LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
SOC.
CZ
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 11 décembre 2024
Cassation partielle sans renvoi
Mme MARIETTE, conseiller doyen
faisant fonction de président
Arrêt n° 1270 F-D
Pourvoi n° P 22-18.362
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 11 DÉCEMBRE 2024
Mme [K] [F], domiciliée [Adresse 1], a formé le pourvoi n° P 22-18.362 contre l'arrêt rendu le 29 mars 2022 par la cour d'appel de Besançon (chambre sociale), dans le litige l'opposant à la société Sofigec, société à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 2], défenderesse à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, deux moyens de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Carillon, conseiller référendaire, les observations de la SARL Cabinet Rousseau et Tapie, avocat de Mme [F], de la SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol, avocat de la société Sofigec, après débats en l'audience publique du 13 novembre 2024 où étaient présents Mme Mariette, conseiller doyen faisant fonction de président, M. Carillon, conseiller référendaire rapporteur, Mme Douxami, conseiller, et Mme Jouanneau, greffier de chambre,
la chambre sociale de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Besançon, 29 mars 2022), Mme [F] a été engagée en qualité de juriste le 29 juin 1987 par la société Sofigec, qui exerce une activité d'expertise comptable. Au dernier état de la relation contractuelle, elle occupait, à temps partiel, les fonctions de responsable du service juridique.
2. Le 1er juillet 2015, la salariée a créé une entreprise individuelle dénommée Jurisa dont l'activité était le « conseil en stratégie d'entreprise, prestations de services diverses ».
3. Le 18 janvier 2018, la salariée a été convoquée à un entretien préalable en vue d'une éventuelle mesure de licenciement et mise à pied.
4. Le 22 janvier 2018, elle a envoyé à son employeur un arrêt-maladie pour une période du 22 janvier au 4 février 2018 puis, le 26 janvier 2018, elle a déclaré un accident du travail auprès de la caisse primaire d'assurance maladie.
5. Licenciée pour faute grave le 19 février 2018, la salariée a saisi la juridiction prud'homale pour faire déclarer son licenciement nul et subsidiairement dépourvu de cause réelle et sérieuse, et obtenir les indemnités correspondantes.
Examen des moyens
Sur le premier moyen, pris en ses première à septième branches
6. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces griefs qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Sur le premier moyen, pris en ses huitième et neuvième branches
Enoncé du moyen
7. La salariée fait grief à l'arrêt de juger que l'employeur n'avait pas épuisé son pouvoir disciplinaire à son égard, que le licenciement n'était pas intervenu pendant la période de suspension liée à un accident du travail, que la demande tendant à dire son licenciement nul ou subsidiairement sans cause réelle et sérieuse était infondée et, en conséquence, de la débouter de ses demandes en paiement de dommages-intérêts pour licenciement nul ou subsidiairement sans cause réelle et sérieuse, d'indemnité compensatrice de préavis outre les congés payés afférents, d'indemnité légale de licenciement et de rappel de salaire pour la période de mise à pied conservatoire outre les congés payés afférents, alors :
« 8°/ qu'en tout état de cause encore, ne constitue pas un manquement à l'obligation de loyauté le fait, pour un salarié à temps partiel, d'exercer une autre activité professionnelle dans le même secteur d'activité que son employeur lequel ne saurait interdire au salarié à temps partiel de travailler dans le domaine de sa compétence et d'exercer son métier ; que pour caractériser l'existence d'une faute grave justifiant le licenciement, la cour d'appel a retenu que si la salariée n'avait ni les diplômes ni les compétences pour exercer une activité d'expert-comptable, il résultait cependant de l'intitulé même de l'objet social de son entreprise et des factures qu'elle avait produit aux débats que l'activité développée sous le nom commercial Jurisa empiétait de manière importante sur les activités d'un cabinet d'expertise-comptable, que ce dernier, au-delà de la tenue, de la surveillance et de l'arrêt de la comptabilité des entreprises et des associations, conseillait et assistait les dirigeants dans leurs choix stratégiques et dans la mise en oeuvre opérationnelle, et tendait, par son approche généraliste, à simplifier la complexité administrative en matière juridique, fiscale, sociale, comptable et patrimoniale, activité complémentaire n'ayant aucun caractère accessoire, que la salariée avait manifestement rempli de telles missions avec la société Danteuil en janvier 2016, la société Gogny Trimaille en octobre 2016 et la société Tuaillon Bildstein en janvier 2017 et que ce faisant, quand bien même elle aurait eu une clientèle réduite et n'aurait retiré que des revenus modestes de cette activité, la salariée avait manqué à son obligation de loyauté de manière importante ; qu'en statuant ainsi, cependant que travaillant à temps partiel, la salariée était en droit, sans manquer à l'obligation de loyauté, d'exercer une autre activité professionnelle dans le même secteur d'activité que son employeur, lequel ne pouvait lui interdire de travailler dans le domaine de sa compétence et d'exercer son métier, la cour d'appel a violé les articles L. 1234-1, L. 1234-5 et L. 1234-9 du code du travail, dans sa rédaction issue de l'ordonnance n° 2017-1387 du 22 septembre 2017 ;
9°/ que la faute grave privative du préavis s'apprécie in concreto ; qu'en considérant que le comportement de la salariée caractérisait une faute grave, sans prendre en considération la grande ancienneté, l'absence d'antécédent disciplinaire, la qualité de travail et l'attitude de la salariée pendant toute la durée de la collaboration, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 1234-1, L. 1234-5 et L. 1234-9 du code du travail, dans sa rédaction issue de l'ordonnance n° 2017-1387 du 22 septembre 2017. »
Réponse de la Cour
8. La cour d'appel a, d'abord, constaté que la salariée avait développé à compter du 1er juillet 2015 une activité de conseil en stratégie d'entreprise-prestations de service diverses sous le statut d'auto-entrepreneur.
9. Ayant ensuite relevé que, si la salariée n'était pas tenue d'une obligation d'exclusivité envers son employeur et pouvait de ce fait compléter ses revenus professionnels en développant une activité complémentaire compte-tenu de son contrat à temps partiel, elle ne pouvait cependant pas se livrer à une activité concurrente, la cour d'appel a retenu que l'activité développée sous le nom commercial Jurisa empiétait de manière importante sur les activités d'un cabinet d'expertise-comptable en ce qu'elle accomplissait des missions relevant du cabinet d'expertise comptable telles que conseiller et assister les dirigeants dans leurs choix stratégiques et dans la mise en oeuvre opérationnelle et simplifier la complexité administrative en matière juridique, fiscale, sociale, comptable et patrimoniale, activité complémentaire n'ayant aucun caractère accessoire.
10. Elle en a déduit que, même si la salariée avait eu une clientèle réduite et n'avait retiré que des revenus modestes de cette activité, elle avait manqué à son obligation de loyauté de manière importante.
11. De ces énonciations, constatations et appréciations, la cour d'appel a pu déduire, que nonobstant l'ancienneté de l'intéressée et l'absence de sanction antérieure, le comportement de la salariée rendait impossible son maintien dans l'entreprise pendant la durée du préavis et constituait une faute grave.
12. Le moyen n'est donc pas fondé.
Mais sur le second moyen
Enoncé du moyen
13. La salariée fait grief à l'arrêt de juger que la procédure de licenciement a été respectée et, en conséquence, de la débouter de sa demande en paiement d'une indemnité pour non-respect de la procédure de licenciement, alors « que l'entretien préalable ne peut avoir lieu moins de cinq jours ouvrables après la présentation de la lettre recommandée ou la remise en main propre de la lettre de convocation ; que pour débouter la salariée de sa demande en paiement d'une indemnité pour non-respect de la procédure de licenciement, la cour d'appel a retenu que si la salariée soulevait à juste titre ne pas avoir été destinataire de la convocation à l'entretien préalable au licenciement, l'avis de passage issu de la liasse du recommandé étant manifestement demeuré attaché sur le courrier dans l'attente de sa distribution, une telle erreur n'était cependant pas imputable à l'employeur et que ce dernier ne pouvait pas par ailleurs se convaincre de la défaillance de la Poste, n'ayant récupéré son pli que postérieurement à l'entretien préalable fixé au 29 janvier 2018, avec la mention au demeurant sur son recto Pli avisé et non réclamé" ; qu'en statuant ainsi, cependant que le délai de cinq jours ouvrables devant séparer la présentation de la lettre de convocation et l'entretien préalable au licenciement n'avait pas été respecté par l'employeur, la cour d'appel a violé l'article L. 1232-2 du code du travail. »
Réponse de la Cour
Vu l'article L. 1232-2 du code du travail :
14. Selon ce texte, l'entretien préalable ne peut avoir lieu moins de cinq jours ouvrables après la présentation de la lettre recommandée ou la remise en main propre de la lettre de convocation.
15. Pour dire que la procédure de licenciement avait été respectée et débouter la salariée de sa demande de dommages-intérêts afférente, l'arrêt constate que l'employeur a adressé à la salariée sa convocation à l'entretien préalable de licenciement par lettre recommandée avec avis de réception du 18 janvier 2018.
16. Il retient que, si la salariée soulève à juste titre ne pas en avoir été destinataire, l'avis de passage issu de la liasse du recommandé étant manifestement demeuré attaché sur le courrier dans l'attente de sa distribution, une telle erreur n'est cependant pas imputable à l'employeur. Il ajoute que ce dernier ne pouvait pas, par ailleurs, se convaincre de la défaillance de la Poste, n'ayant récupéré son pli que postérieurement à l'entretien préalable fixé au 29 janvier 2018, avec la mention sur son recto : « Pli avisé et non réclamé ».
17. Il en déduit que l'employeur a rempli les obligations posées par l'article susvisé en adressant la convocation dans les délais et les formes impartis et à l'adresse exacte de la salariée, de telle sorte qu'aucune irrégularité ne saurait lui être opposée.
18. En statuant ainsi, alors qu'il résultait de ses constatations que la lettre recommandée de convocation à l'entretien préalable n'avait pas été présentée à la salariée, la cour d'appel a violé le texte susvisé.
Portée et conséquences de la cassation
19. Après avis donné aux parties, conformément à l'article 1015 du code de procédure civile, il est fait application des articles L. 411-3, alinéa 2, du code de l'organisation judiciaire et 627 du code de procédure civile.
20. L'intérêt d'une bonne administration de la justice justifie, en effet, que la Cour de cassation statue au fond.
21. Selon l'article L. 1235-2, dernier alinéa, lorsqu'une irrégularité a été commise au cours de la procédure, notamment si le licenciement d'un salarié intervient sans que la procédure requise à l'article L. 1232-2, ait été observée, mais pour une cause réelle et sérieuse, le juge accorde au salarié, à la charge de l'employeur, une indemnité qui ne peut être supérieure à un mois de salaire.
22. Il convient en conséquence d'allouer à la salariée qui n'a pas été avisée de la date de l'entretien préalable dans le délai prévu par l'article L. 1235-2 du code du travail, la somme de 3 887,16 euros correspondant à un mois de salaire.
23. En application de l'article 700 du code de procédure civile, la société Sofigec qui succombe en appel, sera condamnée aux dépens et déboutée de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il dit que la procédure de licenciement a été respectée et déboute Mme [F] de sa demande de dommages-intérêts afférente et en ce qu'il statue sur les dépens et l'application de l'article 700 du code de procédure civile, l'arrêt rendu le 29 mars 2022, entre les parties, par la cour d'appel de Besançon ;
Dit n'y avoir lieu à renvoi de ces chefs ;
Condamne la société Sofigec à payer à Mme [F] la somme de 3 887,16 euros pour irrégularité de procédure ;
Déboute la société Sofigec de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile, pour les frais irrépétibles exposés en appel ;
Condamne la société Sofigec aux dépens, en ce compris ceux exposés devant la cour d'appel ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société Sofigec et la condamne à payer à Mme [F] la somme de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du onze décembre deux mille vingt-quatre.