LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
CIV. 1
CR12
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 11 décembre 2024
Cassation partielle
Mme CHAMPALAUNE, président
Arrêt n° 700 F-D
Pourvoi n° S 22-21.332
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, DU 11 DÉCEMBRE 2024
1°/ M. [U] [W], domicilié [Adresse 3],
2°/ Mme [D] [W], domiciliée [Adresse 2],
ont formé le pourvoi n° S 22-21.332 contre l'arrêt rendu le 9 juin 2022 par la cour d'appel de Papeete (chambre civile), dans le litige les opposant à Mme [M] [B], domiciliée [Adresse 1], défenderesse à la cassation.
Les demandeurs invoquent, à l'appui de leur pourvoi, un moyen unique de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Dard, conseiller, les observations de la SAS Buk Lament-Robillot, avocat de M. [U] [W] et de Mme [D] [W], de la SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol, avocat de Mme [B], après débats en l'audience publique du 22 octobre 2024 où étaient présentes Mme Champalaune, président, Mme Dard, conseiller rapporteur, Mme Auroy, conseiller doyen, et Mme Layemar, greffier de chambre,
la première chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Papeete, 9 juin 2022), [S] [V] est décédée le 20 janvier 2008, en laissant pour lui succéder, [H] [W], son époux, lui-même décédé le 19 juin 2010 et avec lequel elle avait adopté le régime de la communauté universelle, ainsi que leurs deux enfants, Mme [D] [W] et M. [U] [W] (les consorts [W]).
2. Invoquant la création par [S] [V] d'une fondation de droit suisse à laquelle elle avait apporté les actifs financiers familiaux et dont elle avait désigné pour bénéficiaire Mme [B], les consorts [W] ont assigné celle-ci en paiement d'une somme correspondant au montant des fonds détenus par la fondation au jour du décès de leur mère.
Examen du moyen
Sur le moyen, pris en ses trois premières branches
3. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur le moyen, pris en sa deuxième branche, qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation et sur le moyen, pris en ses première et troisième branches, qui sont irrecevables.
Mais sur le moyen, pris en sa quatrième branche
Enoncé du moyen
4. Les consorts [W] font grief à l'arrêt de déclarer leur action irrecevable, comme prescrite, alors « que le juge a l'obligation de ne pas dénaturer l'écrit qui lui est soumis ; qu'en considérant que le courrier daté du 9 octobre 2012 adressé par M. [U] [W] au responsable de la banque Paribas, traduit la connaissance par lui d'une atteinte portée à la réserve" afin de fixer le point de départ de l'action en réduction pour la déclarer prescrite, alors que le courrier n'avait pour objet que de demander au banquier de l'aide afin d'obtenir des informations sur la fondation, la cour d'appel a dénaturé les termes clairs et précis de cet écrit. »
Réponse de la Cour
Vu l'obligation pour le juge de ne pas dénaturer l'écrit qui lui est soumis :
5. Pour déclarer irrecevable l'action des consorts [W], l'arrêt, après avoir retenu que celle-ci peut s'analyser en une action en réduction d'une donation indirecte dont le délai de prescription est fixé à cinq ans à compter de l'ouverture de la succession ou à deux ans à compter du jour où les héritiers ont eu connaissance de l'atteinte portée à leur réserve, sans que ce délai ne puisse jamais excéder dix ans à compter du décès, en déduit que l'action est prescrite, dès lors que les consorts [W] n'ont attrait en justice Mme [B] que le 1er juin 2016, après une mise en demeure du 9 mai 2016, soit plus de cinq ans après le décès de [H] [W], auquel a été dévolue la communauté universelle à la suite du prédécès de [S] [V], et plus de deux ans après une lettre du 9 octobre 2012 de M. [U] [W] à un responsable de la banque gestionnaire du compte de la fondation, pour lui demander de faciliter ses démarches auprès de l'établissement genevois de cette banque, ce qui traduit la connaissance par lui d'une atteinte portée à la réserve.
6. En statuant ainsi, alors qu'il ressortait seulement des termes clairs et précis de cet écrit que M. [W] cherchait de l'aide pour obtenir des informations sur la fondation qui avaient été refusées aux héritiers et au notaire en raison du secret bancaire, la cour d'appel, qui en a dénaturé le sens et la portée, a violé le principe susvisé.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur le dernier grief, la Cour :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il déclare irrecevable, pour être prescrite, l'action introduite par M. [U] [W] et Mme [D] [W] à l'encontre de Mme [B] et en ce qu'il statue sur les dépens et l'application de l'article 407 du code de procédure civile de la Polynésie française, l'arrêt rendu le 9 juin 2022, entre les parties, par la cour d'appel de Papeete ;
Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Papeete autrement composée ;
Condamne Mme [B] aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par Mme [B] et la condamne à payer à M. et Mme [W] la somme de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du onze décembre deux mille vingt-quatre, et signé par lui, le conseiller rapporteur et Mme Vignes, greffier de chambre, qui a assisté au prononcé de l'arrêt.
Le conseiller rapporteur le president
Le greffier de chambre