LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
SOC.
ZB1
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 11 décembre 2024
Cassation partielle
Mme MARIETTE, conseiller doyen
faisant fonction de président
Arrêt n° 1271 F-D
Pourvoi n° N 22-20.109
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 11 DÉCEMBRE 2024
M. [Y] [E], domicilié [Adresse 4], [Localité 1], a formé le pourvoi n° N 22-20.109 contre l'arrêt rendu le 10 juin 2022 par la cour d'appel d'Aix-en-Provence (chambre 4-6), dans le litige l'opposant à la société d'aménagement et hôtelière de Bendor, société par action simplifiée, dont le siège est [Adresse 3], [Localité 2], défenderesse à la cassation.
Le demandeur invoque, à l'appui de son pourvoi, deux moyens de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Seguy, conseiller, les observations de la SCP Bauer-Violas, Feschotte-Desbois et Sebagh, avocat de M. [E], de la SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol, avocat de la société d'aménagement et hôtelière de Bendor, après débats en l'audience publique du 13 novembre 2024 où étaient présents Mme Mariette, conseiller doyen faisant fonction de président, M. Seguy, conseiller rapporteur, Mme Panetta, conseiller, et Mme Pontonnier, greffier de chambre,
la chambre sociale de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Aix-en-Provence, 10 juin 2022), M. [E] a été engagé en qualité de responsable commercial, le 1er septembre 2015, par la société d'aménagement et hôtelière de Bendor (la société). Il a été nommé directeur commercial à compter du 1er mars 2016.
2. Le 24 août 2016, il a été convoqué à un entretien préalable à un éventuel licenciement, fixé au 7 septembre 2016, auquel il ne s'est pas rendu en raison de son arrêt de travail pour maladie depuis le 12 juillet 2016.
3. Le 24 novembre 2016, il a été convoqué à un nouvel entretien préalable à un éventuel licenciement, fixé au 7 décembre 2016 et a été mis à pied à titre conservatoire.
4. Licencié pour faute grave le 22 décembre 2016, il a saisi la juridiction prud'homale de demandes au titre de l'exécution et de la rupture de son contrat de travail.
Examen des moyens
Sur le premier moyen, pris en ses troisième à sixième branches
5. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces griefs qui, pris en ses quatrième à sixième branches, ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation et qui, pris en sa troisième branche, est irrecevable.
Sur le premier moyen, pris en ses première et deuxième branches
Enoncé du moyen
6. Le salarié fait grief à l'arrêt de juger que son licenciement prononcé pour faute grave est fondé et de le débouter de l'ensemble de ses demandes fondées sur un licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse, alors :
« 1°/ que l'envoi par l'employeur d'une nouvelle convocation à un entretien préalable interrompt de nouveau le délai de prescription de deux mois et fait partir un nouveau délai, à la condition que la prescription ne soit pas acquise à la date de la nouvelle convocation, c'est à dire que celle-ci soit adressée dans le délai de deux mois suivant la première convocation ; qu'après avoir reproduit ce principe, la cour d'appel a relevé que la première convocation à entretien préalable était intervenue à la date du 24 août 2016 et que la seconde convocation avait été adressée le 24 novembre 2016 ; qu'en estimant que les faits imputés au salarié n'étaient pas prescrits lors de sa convocation à entretien préalable à licenciement par le courrier du 24 novembre 2016, quand elle avait constaté que la seconde convocation n'avait pas été adressée dans le délai de deux mois à compter de la première convocation, la cour d'appel a violé l'article L. 1332-4 du code du travail ;
2°/ que le délai de prescription ne court pas du jour où les faits ont été commis, mais du jour où l'employeur a eu une connaissance exacte et complète des faits qu'il impute à faute au salarié ; qu'en affirmant, pour dire que les faits imputés au salarié n'étaient pas prescrits lors de sa convocation à entretien préalable à licenciement par le courrier du 24 novembre 2016, que, lors de l'engagement de la procédure de licenciement par la première convocation du 24 août 2016, la société n'avait connaissance que de faits concernant M. [B] et Mme [H] et que le surplus des faits reprochés au salarié avait été porté à la connaissance de l'employeur après le report de la convocation du salarié, cependant que ces faits ne participaient pas de faits distincts de ceux évoqués lors de la première procédure de licenciement, de sorte que l'employeur avait été pleinement informé des faits reprochés au moment de l'engagement de la première procédure de licenciement, la cour d'appel a violé l'article L. 1332-4 du code du travail. »
Réponse de la Cour
7. Il résulte de l'article L. 1332-4 du code du travail, qu'aucun fait fautif ne peut donner lieu à lui seul à l'engagement de poursuites disciplinaires au-delà d'un délai de deux mois à compter du jour où l'employeur en a eu connaissance.
8. La cour d'appel, après avoir retenu que les faits dénoncés par Mmes [B] et [T] étaient prescrits lors de la convocation, le 24 novembre 2016, du salarié à un nouvel entretien préalable, a constaté, d'une part, que, par courrier du 15 novembre 2016 reçu le 21 novembre 2016, l'époux d'une autre salariée, Mme [H], avait dénoncé auprès de la société le management, qu'il qualifiait d'inadapté, mis en oeuvre par le salarié à l'égard de son épouse, d'autre part, que, par courrier du 23 novembre 2016, une autre salariée, Mme [G], avait fait part à la société qu'elle appréhendait le retour de son directeur en signalant les problèmes rencontrés avec lui depuis septembre 2015, consécutifs à ses remarques désobligeantes et déplacées sur ses capacités de travail, ses réflexions dégradantes, ses comportements lunatiques, ses pressions ainsi que son comportement agressif lors d'un coaching en équipe.
9. Elle a également relevé que par une attestation rédigée le 23 novembre 2016, Mme [P], coach professionnel, dénonçait ce qu'elle avait constaté au cours de l'automne 2015, à savoir le comportement relationnel toxique et infantilisant exercé par le directeur commercial à l'encontre des collaboratrices de son équipe ainsi que ses ordres contradictoires et rapportait le stress et les craintes que ces salariées avaient exprimées à la perspective du retour de leur supérieur hiérarchique.
10. De ces constatations, dont il ressortait que la société n'avait eu connaissance de ces nouveaux faits imputés au salarié que les 21 et 23 novembre 2016, elle a exactement déduit que ceux-ci n'étaient pas prescrits lors de l'engagement des poursuites disciplinaires, le 24 novembre 2016.
11. Le moyen n'est donc pas fondé.
Mais sur le second moyen
Enoncé du moyen
12. Le salarié fait grief à l'arrêt de le débouter de sa demande en paiement d'une prime sur objectifs, alors « qu'il appartient à l'employeur de communiquer les éléments nécessaires au calcul de la part de rémunération variable du salarié et, lorsqu'il se prétend libéré du paiement de cette part variable, de rapporter la preuve du fait qui a éteint son obligation ; qu'en énonçant, pour débouter le salarié de sa demande en paiement d'une prime sur objectifs, qu'il ne versait aux débats aucun document justifiant des objectifs qui auraient été dûment réalisés sur toute l'année et du solde qui lui reviendrait, le salarié exposant n'avoir perçu que la somme de 1 050 euros au titre du premier trimestre 2016, la cour d'appel a inversé la charge de la preuve et violé l'article 1315, devenu l'article 1353 du code civil. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 1315 du code civil, devenu 1353 du même code :
13. Aux termes de ce texte, celui qui se prétend libéré doit justifier le paiement ou le fait qui a produit l'extinction de son obligation.
14. Pour débouter le salarié de sa demande en paiement d'un rappel de prime sur objectifs, l'arrêt, après avoir constaté qu'il produisait un avenant au contrat de travail du 1er mars 2016 faisant état d'une prime annuelle sur objectifs pouvant atteindre 14 000 euros brut et un document intitulé « plan de rémunération variable SAHB » du 8 avril 2016 faisant état d'une prime de 14 000 euros pour 100 % des objectifs, retient qu'il a été en arrêt de travail à compter du 12 juillet 2016 et n'a versé aux débats aucun document justifiant des objectifs qui auraient été réalisés sur toute l'année 2016 et du solde qui lui reviendrait, en plus de la somme de 1 050 euros perçue pour le premier trimestre 2016, alors qu'il n'a pas travaillé sur la totalité de l'année 2016.
15. En statuant ainsi, alors qu'il appartient à l'employeur de communiquer les éléments nécessaires au calcul de la part de rémunération variable d'un salarié et, lorsqu'il se prétend libéré du paiement de cette part variable, de rapporter la preuve du fait qui a éteint son obligation, la cour d'appel, qui a inversé la charge de la preuve, a violé le texte susvisé.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il déboute M. [E] de sa demande en paiement au titre de la prime sur objectifs pour l'année 2016 et en ce qu'il le condamne à payer à la société d'aménagement et hôtelière de Bendor la somme de 800 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens, l'arrêt rendu le 10 juin 2022, entre les parties, par la cour d'appel d'Aix-en-Provence ;
Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Aix-en-Provence autrement composée ;
Condamne la société d'aménagement et hôtelière de Bendor aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société d'aménagement et hôtelière de Bendor et la condamne à payer à M. [E] la somme de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du onze décembre deux mille vingt-quatre.