LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
SOC.
CH9
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 23 octobre 2024
Rejet
Mme MARIETTE, conseiller doyen
faisant fonction de président
Arrêt n° 1062 F-D
Pourvois n°
D 23-17.529
E 23-17.530 JONCTION
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 23 OCTOBRE 2024
I. La société Mek La Galléria, société à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 2], a formé le pourvoi n° D 23-17.529 contre un arrêt rendu le 17 mars 2023 par la cour d'appel de Fort-de-France (chambre sociale), dans le litige l'opposant :
1°/ à Mme [B] [L], domiciliée [Adresse 3],
2°/ à la société Mek Les Mangles, société à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 1],
défenderesses à la cassation.
II. La société Mek Les Mangles, société à responsabilité limitée, a formé le pourvoi n° E 23-17.530 contre le même arrêt rendu dans le litige l'opposant :
1°/ à Mme [B] [L],
2°/ à la société Mek La Galléria, société à responsabilité limitée,
défenderesses à la cassation.
La demanderesse au pourvoi n° D 23-17.529 invoque, à l'appui de son recours, deux moyens de cassation.
La demanderesse au pourvoi n° E 23-17.530 invoque, à l'appui de son recours, un moyen de cassation.
Les dossiers ont été communiqués au procureur général.
Sur le rapport de Mme Mariette, conseiller doyen, les observations de la SARL Cabinet François Pinet, avocat des sociétés Mek Les Mangles et Mek La Galléria, de la SCP Françoise Fabiani - François Pinatel, avocat de Mme [L], après débats en l'audience publique du 24 septembre 2024 où étaient présents Mme Mariette, conseiller doyen faisant fonction de président et rapporteur, M. Seguy, Mme Panetta, conseillers, et Mme Pontonnier, greffier de chambre,
la chambre sociale de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Jonction
1. En raison de leur connexité, les pourvois n° D 23-17.529 et E 23-17.530 sont joints.
Faits et procédure
2. Selon l'arrêt attaqué (Fort-de-France, 17 mars 2023), Mme [L] a été engagée en qualité de vendeuse le 27 novembre 1981 par la société Bata outre-mer. Elle était affectée au magasin situé au centre commercial La Galleria.
3. Le 6 avril 2010, à la suite de la cession de ce fonds de commerce à la société Mek La Galleria (la société), le contrat de travail de la salariée a été transféré à cette société. Le même jour, un fonds de commerce, exploité par la société Bata outre-mer aux Mangles, a été cédé à la société Mek Les Mangles.
4. A compter du 1er février 2017, la salariée a exercé son emploi dans le magasin géré par la société Mek Les Mangles jusqu'à ce qu'un incendie ravage les locaux dans la nuit du 25 au 26 février 2017.
5. Le 17 juillet 2017, la société Mek Les Mangles a notifié à la salariée son licenciement pour motif économique à la suite à la cessation de l'activité causée par le sinistre.
6. La salariée a saisi la juridiction prud'homale pour obtenir la condamnation de la société Mek La Galleria à lui payer des dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et des sommes à titre de rappels de salaire et de primes dus au 30 janvier 2017.
Examen des moyens
Sur le second moyen du pourvoi n° D 23-17.529
7. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Sur le premier moyen du pourvoi n° D 23-17.529
Enoncé du moyen
8. La société fait grief à l'arrêt de dire que la rupture du contrat de travail de la salariée intervenue, de manière unilatérale, s'analyse comme un licenciement sans cause réelle et sérieuse et de la condamner à lui payer des sommes à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle ou sérieuse, d'indemnité compensatrice de préavis et d'indemnité compensatrice de congés payés sur le préavis, alors :
« 1°/ que lorsque les conditions de l'article L. 1224-1 du code du travail ne sont pas réunies, le transfert du contrat de travail d'un salarié d'une entreprise à une autre constitue une modification de ce contrat qui ne peut intervenir sans son accord exprès ; qu'en l'absence d'un tel accord, le salarié, qui demeure contractuellement lié à son employeur, doit exécuter le contrat de travail à ses conditions initiales ou solliciter sa résiliation judiciaire aux torts de l'employeur, peu important le prononcé d'un licenciement, dépourvu d'effet, par le bénéficiaire du transfert irrégulier ; qu'après avoir constaté que la société Mek La Galléria ne rapportait pas la preuve de l'accord exprès de Mme [L] au transfert de son contrat de travail à la société Mek Les Mangles, l'arrêt énonce que ''les premiers juges ont donc, à bon droit, considéré que la rupture unilatérale du contrat de travail de Mme [L] par la société Mek La Galléria s'analysait en un licenciement sans cause réelle et sérieuse'', adoptant ainsi les motifs des premiers juges selon lesquels ''le licenciement opéré par la société Mek Les Mangles est (?) parfaitement irrégulier, de ce fait la société Mek La Galléria a rompu de manière unilatérale le contrat de travail de Mme [L] à compter du 31 janvier 2017'', qu'en déduisant ainsi l'existence de la rupture du contrat de travail liant la société Mek La Galléria à Mme [L] du licenciement prononcé par la société Mek Les Mangles, dont elle constatait pourtant qu'elle n'était pas devenue l'employeur de la salariée en l'absence d'accord exprès de sa part, la cour d'appel a violé l'article L. 1224-1 du code du travail et l'article 1101 du code civil, dans sa rédaction issue l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 ;
2°/ qu'en se déterminant ainsi, sans constater que la société avait manifesté, de manière certaine, la volonté de rompre le contrat de travail de Mme [L], la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 1224-1 du code du travail et de l'article 1101 du code civil, dans sa rédaction issue l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 ;
3°/ qu'en statuant comme elle l'a fait, sans préciser sur quel élément elle fondait sa constatation d'une rupture unilatérale du contrat de travail de Mme [L] par la société Mek La Galleria, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile. »
Réponse de la Cour
9. Il résulte des articles 1134 du code civil, dans sa version antérieure à l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, et l'article L. 1221-1 du code du travail que, sauf application éventuelle de l'article L. 1224-1 du code du travail, le changement d'employeur suppose l'accord exprès du salarié, qui ne peut résulter de la seule poursuite de son contrat de travail sous une autre direction.
10. Une société ne peut imposer dans ces conditions à son salarié le transfert à un autre employeur de son contrat de travail dont la modification s'analyse dès lors en une rupture de fait produisant les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse.
11. La cour d'appel a constaté que la salariée n'avait pas donné son accord exprès à la modification de son contrat de travail consistant en un changement d'employeur, qui ne pouvait découler de la poursuite du travail avec la société Mek Les Mangles.
12. De ces constatations, dont il ressortait que la société avait imposé à la salariée le transfert de son contrat de travail à un autre employeur, elle a exactement déduit, sans avoir à procéder à une recherche que ces constatations rendaient inopérante, que cette modification unilatérale s'analysait en une rupture de fait produisant les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse.
13. Le moyen n'est donc pas fondé.
Sur le moyen du pourvoi n° E 23-17.530
Enoncé du moyen
14. La société Mek Les Mangles fait grief à l'arrêt de déclarer irrecevable comme nouvelle sa demande de remboursement formée à l'encontre de la salariée, alors « que le juge ne doit pas dénaturer les documents de la cause ; que, pour déclarer irrecevable la demande de remboursement formée par la société Mek Les Mangles à l'encontre de Mme [B] [L], l'arrêt retient que, ''devant les conseillers prud'homaux, les sociétés défenderesses ont uniquement sollicité le débouté des demandes de Mme [L]'' et estimé, en conséquence, que, ''faute de demande au fond, la demande en remboursement formée par la société Mek Les Mangles devant la cour est une demande nouvelle'' ; qu'en statuant ainsi, cependant que, dans le dispositif de ses conclusions en réponse du 15 octobre 2019, remises au conseil des prud'hommes de Fort-de-France le même jour, la société Mek Les Mangles sollicitait expressément, dans l'hypothèse d'une condamnation de la société Mek La Galléria, le remboursement par la salariée des sommes qu'elle lui avait versées au titre des salaires du 27 février au 30 septembre 2017, du salaire du mois d'octobre 2017, de la reprise de prime de fin d'année, de la reprise de prime de vacances, de la prime d'ancienneté, de l'indemnité compensatrice de congés payés et de l'indemnité de licenciement, de sorte que sa demande présentée en cause d'appel aux fins de remboursement par Mme [L] de ces mêmes sommes n'était pas nouvelle et, partant, était recevable, la cour d'appel a dénaturé ses conclusions en réponse du 15 octobre 2019, violant le principe susvisé, ensemble l'article 4 du code de procédure civile. »
Réponse de la Cour
15. Aux termes de l'article 1235 du code civil, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance du 10 février 2016, tout paiement suppose une dette : ce qui a été payé sans être dû, est sujet à répétition.
16. La cour d'appel a d'abord retenu que la modification du contrat de travail de la salariée décidée par la société à compter du 1er février 2017, consistant en un changement d'employeur, était intervenue sans son accord exprès de sorte que cette rupture unilatérale s'analysait en un licenciement sans cause réelle et sérieuse et a condamné la société à payer à la salariée des sommes au titre des indemnités liées à cette rupture du contrat de travail et au titre des rappels de salaire, de congés payés afférents et de rappels de prime d'octobre 2014 au 30 janvier 2017.
17. Elle a ensuite constaté, par des motifs qui ne sont pas critiqués, que la salariée avait été licenciée pour motif économique le 17 juillet 2017, par la société Mek Les Mangles.
18. Il ressort des constatations de la cour d'appel qu'en l'absence du caractère indu des sommes versées par la société Mek Les Mangles à compter du 1er février 2017 tant au titre de la rémunération qu'au titre de la rupture pour motif économique, il n'y a pas lieu à répétition de ces sommes versées par elle à la salariée.
19. Par ce motif de pur droit, suggéré par la défense et substitué à ceux critiqués, dans les conditions prévues par l'article 620, alinéa 1er, du code de procédure civile, l'arrêt se trouve légalement justifié.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE les pourvois ;
Condamne les sociétés Mek La Galleria et Mek Les Mangles aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes formées par les sociétés Mek La Galleria et Mek Les Mangles et les condamne à payer à Mme [L] la somme globale de 3 000 euros ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-trois octobre deux mille vingt-quatre.