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06/11/2024 | FRANCE | N°12400592

France | France, Cour de cassation, Chambre civile 1, 06 novembre 2024, 12400592


LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :


CIV. 1


CF






COUR DE CASSATION
______________________




Audience publique du 6 novembre 2024








Rejet




Mme CHAMPALAUNE, président






Arrêt n° 592 FS-B




Pourvois n°
B 22-16.580
N 22-19.327
K 23-15.649 JONCTION














R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E


___________________

______


AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________




ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, DU 6 NOVEMBRE 2024


I - M. [P], venant aux droits de M. [L], domicilié [Adresse 3] (Inde), agissant en qualité de liquidateur d...

LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :

CIV. 1

CF

COUR DE CASSATION
______________________

Audience publique du 6 novembre 2024

Rejet

Mme CHAMPALAUNE, président

Arrêt n° 592 FS-B

Pourvois n°
B 22-16.580
N 22-19.327
K 23-15.649 JONCTION

R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________

ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, DU 6 NOVEMBRE 2024

I - M. [P], venant aux droits de M. [L], domicilié [Adresse 3] (Inde), agissant en qualité de liquidateur de la société Devas Multimedia Private Limited, a formé le pourvoi n° B 22-16.580 contre un arrêt rendu le 22 mars 2022 par la cour d'appel de Paris (Chambre commerciale internationale - pôle 5, chambre 16), dans le litige l'opposant :

1°/ à la société Antrix Corporation Limited, dont le siège est [Adresse 2] (Inde),

2°/ à la société Devas Multimedia Private Limited, dont le siège est [Adresse 5] (Inde),

3°/ à la société CC/Devas (Mauritius) Limited, dont le siège est [Adresse 4] (Ile Maurice),

4°/ à la société Telcom Devas Mauritius Limited,

5°/ à la société Devas Employees Mauritius Private Limited,

ayant toutes deux leur siège [Adresse 4] (Ile Maurice),

6°/ à la société Devas Multimedia America INC, dont le siège est [Adresse 1] (États-Unis),

défenderesses à la cassation.

II - 1°/ La société CC/Devas Mauritius Ltd,

2°/ La société Telcom Devas Mauritius Limited,

3°/ La société Devas Employees Mauritius Private Limited,

4°/ La société Devas Multimedia America Inc,

ont formé le pourvoi n° N 22-19.327 contre le même arrêt rendu, dans le litige les opposant :

1°/ à M. [P], venant aux droits de M. [L], pris en qualité de liquidateur de la société Devas Multimedia Private Limited,

2°/ à la société Antrix Corporation Limited,

3°/ à la société Devas Multimedia Private Limited,

défendeurs à la cassation.

III - La société Antrix Corporation Limited, a formé le pourvoi n° K 23-15.649 contre l'arrêt rendu le 28 juin 2022 par la cour d'appel de Paris (Chambre commerciale internationale - pôle 5, chambre 16), dans le litige l'opposant :

1°/ à la société Devas Multimedia Private Limited,

2°/ à M. [P], venant aux droits de M. [L], pris en qualité de liquidateur de la société Devas Multimedia Private Limited,

3°/ à la société CC / Devas Mauritius Limited,

4°/ à la société Telcom Devas Mauritius Limited,

5°/ à la société Devas Employees Mauritius Private Limited,

6°/ à la société Devas Multimedia America Inc.,

défenderesses à la cassation.

Sur le pourvoi n° K 23-15.649 :

M. [P], venant aux droits de M. [L] a formé un pourvoi incident contre le même arrêt.

Le demandeur au pourvoi n° B 22-16.580 invoque, à l'appui de son recours, un moyen unique de cassation.

Les demanderesses au pourvoi n° N 22-19.327 invoquent, à l'appui de leur recours, trois moyens de cassation.

La demanderesse au pourvoi principal n° K 23-15.649 invoque, à l'appui de son recours, un moyen unique de cassation.

Le demandeur au pourvoi incident n° K 23-15.649 invoque, à l'appui de son recours, un moyen unique de cassation.

Les dossiers ont été communiqués au procureur général.

Sur le rapport de Mme Robin-Raschel, conseiller référendaire, les observations écrites et orales de la SARL Matuchansky, Poupot, Valdelièvre et Rameix, avocat de M. [P], venant aux droits de M. [L] en qualité de liquidateur de la société Devas Multimedia Private Limited, de la SARL Boré, Salve de Bruneton et Mégret, avocat des sociétés CC/Devas (Mauritius) Limited, Telcom Devas Mauritius Limited, Devas Employees Mauritius Private Limited et Devas Multimedia America Inc, de la SARL Cabinet Rousseau et Tapie, avocat de la société Antrix Corporation Limited, et l'avis écrit de Mme Cazaux-Charles, avocat général, pour le pourvoi n° K 23-15.649 et observations orales pour le même pourvoi de M. Salomon, avocat général ; l'avis écrit et observations orales de M. Salomon, avocat général, pour les pourvois n° B 22-16.580 et N 22-19.327, après débats en l'audience publique du 17 septembre 2024 où étaient présents Mme Champalaune, président, Mme Robin-Raschel, conseiller référendaire rapporteur, M. Bruyère, conseiller le plus ancien faisant fonction de doyen, Mmes Peyregne-Wable, Tréard, Corneloup, conseillers, M. Salomon, avocat général, et Mme Vignes, greffier de chambre,

la première chambre civile de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt ;

Jonction

1. En raison de leur connexité, les pourvois n° 22-16.580, 22-19.327 et 23-15.649 sont joints.

Désistement partiel

2. Il est donné acte à la société Antrix Corporation Limited du désistement partiel de son pourvoi n° 23-15.649 en ce qu'il est dirigé contre la société CC/Devas (Mauritius) Limited, la société Telcom Devas Mauritius Limited, la société Devas Employees Mauritius Private Limited et la société Devas Multimedia America Inc.

Faits et procédure

3. Selon les arrêts attaqués (Paris, 22 mars et 28 juin 2022) rendus sur renvoi après cassation (1re Civ., 4 mars 2020, pourvoi n° 18-22.019, publié) les sociétés de droit indien Antrix Corporation Limited (la société Antrix) et Devas Multimedia Private Limited (la société Devas) ont conclu un contrat commercial comportant une clause compromissoire, aux termes de laquelle le siège de l'arbitrage serait situé à New Delhi et la procédure d'arbitrage conduite conformément aux règles et procédures de la Chambre de commerce internationale (CCI) ou de la Commission des Nations-Unies pour le droit commercial international (CNUDCI). A la suite d'un différend, la société Devas a saisi la CCI d'une demande d'arbitrage et aux fins de constitution du tribunal arbitral. La société Antrix a protesté contre l'intervention de ce centre d'arbitrage en l'absence d'accord des parties sur le règlement de la CCI.

4. Le 14 septembre 2015, le tribunal arbitral, siégeant à New Delhi, a rendu une sentence aux termes de laquelle il retenait sa compétence et condamnait la société Antrix à payer à la société Devas une certaine somme à titre de dommages et intérêts.

5. La société Devas en a poursuivi en France l'exécution et la société Antrix a fait appel de l'ordonnance accordant l'exequatur.

6. Les sociétés CC/Devas Mauritius Limited, Telcom Mauritius Limited et Devas Employees Mauritius Private Limited, actionnaires de la société Devas (les sociétés actionnaires), ainsi que la société Devas Multimedia America Inc. (la société DMAI) ont demandé la révocation de l'ordonnance de clôture et déposé des conclusions d'intervention volontaire.

7. Par ailleurs, invoquant un jugement du National Company Law Tribunal de Bangalore du 25 mai 2021 plaçant la société Devas en liquidation judiciaire et le désignant en qualité de liquidateur, confirmé le 8 septembre 2021 par le National Company Law Appellate Tribunal de Chennai, le recours contre cette dernière décision ayant été rejeté le 17 janvier 2022 par la Cour suprême de New Delhi, M. [L], aux droits duquel se trouve désormais M. [P], a également demandé à intervenir volontairement, ès qualités.

Examen des moyens

Sur le moyen du pourvoi n° 22-16.580 et le moyen du pourvoi incident n° 23-15.649, rédigés en termes identiques, réunis

Enoncé du moyen

8. M. [P], ès qualités, fait grief à l'arrêt du 22 mars 2022 de déclarer irrecevable son intervention volontaire ès qualités, alors « que la qualité à agir d'un mandataire désigné par un jugement étranger, rendu au titre d'une procédure d'insolvabilité ou de liquidation d'une société, s'apprécie indépendamment du dessaisissement de cette société procédant de l'exequatur de ce jugement ; qu'en retenant que la décision rendue par la juridiction de Bengalore (Inde) établissait la qualité de liquidateur de M. [L] - désormais M. [P] - de la société Devas Multimedia Private Limited, mais en jugeant néanmoins que cela ne pouvait suffire à le rendre recevable à intervenir en cette qualité dans une procédure judiciaire en France concernant cette société, pour la circonstance impropre qu'une telle intervention aurait eu pour objet de dessaisir les dirigeants de cette société, la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations, a violé l'article 509 du code de procédure civile, ensemble les principes généraux du droit international privé. »

Réponse de la Cour

9. Ayant relevé que les décisions des juridictions indiennes, relatives à la procédure de liquidation de la société Devas et à la désignation d'un liquidateur, n'étaient pas revêtues de l'exequatur en France et qu'aucune demande incidente n'était formée en ce sens, la cour d'appel en a déduit, à bon droit, que les représentants légaux de cette société n'étaient pas dessaisis de leur pouvoir de représentation de sorte que l'effet de titre attaché à ces décisions ne pouvait pas conférer au liquidateur un droit d'agir en leur lieu et place.

10. Le moyen n'est donc pas fondé.

Sur le moyen du pourvoi principal n° 23-15.649

Enoncé du moyen

11. La société Antrix fait grief à l'arrêt du 28 juin 2022 de rejeter son recours contre l'ordonnance d'exequatur, alors :

« 1°/ que l'article 20 du contrat conclu par la société Antrix avec la société Devas le 28 janvier 2005 stipule que "a. En cas de litige ou de différend entre les parties concernant toute clause ou disposition du présent contrat quant à l'interprétation de celles-ci, ou quant à tout compte ou évaluation, ou quant aux droits, responsabilités, actes ou abstentions d'une partie nés de l'application des présentes ou de quelque manière que ce soit en lien avec le présent contrat, ce litige ou différend sera porté devant les organes de direction des Parties aux fins de résolution dans un délai de trois (3) semaines, à défaut de quoi il sera soumis à un tribunal arbitral composé de trois arbitres, un nommé par chaque partie (i.e. Devas et Antrix) et les arbitres ainsi désignés nommeront le troisième arbitre. b. Le siège de I'arbitrage est situé à New Delhi en Inde. c. La procédure d'arbitrage sera conduite conformément aux règles et procédures (rules and procedures) de la C.C.I (Chambre de commerce internationale) ou de la CNUDCI (?)" ; qu'il résulte des termes clairs et précis de cette clause qu'à défaut de conciliation préalable entre les parties, tout litige ou différend relatif à ce contrat devait être soumis à un tribunal arbitral composé de trois arbitres, dont un désigné par chaque partie et le troisième par les co-arbitres, et que ce n'est qu'une fois les arbitres désignés que devait être opéré un choix, pour la conduite de la procédure d'arbitrage, entre l'application des règles et procédure de la CCI et celles de la CNDUCI ; que la cour d'appel a jugé que cette clause, qu'il lui appartenait "d'interpréter (...), guidée par un principe de cohérence et d'utilité et privilégier une interprétation qui confère un effet à la clause dont l'objet est de tendre à la mise en place effective d'un arbitrage", en ce qu'elle prévoyait en son alinéa c) que "la procédure d'arbitrage sera conduite conformément aux règles et procédures (rules and procedures) de la CCI (Chambre de commerce internationale) ou de la CNUDCI", avait "vocation à décliner cette volonté commune acquises des parties [de résoudre le litige par la voie de l'arbitrage] en précisant qu'elles pourront soumettre leur litige à l'une ou l'autre des options prévues et donc possiblement à un arbitrage institutionnel régi par le Règlement de la CCI", ce renvoi aux règles et procédures de la CCI ou de la CNUDCI n'étant selon la cour d'appel "pas cantonné aux seules modalités de déroulement de l'arbitrage après désignation des arbitres", pour en déduire qu'"à la lumière de cet alinéa, la société Devas, qui a pris l'initiative de la procédure d'arbitrage, était fondée à adresser sa requête au secrétariat de la CCI, ayant ce faisant opté pour l'une des options offertes par la convention d'arbitrage, sans préjudice de la faculté pour la société Antrix de contester ce choix", de sorte que le tribunal arbitral avait été constitué régulièrement ; qu'en statuant ainsi, quand la clause d'arbitrage prévoyait que les parties désigneraient chacune un arbitre, les deux arbitres désignés nommant le troisième arbitre, et que la procédure d'arbitrage devant ce tribunal ainsi constitué serait conduite en appliquant soit les règles et procédures de la CCI, soit celles de la CNUDCI, sans aucunement prévoir la possibilité d'engager un arbitrage institutionnel devant la CCI, la cour d'appel a dénaturé l'article 20 du contrat du 28 janvier 2005 liant les parties, en violation de l'article 1134 (désormais 1192) du code civil, ensemble le principe selon lequel le juge ne doit pas dénaturer les documents de la cause ;

2°/ que l'article 20 du contrat conclu par la société Antrix avec la société Devas le 28 janvier 2005 stipule que "a. En cas de litige ou de différend entre les parties concernant toute clause ou disposition du présent contrat quant à l'interprétation de celles-ci, ou quant à tout compte ou évaluation, ou quant aux droits, responsabilités, actes ou abstentions d'une partie nés de l'application des présentes ou de quelque manière que ce soit en lien avec le présent contrat, ce litige ou différend sera porté devant les organes de direction des parties aux fins de résolution dans un délai de trois (3) semaines, à défaut de quoi il sera soumis à un tribunal arbitral composé de trois arbitres, un nommé par chaque partie (i.e. Devas et Antrix) et les arbitres ainsi désignés nommeront le troisième arbitre. b. Le siège de I'arbitrage est situé à New Delhi en Inde. c. La procédure d'arbitrage sera conduite conformément aux règles et procédures (rules and procedures) de la C.C.I (Chambre de commerce internationale) ou de la CNUDCI (...)" ; qu'il résulte de cette clause que ce n'est qu'une fois les arbitres désignés que devait être opéré un choix entre l'application des règles et procédure de la CCI ou de la CNDUCI ; qu'en jugeant que l'alinéa c) de l'article 20 du contrat du 28 janvier 2005 avait vocation à permettre aux parties de soumettre leur litige à l'une ou l'autre des options prévues et donc possiblement à un arbitrage institutionnel régis par le Règlement de la CCI", et que le renvoi par l'article 20, alinéa c), du contrat aux règles et procédures de la CCI ou de la CNUDCI "n'est pas cantonné aux seules modalités de déroulement de l'arbitrage après désignation des arbitres", la cour d'appel a encore dénaturé l'article 20 du contrat du 28 janvier 2005, en violation de l'article 1134 (désormais 1192) du code civil, ensemble le principe selon lequel le juge ne doit pas dénaturer les documents de la cause ;

3°/ et subsidiairement que la société Antrix faisait valoir qu'il résultait de l'article 20, alinéa a), du contrat du 28 janvier 2005 que les parties avaient entendu mettre en place un arbitrage ad hoc, l'alinéa c) de cette clause prévoyant que "La procédure d'arbitrage sera conduite conformément aux règles et procédures (rules and procedures) de la C.C.I (Chambre de commerce internationale) ou de la CNUDCI (?)", ce qui impliquait que le choix des règles de procédure applicables incombe aux arbitres précédemment désignés selon les modalités de l'article 20, alinéa a) du contrat ; qu'en jugeant que "l'interprétation proposée par la société Antrix conduirait à ajouter une condition pour mettre en oeuvre la clause d'arbitrage, qu'elle ne prévoit pas" et que "le fait que cette clause n'impose pas qu'un accord soit conclu entre les parties préalablement à l'exercice de l'option, ne signifie pas que celle-ci ne serait pas efficace, mais conduit à considérer que les parties ont considéré que cette clause impliquait qu'à défaut de précision sur ce point, le choix était laissé à la partie la plus diligente, l'autre partie consentant à s'y soumettre ayant dès le départ accepté l'une ou l'autre des modalités", quand les arbitres désignés dans le cadre d'un arbitrage ad hoc étaient tenus de suivre les règles procédurales fixées par les parties, de sorte que "l'interprétation proposée par la société Antrix" n'ajoutait rien à la clause contractuelle litigieuse, la cour d'appel a derechef violé l'article 1134 (désormais 1103) du code civil, ensemble les articles 1520 et 1522 du code de procédure civile ;

4°/ et subsidiairement que la société Antrix faisait valoir que la mention à l'article 20 du contrat du 28 janvier 2005 selon laquelle la sentence arbitrale devrait être rendue par écrit (alinéa d) n'avait aucun sens dans le cadre d'un arbitrage sous l'égide de la CCI, le règlement de cette institution (articles 27, 28 et suivants) imposant l'établissement d'une sentence écrite, de même que l'indication selon laquelle les arbitres auraient la charge de faire en sorte que la sentence soit communiquée aux parties (alinéa e), la sentence rendue par la CCI étant transmise aux parties par le secrétariat de la Cour Internationale d'arbitrage de la CCI ; qu'en ne recherchant pas, ainsi qu'elle y était invitée, si ces stipulations n'excluaient pas que les parties aient entendu soumettre les litiges les opposant à un arbitrage institutionnel, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1134 (désormais 1103) du code civil, ensemble les articles 1520 et 1522 du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour

12. Après avoir énoncé qu'il lui appartenait d'interpréter la clause, guidée par un principe de cohérence et d'utilité, et de privilégier une interprétation qui confère un effet à la clause dont l'objet est de tendre à la mise en place effective d'un arbitrage, afin d'éviter qu'une partie ne puisse se soustraire à ses engagements et remettre en cause son consentement à l'arbitrage, la cour d'appel a retenu que l'alinéa c) de la clause, selon lequel « [l]a procédure d'arbitrage sera conduite conformément aux règles et procédures (rules and procedures) de la C.C.I. (Chambre de commerce internationale) ou de la CNUDCI », manifestait la volonté commune des parties de soumettre leur litige soit à un arbitrage institutionnel régi par le règlement de la CCI, soit à un arbitrage ad hoc, dès lors que le renvoi aux « règles et procédures » n'était pas cantonné aux seules modalités de déroulement de l'arbitrage après désignation des arbitres, que les parties avaient, au moment de la conclusion de la clause, accepté que la plus diligente puisse choisir entre les deux modes d'arbitrage, sans nouvel accord préalable, que cette lecture non restrictive de la clause, ayant des conséquences quant aux modalités de désignation des arbitres, était de nature à lui donner toute efficacité, et, qu'enfin, la clause relative à la répartition des frais de l'arbitrage n'était pas incompatible avec cette interprétation.

13. En l'état de ces constatations et appréciations relevant de l'exercice de son pouvoir souverain d'interprétation de la clause d'arbitrage rendue nécessaire par son imprécision, exclusive de toute dénaturation, c'est sans avoir à procéder à la recherche inopérante invoquée à la dernière branche du moyen que la cour d'appel a rejeté le moyen tiré de la constitution irrégulière du tribunal arbitral dès lors que la société Devas avait pu choisir de recourir à l'arbitrage institutionnel, ce qui emportait la désignation du tribunal arbitral conformément à l'article 8 du règlement de la CCI, justifiant ainsi légalement sa décision.

14. Le moyen n'est donc pas fondé.

Et sur le pourvoi n° 22-19.327

15. Les sociétés actionnaires et la société DMAI ont indiqué se désister totalement du pourvoi qu'elles ont formé à l'encontre de l'arrêt du 22 mars 2022 dans l'hypothèse où les pourvois, principal et incident, respectivement formés par la société Antrix et M. [P], ès qualités, à l'encontre de l'arrêt du 28 juin 2022, seraient rejetés.

16. Il convient de leur en donner acte.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi n° 22-16.580 et les pourvois principal et incident n° 23-15.649 ;

DONNE ACTE à la société CC/Devas (Mauritius) Limited, la société Telcom Devas Mauritius Limited, la société Devas Employees Mauritius Private Limited et la société Devas Multimedia America Inc du désistement total de leur pourvoi n° N 22-19.327 dirigé contre M. [P], venant aux droits de M. [L], en sa qualité de liquidateur de la société Devas Multimedia Private Limited, la société Antrix Corporation Limited et la société Devas Multimedia Private Limited ;

Condamne la société CC/Devas (Mauritius) Limited, la société Telcom Devas Mauritius Limited, la société Devas Employees Mauritius Private Limited et la société Devas Multimedia America Inc aux dépens du pourvoi n° 22-19.327 ;

Condamne M. [P] venant aux droits de M. [L], en qualité de liquidateur de la société Devas Multimedia Private Limited, aux dépens du pourvoi n° 22-16.580 ;

Condamne la société Antrix Corporation Limited aux dépens du pourvoi n° 23-15.649 ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes formées par la société CC/Devas (Mauritius) Limited, la société Telcom Devas Mauritius Limited, la société Devas Employees Mauritius Private Limited et la société Devas Multimedia America Inc, M. [P] venant aux droits de M. [L], en qualité de liquidateur de la société Devas Multimedia Private Limited et la société Antrix Corporation Limited et condamne la société Antrix Corporation Limited à payer à la société Devas Multimedia Private Limited la somme de 4 000 euros ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du six novembre deux mille vingt-quatre.


Synthèse
Formation : Chambre civile 1
Numéro d'arrêt : 12400592
Date de la décision : 06/11/2024
Sens de l'arrêt : Rejet

Analyses

CONFLIT DE JURIDICTIONS

Une cour d'appel, qui relève que des décisions de juridictions indiennes relatives à une procédure de liquidation ouverte à l'égard d'une société et à la désignation d'un liquidateur, n'étaient pas revêtues de l'exequatur en France et qu'aucune demande incidente n'était formée en ce sens, en déduit, à bon droit, que les représentants légaux de cette société n'étaient pas dessaisis de leur pouvoir de représentation de sorte que l'effet de titre attaché à ces décisions ne pouvait pas conférer au liquidateur un droit d'agir en leur lieu et place. C'est dans l'exercice de son pouvoir souverain d'interprétation d'une clause d'arbitrage, rendue nécessaire par son imprécision, exclusive de toute dénaturation, qu'une cour d'appel rejette le moyen tiré de la constitution irrégulière du tribunal arbitral en retenant qu'en application de cette clause manifestant la volonté commune des parties de soumettre leur litige soit à un arbitrage institutionnel régi par le règlement de la Chambre de commerce internationale (CCI), soit à un arbitrage ad hoc, une partie avait pu choisir de recourir à l'arbitrage institutionnel, ce qui emportait la désignation du tribunal arbitral conformément à l'article 8 du règlement de la CCI


Références :

Publié au bulletin

Décision attaquée : Cour d'appel de Paris, 28 juin 2022


Publications
Proposition de citation : Cass. Civ. 1re, 06 nov. 2024, pourvoi n°12400592


Composition du Tribunal
Président : Mme Champalaune
Avocat(s) : SARL Matuchansky, Poupot, Valdelièvre et Rameix, SARL Boré, Salve de Bruneton et Mégret

Origine de la décision
Date de l'import : 19/11/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CCASS:2024:12400592
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