LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
SOC. / ELECT
CH9
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 23 octobre 2024
Cassation
M. HUGLO, conseiller doyen
faisant fonction de président
Arrêt n° 1090 F-D
Pourvoi n° A 23-60.099
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 23 OCTOBRE 2024
La société Banque de Polynésie, société anonyme, dont le siège est [Adresse 1], a formé le pourvoi n° A 23-60.099 contre le jugement rendu le 13 avril 2023 par le tribunal civil de première instance de Papeete (2e chambre, contentieux des élections professionnelles), dans le litige l'opposant :
1°/ à M. [R] [M], domicilié [Adresse 3],
2°/ à la Confédération des syndicats des travailleurs de Polynésie Force ouvrière (CSTP-FO), dont le siège est [Adresse 2],
défendeurs à la cassation.
La demanderesse invoque, Ã l'appui de son pourvoi, un moyen de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Rinuy, conseiller, les observations écrites de la SAS Boulloche, Colin, Stoclet et Associés, avocat de la société Banque de Polynésie, après débats en l'audience publique du 25 septembre 2024 où étaient présents M. Huglo, conseiller doyen faisant fonction de président, M. Rinuy, conseiller rapporteur, Mme Sommé, conseiller, et Mme Aubac, greffier de chambre,
la chambre sociale de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon le jugement attaqué (tribunal civil de première instance de Papeete, 13 avril 2023), par lettre du 25 janvier 2022 adressée au directeur de la Banque de Polynésie, la Confédération des syndicats des travailleurs de Polynésie Force ouvrière (CSTP-FO) a désigné M. [M] en qualité de représentant syndical au comité d'entreprise en remplacement du précédent représentant syndical.
2. Par requête du 30 janvier 2023, la société Banque de Polynésie (la banque) a saisi le tribunal civil de première instance de Papeete en annulation de cette désignation.
Examen du moyen
Sur le moyen, pris en ses deuxième et troisième branches
Enoncé du moyen
3. La société fait grief au jugement de rejeter sa demande tendant à l'annulation de la désignation par la CSTP-FO de M. [M] en qualité de représentant syndical au comité d'entreprise, alors :
« 2°/ que, dans les entreprises de moins de trois cents salariés, la fonction de représentant syndical au comité d'entreprise est assurée par le délégué syndical ; qu'aucune disposition du code du travail de la Polynésie française ne limite dans le temps la durée du mandat du représentant syndical au comité d'entreprise ou celui du délégué syndical, n'énonce que ce mandat cesse si la condition d'effectif n'est plus remplie ni ne prévoit que ce mandat prend fin lors du renouvellement des institutions représentatives du personnel ; qu'en affirmant cependant que le mandat du représentant syndical prenant nécessairement fin avec celui des représentants élus, la Banque de Polynésie aurait pu profiter du renouvellement du comité d'entreprise, en avril 2021, pour remettre en cause la désignation des représentants syndicaux nommés, en 2017, avant le passage sous le seuil de trois cents salariés et que ne l'ayant pas fait, son action dirigée contre la désignation par la CSTP-FO d'un représentant syndical en remplacement de celui ayant changé d'affiliation était discriminatoire, le tribunal a violé les articles Lp. 2233-1, Lp. 2233-11, Lp. 2432-2 et Lp. 2432-4 du code du travail de la Polynésie française ;
3°/ qu'en l'absence de disposition du code du travail de la Polynésie française limitant dans le temps la durée du mandat du représentant syndical au comité d'entreprise ou du délégué syndical et prévoyant si et comment ce mandat peut prendre fin en cas de réduction des effectifs en dessous du seuil de trois cents salariés, le juge est tenu de vérifier, en cas de contestation, si, au moment de la désignation d'un salarié en remplacement d'un représentant syndical au comité d'entreprise précédemment désigné, la condition d'effectif permettant cette désignation est remplie ; qu'il ne peut, sous prétexte qu'il existerait une différence entre les syndicats bénéficiant encore d'un représentant syndical au comité d'entreprise désigné avant que les effectifs passent en dessous du seuil de trois cents salariés et le syndicat dont le représentant syndical au comité d'entreprise a cessé son mandat après la baisse des effectifs en dessous de trois cents salariés, refuser d'annuler une désignation illégale à la date à laquelle elle est intervenue ; qu'en refusant d'annuler la désignation par la CSTP-FO d'un représentant syndical en remplacement de celui ayant changé d'affiliation tout en constatant qu'au moment de la désignation litigieuse, la banque comptait moins de trois cents salariés, le tribunal a violé les articles Lp. 2233-7, Lp. 2233-11, Lp. 2432-2 et Lp. 2432-4 du code du travail de la Polynésie française. »
Réponse de la Cour
Vu les articles Lp. 2432-4, Lp. 2233-11 et Lp. 2233-5 du code du travail de la Polynésie française :
4. Aux termes du premier de ces textes, dans les entreprises de moins de trois cents salariés, la fonction de représentant syndical est assurée par le délégué syndical. L'employeur rend compte, en la motivant, de la suite donnée à ces avis et v?ux.
5. Aux termes de l'article Lp. 2233-11, dans les entreprises de cinquante à moins de trois cents salariés, le délégué syndical est, de droit, représentant syndical au comité d'entreprise. Il est destinataire, à ce titre, des informations fournies au comité d'entreprise.
6. Aux termes de l'article Lp. 2233-5, la désignation d'un délégué syndical est portée à la connaissance de l'employeur, soit par lettre recommandée avec demande d'avis de réception, soit par lettre remise à l'employeur contre décharge. La même procédure est applicable en cas de remplacement ou de cessation des fonctions du délégué syndical.
7. En l'absence de disposition du code du travail de Polynésie française instituant, en cas de réduction importante et durable de l'effectif en dessous de trois cents salariés, une procédure spéciale pour mettre fin au mandat des représentants syndicaux au comité d'entreprise, il appartient au tribunal de première instance, compétent en application des dispositions de l'article Lp. 2233-7 du même code, de vérifier, en cas de contestation, si, au moment de la désignation d'un salarié en remplacement d'un représentant syndical précédemment désigné, la condition d'effectif permettant cette désignation est remplie.
8. Pour rejeter la demande d'annulation de la désignation de M. [M] en qualité de représentant syndical au comité d'entreprise par la CSTP-FO, le jugement retient qu'il n'est pas contesté qu'au moment de la désignation litigieuse, la banque comptait moins de trois cents salariés, qu'en revanche se pose la question de la discrimination, qu'en effet, l'employeur ne conteste pas que d'autres organisations syndicales dans l'entreprise aient un représentant syndical distinct de leur délégué syndical, représentants désignés avant le passage sous le seuil de trois cents salariés, ni que la CSTP-FO ait « perdu » son représentant syndical par changement d'affiliation de ce dernier, qu'il faut donc vérifier si l'employeur avait la possibilité de remettre en cause la situation après le passage en dessous du seuil. Il retient encore qu'il n'existe aucun texte réglementant cette situation en Polynésie française mais que, cependant, le mandat du représentant syndical prend nécessairement fin avec celui des représentants élus, que l'employeur n'a pas « profité » du renouvellement du comité d'entreprise en avril 2021 pour remettre en cause la désignation de ces représentants syndicaux et que l'action engagée à l'encontre de M. [M] est donc discriminatoire.
9. En statuant ainsi, alors qu'au moment de la désignation de M. [M], en qualité de représentant syndical, la condition d'effectif permettant cette désignation n'était plus remplie et que l'employeur, en l'absence de nouvelle désignation, n'était pas recevable à contester les désignations faites antérieurement par d'autres organisations syndicales d'un représentant syndical au comité d'entreprise, le tribunal a violé les textes susvisés.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur l'autre grief, la Cour :
CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, le jugement rendu le 13 avril 2023, entre les parties, par le tribunal civil de première instance de Papeete ;
Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ce jugement et les renvoie devant le tribunal civil de première instance de Papeete autrement composé ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société Banque de Polynésie ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite du jugement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-trois octobre deux mille vingt-quatre.