'ordonnance n° 2017-1387 du 22 septembre 2017. »

Réponse de la Cour

6. D'abord, un trouble objectif dans le fonctionnement de l'entreprise ne permet pas en lui-même de prononcer une sanction disciplinaire à l'encontre de celui par lequel il est survenu.

7. Ensuite, il résulte de l'article L. 1331-1 du code du travail qu'aucun fait fautif ne peut donner lieu à double sanction.

8. La cour d'appel, qui a constaté que le salarié avait été licencié pour faute grave en raison d'un trouble objectif au sein de l'entreprise occasionné par la médiatisation en 2017 de faits commis par lui en 2012 et déjà sanctionnés par un avertissement décerné par l'employeur, en a exactement déduit que celui-ci avait épuisé son pouvoir disciplinaire à l'égard des faits commis en 2012 et que leur révélation en 2017, non imputable au salarié, ne pouvait justifier son licenciement disciplinaire.

9. Le moyen n'est donc pas fondé.

Mais sur le deuxième moyen

Enoncé du moyen

10. La société fait grief à l'arrêt de la condamner à payer une somme à titre de rappel de rémunération variable pour l'année 2016, outre les congés payés afférents, alors que « le défaut de réponse à conclusions équivaut à un défaut de motifs ; qu'en l'espèce, l'employeur soutenait que les dispositions des plans de parts différés prévus au sein de BNP Paribas n'étaient pas afférentes à la rémunération d'une année de travail mais cherchaient à fidéliser les salariés et que pour cette raison, la condition de présence au jour du versement avait été validée à plusieurs reprises par la Cour de cassation, ce dont il déduisait qu'à supposer le licenciement sans cause réelle et sérieuse, le salarié ne pourrait prétendre qu'à des dommages-et-intérêts pour perte de chance de percevoir les parts DCS+2017 ; qu'en allouant au salarié la totalité du bonus différé, sauf à actualiser sa valeur, au seul prétexte que son licenciement était dépourvu de cause réelle et sérieuse, sans répondre aux conclusions précitées, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 455 du code de procédure civile :

11. Selon ce texte, tout jugement doit être motivé. Le défaut de réponse aux
conclusions constitue un défaut de motifs.

12. Pour condamner la société à payer au salarié une somme à titre de rappel de rémunération pour l'année 2016 outre les congés payés afférents, l'arrêt retient d'abord, que, comme le soutient le salarié, une prime subordonnée à une condition de présence doit être payée au salarié absent dans l'entreprise à cette date en raison de son licenciement jugé comme étant dépourvu de cause réelle et sérieuse et ensuite qu'il ressort des pièces produites que le salarié s'est vu attribuer pour l'exercice 2016, d'une part, un bonus payable pour partie en 2017 et pour partie les années suivantes et, d'autre part, une somme au titre du plan CSIS devant être versée en juin 2020.

13. Il ajoute qu'il n'est pas contesté qu'il a perçu les sommes devant être versées en mars et septembre 2017, le litige ne portant que sur les sommes mentionnées de la prime différée, lesquelles sont soumises à une condition de présence et en déduit que le salarié est bien fondé à réclamer le paiement de la part différée de son bonus, lequel doit être calculé en fonction des conditions de performance détaillées dans le plan versé aux débats et appréciées à la date des versements.

14. En statuant ainsi, sans répondre aux conclusions de la société qui soutenait que les dispositions des plans de parts différés n'étaient pas afférentes à la rémunération d'une année de travail, de sorte que ces bonus ne constituaient pas un élément de rémunération, mais cherchaient à fidéliser les salariés et que, pour cette raison, ils pouvaient être soumis à une condition de présence au jour du versement, la cour d'appel n'a pas satisfait aux exigences du texte susvisé.

Et sur le troisième moyen

Enoncé du moyen

15. La société fait grief à l'arrêt de la condamner à payer une somme à titre de dommages-intérêts pour perte de chance relative à la rémunération variable 2017, alors « qu'une rémunération variable dont seule l'éventualité est prévue par le contrat de travail peut avoir un caractère discrétionnaire ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a relevé le contrat de travail ne mentionnait que l'éventualité d'une rémunération variable et que le salarié ne s'était pas vu notifier de bonus pour l'année 2017 ; que pour lui allouer cependant des dommages-intérêts pour perte d'une chance de bénéficier d'un bonus en 2017, la cour d'appel a énoncé que le principe de la rémunération variable était mentionné dans tous les documents contractuels, qu'il en avait bénéficié chaque année, qu'aux termes de ses conclusions, la société considérait qu'au vu du trouble occasionné par la révélation de ses comportements fautifs et de la réitération de comportements identiques, aucun bonus ne pouvait lui être octroyé et que le licenciement ayant été jugé sans cause réelle et sérieuse, le bénéfice d'un bonus ne pouvait lui être refusé aux motifs de faits fautifs jugés non établis ; qu'en statuant de la sorte, par des motifs insusceptibles d'exclure le caractère discrétionnaire de la rémunération variable litigieuse, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1134 devenu 1103 du code civil. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 1134 devenu 1103 du code civil :

16. Le contrat de travail peut prévoir, en plus de la rémunération fixe, l'attribution d'une prime laissée à la libre appréciation de l'employeur.

17. Pour condamner la société à payer au salarié une somme à titre de dommages-intérêts pour perte de chance relative à la rémunération variable 2017, l'arrêt retient, que si le contrat de travail de l'intéressé mentionne l'éventualité d'une rémunération variable qui n'est pas soumise à la fixation d'objectifs annuels et qui, selon la société, est évaluée discrétionnairement, le principe même d'une telle rémunération est mentionné dans tous les documents contractuels, que le salarié en a bénéficié chaque année et que pour l'année 2017, aux termes de ses conclusions, la société considère qu'au vu du trouble occasionné par la révélation de ses comportements fautifs et de la réitération de comportements identiques, aucun bonus ne saurait lui être octroyé.

18. Elle ajoute que le licenciement ayant été jugé sans cause réelle et sérieuse, le bénéfice d'un bonus ne pouvait lui être refusé aux motifs de faits fautifs jugés non établis, de sorte qu'il est donc bien fondé à solliciter des dommages-intérêts au titre de la perte de chance de bénéficier d'un bonus en 2017 qui seront évalués au vu des pièces produites à la somme de 50 000 euros.

19. En statuant ainsi, par des motifs impropres à caractériser le caractère contractuel de la prime litigieuse et à exclure son caractère discrétionnaire, la cour d'appel a violé le texte susvisé.

Portée et conséquence de la cassation

20. La cassation des chefs de dispositif condamnant la société à verser au salarié diverses sommes n'emporte pas cassation des chefs de dispositif de l'arrêt la condamnant aux dépens ainsi qu'au paiement d'une somme au titre de l'article 700 du code de procédure civile, justifiés par d'autres condamnations prononcées à l'encontre de celle-ci et non remises en cause.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il condamne la société BNP Paribas à payer à M. [Y] les sommes de 60 511,54 euros brut de rappel de rémunération variable pour l'année 2016, 6 051,15 euros brut de congés payés afférents et 50 000 euros de dommages-intérêts pour perte de chance relative à la rémunération variable 2017, l'arrêt rendu le 17 mars 2022, entre les parties par la cour d'appel de Paris ;

Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Paris autrement composée ;

Condamne M. [Y] aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du neuf octobre deux mille vingt-quatre.


Synthèse
Formation : Chambre sociale
Numéro d'arrêt : 52400986
Date de la décision : 09/10/2024
Sens de l'arrêt : Cassation partielle

Références :

Décision attaquée : Cour d'appel de Paris, 17 mars 2022


Publications
Proposition de citation : Cass. Soc., 09 oct. 2024, pourvoi n°52400986


Composition du Tribunal
Président : Mme Mariette (conseiller doyen faisant fonction de président)
Avocat(s) : SCP Françoise Fabiani - François Pinatel , SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol

Origine de la décision
Date de l'import : 22/10/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CCASS:2024:52400986
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