LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :
N° T 24-82.222 F-B
N° 01342
RB5
13 NOVEMBRE 2024
CASSATION PARTIELLE
M. BONNAL président,
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 13 NOVEMBRE 2024
M. [O] [R] a formé un pourvoi contre l'arrêt de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Paris, 2e section, en date du 21 mars 2024, qui, dans l'information suivie contre lui des chefs de vol, blanchiment, accès et maintien frauduleux dans un système de traitement automatisé de données, modification frauduleuse de données dans un système de traitement automatisé de données et recel, a prononcé sur sa demande d'annulation de pièces de la procédure.
Par ordonnance du 10 juin 2024, le président de la chambre criminelle a prescrit l'examen immédiat du pourvoi.
Un mémoire et des observations complémentaires ont été produits.
Sur le rapport de Mme Thomas, conseiller, les observations de la SCP Ricard, Bendel-Vasseur, Ghnassia, avocat de M. [O] [R], et les conclusions de M. Desportes, premier avocat général, après débats en l'audience publique du 8 octobre 2024 où étaient présents M. Bonnal, président, Mme Thomas, conseiller rapporteur, Mme Labrousse, conseiller de la chambre, et Mme Boudalia, greffier de chambre,
la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée en application de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure ce qui suit.
2. Mis en examen des chefs susvisés les 22 décembre 2019 et 12 décembre 2022, M. [O] [R] a, le 29 septembre 2023, déposé une requête en annulation de la perquisition et des saisies réalisées à son domicile le 2 février 2023.
Examen des moyens
Sur le premier moyen
Enoncé du moyen
3. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a rejeté le moyen de nullité tiré de l'irrégularité de la perquisition, alors :
« 1°/ que constitue une violation des droits de la défense, portant nécessairement atteinte aux intérêts de la personne qu'elle concerne, l'exécution d'une perquisition en méconnaissance des garanties prévues par les articles 56, 56-1 à 56-5, 57, 59 du code de procédure pénale pour protéger le secret professionnel et les droits de la défense ; que la saisie de
documents couverts par le secret professionnel, en dehors de la procédure prévue par ces articles, est une cause de nullité de la perquisition, sans que celui qui s'en prévaut ait à faire la preuve d'un grief ; que dans sa requête et son mémoire régulièrement déposés, [O] [R] faisait valoir que l'irrégularité dans les opérations de perquisition constituées par la violation des articles 56-1 et 56-1-1 du code de procédure pénale avait eu comme conséquence d'entacher d'irrégularité l'ensemble de la perquisition ; qu'en écartant ce moyen, en se bornant à relever qu'il n'est soulevé aucun moyen d'annulation de la perquisition elle-même et que cette perquisition a été réalisée dans les heures légales sur délégation du juge d'instruction de sorte que l'assentiment de M. [R] n'était pas exigé en la présence constante de celui-ci, par des officiers de police judiciaire, et au domicile de la personne mise en examen où des objets et des données informatiques étaient susceptibles d'être utiles à la manifestation de la vérité et que M. [R] a signé ce procès-verbal après une mention manuscrite, sans répondre à son moyen péremptoire de nature à influer sur la solution du litige, la chambre de l'instruction a violé les textes susvisés et a entaché sa décision d'un défaut de motifs en violation de l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'Homme ;
2°/ que constitue une violation des droits de la défense, portant nécessairement atteinte aux intérêts de la personne qu'elle concerne, l'exécution d'une perquisition en méconnaissance des garanties prévues par les articles 56, 56-1 à 56-5, 57, 59 du code de procédure pénale pour protéger le secret professionnel et les droits de la défense ; que la saisie de documents couverts par le secret professionnel, en dehors de la procédure prévue par ces articles, est une cause de nullité de la perquisition, sans que celui qui s'en prévaut ait à faire la preuve d'un grief ; qu'en refusant d'annuler la perquisition, bien qu'il ressort des pièces de la procédure que [O] [R] s'est opposé lors de la perquisition à la saisie de documents couvert par le secret professionnel, ce qui devait entraîner la nullité de la perquisition et des actes subséquents, la cour d'appel a violé les textes susvisés et 6 de la Convention européenne des droits de l'homme. »
Réponse de la Cour
4. Pour rejeter le moyen de nullité de la perquisition, l'arrêt attaqué énonce qu'il est argué de l'irrégularité de celle-ci en raison d'une saisie réalisée en violation des droits de la défense, qu'il n'est toutefois soulevé aucun moyen de nullité de la perquisition elle-même et que cet acte a été réalisé selon les conditions légales.
5. En statuant ainsi, la chambre de l'instruction n'a méconnu aucun des textes visés au moyen.
6. En effet, dès lors que le grief articulé, selon lequel l'officier de police judiciaire aurait privé le requérant de la procédure prévue à l'article 56-1-1 du code de procédure pénale protégeant le secret professionnel en cas de découverte d'un document ou d'un objet relevant des droits de la défense et couvert par le secret de la défense et du conseil, trouvait exclusivement son fondement dans les saisies réalisées, la perquisition elle-même, régie par les règles de droit commun, étant exempte de critique, la chambre de l'instruction a constaté, à juste titre, qu'elle n'était saisie d'aucun moyen de nullité de celle-ci.
7. Le moyen doit, dès lors, être écarté.
Sur le deuxième moyen
Enoncé du moyen
8. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a rejeté le moyen de nullité tiré de l'irrégularité de la saisie du disque dur, alors :
« 1°/ que la saisie de documents couverts par le secret professionnel, en dehors de la procédure prévue par les articles 56-1 et 56-1-1 du code de procédure pénale, est une cause de nullité de la saisie, sans que celui qui s'en prévaut ait à faire la preuve d'un grief ; que dans sa requête et son mémoire régulièrement déposés, [O] [R] demandait l'annulation de la saisie du disque dur dès lors qu'il comportait une étiquette blanche où il était écrit « Confidentiel communication avocat client me [N] » et qu'il s'était opposé à sa saisie lors des opérations de perquisitions et saisies ; qu'en écartant ce moyen, en se bornant à relever qu'il résulte du procès-verbal de perquisition qu'il n'a pas été découvert un document couvert par le secret professionnel puisque c'est une page vide qui est apparue lorsque M. [R] a inscrit son mot de passe et que par ailleurs, le seul fait de coller un autocollant « confidentiel communications avocat client » n'est pas de nature à induire la mise en oeuvre des dispositions de l'article 56-1-1 du code de procédure, la chambre de l'instruction s'est prononcée par des motifs inopérants et ainsi a violé les textes susvisés, ensemble les articles 591 à 593 du code de procédure pénale et 6 de la Convention européenne des droits de l'Homme ;
2°/ que la saisie de documents couverts par le secret professionnel, en dehors de la procédure prévue par les articles 56-1 et 56-1-1 du code de procédure pénale, est une cause de nullité de la saisie, sans que celui qui s'en prévaut ait à faire la preuve d'un grief ; que dans sa requête et son mémoire régulièrement déposés, [O] [R] demandait l'annulation de la saisie du disque dur dès lors qu'il comportait une étiquette blanche où il était écrit « Confidentiel communication avocat client me [N] » et qu'il s'était opposé à sa saisie lors des opérations de perquisitions et saisies ; qu'en écartant ce moyen, en se bornant à relever qu'il résulte du procès-verbal de perquisition qu'il n'a pas été découvert un document couvert par le secret professionnel puisque c'est une page vide qui est apparue lorsque M. [R] a inscrit son mot de passe et que par ailleurs, le seul fait de coller un autocollant « confidentiel communications avocat client » n'est pas de nature à induire la mise en oeuvre des dispositions de l'article 56-1-1 du code de procédure, sans se prononcer sur le moyen tiré de l'opposition de M. [R] lors de l'opération de perquisition, la chambre de l'instruction a privé sa décision de base légale au regard des les textes susvisés et a violé les articles 591 à 593 du code de procédure pénale et 6 de la Convention européenne des droits de l'Homme. »
Réponse de la Cour
9. Pour rejeter ensuite le moyen de nullité de la saisie du disque dur, l'arrêt attaqué énonce que l'article 56-1-1 du code de procédure pénale est applicable en cas de découverte d'un document relevant de l'exercice des droits de la défense et couvert par le secret professionnel de la défense et du conseil, prévu à l'article 66-5 de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 portant réforme de certaines professions judiciaires et juridiques.
10. Les juges constatent que, selon les mentions du procès-verbal de perquisition, il n'a pas été découvert un tel document, dès lors qu'est apparue une page vide quand le requérant a inscrit son mot de passe.
11. Ils ajoutent que le seul fait d'avoir apposé, sur ce disque dur, un autocollant « confidentiel communications avocat client » n'est pas de nature à induire la mise en oeuvre des dispositions de l'article 56-1-1 du code précité.
12. En statuant ainsi, la chambre de l'instruction n'a méconnu aucun des textes visés au moyen.
13. En effet, conformément à la lettre de l'article 56-1-1 du code de procédure pénale, la procédure de saisie spécifique aux documents et objets susceptibles de relever de l'exercice des droits de la défense et d'être couverts par le secret professionnel de la défense et du conseil est applicable en cas de découverte d'un tel document ou objet.
14. Il en résulte que le droit de la personne concernée de s'opposer à la saisie et l'obligation subséquente qui pèse sur la personne procédant à cette saisie de placer le document ou l'objet sous scellé fermé en vue de sa transmission au juge des libertés et de la détention, compétent pour statuer sur la contestation, ne sont constitués qu'une fois découvert un tel document ou objet.
15. Tel n'était pas le cas en l'espèce, la tentative de l'officier de police judiciaire, qui dispose du droit, lors de la perquisition, de prendre connaissance des documents et données informatiques avant de procéder à leur saisie, de lire le contenu du disque dur litigieux ayant échoué, et le seul fait que cet objet soit étiqueté comme contenant des communications entre le requérant et son avocat ne suffisant pas à entraîner la mise en oeuvre de la procédure prévue à l'article 56-1-1 précité.
16. Il s'ensuit qu'en l'absence de découverte d'élément pouvant être couvert par le secret visé au paragraphe 9, l'opposition du requérant à la saisie ne pouvait ainsi, à elle seule, entraîner l'obligation, pour l'officier de police judiciaire, de placer l'objet sous scellé fermé en vue de sa transmission au juge des libertés et de la détention.
17. Le moyen doit, dès lors, encore être écarté.
Mais sur le troisième moyen
Enoncé du moyen
18. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a rejeté le moyen de nullité tiré de la nullité des saisies, autre que celle du disque dur, alors « que [O] [R] avait sollicité la nullité de la saisie du disque dur mais également des autres supports informatiques pouvant contenir des échanges confidentiels avec son avocat, notamment : 2- De l'ordinateur fixe blanc de marque APPLE modèle A24338 N°[Numéro identifiant 2] sur lequel était branché le disque dur précité (disque dur qui faisait office de sauvegarde de cet ordinateur) ; 3- De l'ordinateur portable de marque APPLE modèle A1932 N°[Numéro identifiant 5] ; 4- Du téléphone portable de marque APPLE, modèle 13 pro Bleu n°IMEI [Numéro identifiant 3] avec une carte SIM de l'opérateur [4] n°[Numéro identifiant 1] » ; qu'en ordonnant la nullité de l'annexe 5 du CD joint à l'expertise D275, sans se prononcer sur la nullité des saisies ou le retrait des autres supports informatiques (ordinateurs et téléphone portable), la chambre de l'instruction a privé sa décision de base légale au regard des articles 56-1 et 56-1-1 du code de procédure pénale et violé les articles 591 à 593 du code de procédure pénale. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 593 du code de procédure pénale :
19. Tout jugement ou arrêt doit comporter les motifs propres à justifier la décision et répondre aux articulations essentielles des mémoires des parties. L'insuffisance ou la contradiction des motifs équivaut à leur absence.
20. Par mémoire régulièrement déposé, le requérant a sollicité de la chambre de l'instruction qu'elle annule la saisie d'un téléphone portable et de deux ordinateurs.
21. Pour rejeter la demande d'annulation de la saisie du téléphone, l'arrêt attaqué énonce, par des motifs non critiqués, qu'il n'est invoqué aucun moyen propre à ce scellé.
22. En revanche, l'arrêt ne contient pas de motifs venant au soutien du rejet du surplus de la demande.
23. En se déterminant ainsi, la chambre de l'instruction n'a pas justifié sa décision de ne pas annuler la saisie des ordinateurs.
24. La cassation est par conséquent encourue de ce chef.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
CASSE et ANNULE l'arrêt susvisé de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Paris, en date du 21 mars 2024, mais en ses seules dispositions ayant rejeté la demande d'annulation de la saisie des deux ordinateurs, toutes autres dispositions étant expressément maintenues ;
Et pour qu'il soit à nouveau jugé, conformément à la loi, dans les limites de la cassation ainsi prononcée,
RENVOIE la cause et les parties devant la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Paris, autrement composée, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;
ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Paris et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement annulé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président en son audience publique du treize novembre deux mille vingt-quatre.