LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
SOC.
CZ
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 11 décembre 2024
Rejet
M. HUGLO, conseiller doyen
faisant fonction de président
Arrêt n° 1296 F-D
Pourvoi n° V 22-22.209
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 11 DÉCEMBRE 2024
La société Orano démantèlement, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 1], anciennement dénommée Orano cycle, venant aux droits de la société Eurodif production, a formé le pourvoi n° V 22-22.209 contre l'arrêt rendu le 6 septembre 2022 par la cour d'appel de Grenoble (chambre sociale, section A), dans le litige l'opposant à M. [Z] [D], domicilié [Adresse 2], défendeur à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, deux moyens de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Ollivier, conseiller référendaire, les observations de la SCP Célice, Texidor, Périer, avocat de la société Orano démantèlement, de Me Ridoux, avocat de M. [D], après débats en l'audience publique du 14 novembre 2024 où étaient présents M. Huglo, conseiller doyen faisant fonction de président, Mme Ollivier, conseiller référendaire rapporteur, M. Rinuy, conseiller, et Mme Jouanneau, greffier de chambre,
la chambre sociale de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Grenoble, 6 septembre 2022), M. [D] a été engagé par la société Eurodif production sur le site de Tricastin en contrat à durée indéterminée à compter du 4 octobre 1982 en qualité de rédacteur correspondancier. Au dernier état de la relation contractuelle, il occupait le poste de technicien principal.
2. La société Orano démantèlement vient aux droits de la société Eurodif production.
3. En 2013, le salarié a été élu membre du comité d'entreprise et du comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail. Il était également titulaire d'un mandat de représentant syndical. Il a bénéficié à ce titre d'heures de délégation.
4. Le 8 décembre 2014, il a sollicité un départ à la retraite anticipée pour carrière longue. Le 26 mai 2015, l'employeur l'a informé de son accord sur la conversion en jours de son indemnité de départ à la retraite.
5. Entre le 1er janvier 2015 et le 31 janvier 2018, le salarié a utilisé le dispositif du compte épargne temps. Le 1er février 2018, il a bénéficié de la conversion de son indemnité de départ à la retraite en temps, en application de la convention d'entreprise d'Eurodif production du 16 mars 1982 et de son avenant du mois de mai 2016.
6. Le salarié a fait liquider ses droits à la retraite le 1er février 2019.
7. Le 29 mai 2019, il a saisi la juridiction prud'homale aux fins de régularisation du paiement de ses heures de délégation et de son indemnité de départ à la retraite.
Examen des moyens
Sur le premier moyen
8. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Sur le second moyen
Enoncé du moyen
9. L'employeur fait grief à l'arrêt de dire que le salarié fait partie de l'effectif exerçant des mandats d'élu syndical et qu'il est éligible à l'intégralité de la rémunération de ces heures de délégation pendant la période de transformation de son indemnité de départ à la retraite en temps et de le condamner à payer au salarié une certaine somme au titre des heures de délégation effectuée entre le 1er février 2018 et le 31 décembre 2018, alors :
« 1°/ que si l'exercice de fonctions de représentant du personnel ou de représentant syndical ne doit entraîner aucune perte de rémunération, le salarié ne peut prétendre, au titre des heures de délégation qu'il a accomplies, au versement d'une rémunération supérieure à celle qu'il aurait perçue s'il avait travaillé pendant ces temps de délégation ; que le représentant du personnel ne peut cumuler une indemnité de congés payés avec le paiement d'un salaire au titre des heures de délégation effectuées pendant la période de congés payés afférente, ce qui aboutirait à leur paiement double ; qu'en l'espèce, conformément aux dispositions des articles 13.2 et 14.1 de l'accord relatif au contrat de génération groupe Areva, M. [D] a converti son indemnité de départ à la retraite en temps de repos entre le 1er février 2018 et le 31 janvier 2019 ; que durant cette période de repos rémunérée à temps plein l'intéressé ne pouvait prétendre au paiement cumulé d'heures de délégation, ce qui serait revenu à payer deux fois lesdites heures ; qu'en décidant au contraire que, pendant la période de transformation de son indemnité de départ à la retraite en temps de repos, le salarié avait droit, en plus du maintien de son salaire à taux plein, au paiement cumulé des heures de délégation, faute de quoi selon l'arrêt il aurait été privé de son droit au paiement de ses heures de délégation dont il aurait été réglées si le contrat de travail n'avait pas été suspendu", cependant que ces heures de délégation étaient déjà indemnisées, la cour d'appel a violé les articles 13.2 et 14.1 de l'accord relatif au contrat de génération du groupe Areva, ensemble les articles L. 2142-1-3, L. 2143-17, L. 2315-10 et L. 2315-13 du code du travail ;
2°/ que la société exposante a fait valoir qu'en admettant par extraordinaire que le salarié puisse prétendre au paiement de rappels d'heures de délégation celles-ci ne pouvaient être majorées comme des heures supplémentaires, à défaut d'accomplissement d'un travail au-delà de la durée légale de 35 heures pendant la période en cause ; qu'en faisant droit intégralement à la demande du salarié au titre des heures de délégation effectuées entre le 1er février 2018 et le 31 décembre 2018 dont elle a fixé le montant sur la base d'heures supplémentaires ouvrant droit à majoration de salaire, et en lui accordant en conséquence un rappel d'heures supplémentaires de 13 245,45 euros, la cour d'appel a violé les articles L. 3121-27 et L. 3171-4 du code du travail ;
3°/ que la société exposante faisait valoir qu'en admettant par extraordinaire que le salarié puisse prétendre au paiement de rappels d'heures de délégation celles-ci ne pouvaient être majorées comme des heures supplémentaires, à défaut d'accomplissement d'un travail au-delà de la durée légale de 35 heures pendant la période en cause, de sorte que le rappel de salaire réclamé ne pouvait à tout le moins dépasser la somme de 10 233 euros ; qu'en faisant droit intégralement à la demande du salarié et en lui accordant ainsi la somme de 13 245,45 euros au titre des heures de délégation effectuées entre le 1er février 2018 et le 31 décembre 2018, sans répondre à ce moyen déterminant, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile. »
Réponse de la Cour
10. En application des articles L. 2143-17, L. 2315-3, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2017-1386 du 22 septembre 2017, et L. 4614-6, alors applicable, du code du travail, l'utilisation des heures de délégation ne doit entraîner aucune perte de salaire pour le représentant du personnel ou le délégué syndical et lorsque les heures de délégation sont prises en dehors du temps de travail, en raison des nécessités du mandat, elles doivent être payées en plus des heures de travail.
11. D'abord, l'arrêt constate que le salarié a décidé de transformer sa prime de départ à la retraite en temps à compter du mois de février 2018, comme le lui permettaient les dispositions de l'article 13.2 de l'accord relatif au contrat de génération du groupe Areva en France, que l'employeur a confirmé son accord sur cette conversion en jours de son indemnité de départ à la retraite pour la période du 1er février 2018 au 31 janvier 2019 et l'application de l'article 14.2 de l'accord relatif au contrat de génération du groupe Areva permettant au salarié une réduction de son horaire de travail dans les trois derniers mois de son activité avec maintien de la rémunération mensuelle brute, concluant « A ce titre, vous resterez aux effectifs d'Eurodif pendant la durée de votre congé ».
12. Ensuite l'arrêt retient que le salarié, qui faisait toujours partie des effectifs de la société, conservait ses droits s'agissant de ses heures de délégation au titre de ses mandats syndicaux, qu'il n'était pas contesté par l'employeur que le salarié avait effectué des heures de délégation qui ne lui avaient pas été rémunérées au cours de la période litigieuse et que le seul fait pour le salarié d'avoir bénéficié de la transformation de sa prime de départ à la retraite en jours ne pouvait avoir pour effet de le priver de son droit au paiement de ses heures de délégation.
13. La cour d'appel, qui a ainsi fait ressortir que le salarié n'était pas en congés payés pendant cette période, en a exactement déduit, par une décision motivée, qu'il avait droit au paiement d'un rappel d'heures supplémentaires au titre des heures de délégation effectuées entre le 1er février 2018 et le 31 décembre 2018.
14. Le moyen n'est, dès lors, pas fondé.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne la société Orano démantèlement aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société Orano démantèlement et la condamne à payer à M. [D] la somme de 3 000 euros ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du onze décembre deux mille vingt-quatre.