LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
CIV. 3
JL
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 12 décembre 2024
Cassation partielle
Mme TEILLER, président
Arrêt n° 674 F-D
Pourvoi n° N 23-19.032
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 12 DÉCEMBRE 2024
1°/ M. [T] [H],
2°/ Mme [I] [F], épouse [H],
tous deux domiciliés [Adresse 4],
3°/ la Société agricole de [Adresse 5], société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 2],
ont formé le pourvoi n° N 23-19.032 contre l'arrêt rendu le 28 juin 2023 par la cour d'appel de Bastia (chambre civile, section 1), dans le litige les opposant à la société coopérative agricole La Cave d'[Localité 1], dont le siège est [Adresse 3], anciennement dénommée Union des Vignerons de l'Ile de Beauté, défenderesse à la cassation.
Les demandeurs invoquent, à l'appui de leur pourvoi, six moyens de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Bosse-Platière, conseiller, les observations de la SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol, avocat de M. et Mme [H] et de la Société agricole de [Adresse 5], de la SCP Spinosi, avocat de la société coopérative agricole La Cave d'[Localité 1], après débats en l'audience publique du 13 novembre 2024 où étaient présents Mme Teiller, président, M. Bosse-Platière, conseiller rapporteur, Mme Proust, conseiller doyen, et Mme Letourneur, greffier de chambre,
la troisième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Bastia, 28 juin 2023), le 1er juillet 2009, M. et Mme [H] puis, le 1er août 2011, la Société agricole de [Adresse 5] (la SATV), dont M. [H] est le président, sont devenus coopérateurs de la société coopérative agricole Union des Vignerons de l'Ile de Beauté (l'UVIB).
2. Par convention du 15 mai 2011 et un avenant du 5 octobre 2012, la SATV s'est engagée, pour une durée de cinq ans tacitement reconductible, à vendre à l'UVIB au moins 90 % de ses récoltes annuelles à un certain prix et l'UVIB à conditionner et à commercialiser les vins du domaine [Adresse 5].
3. Imputant à M. et Mme [H] et à la SATV différentes inexécutions contractuelles, l'UVIB, désormais dénommée La Cave d'[Localité 1], les a assignés le 8 août 2017 aux fins de voir prononcer la nullité des actes des 15 mai 2011 et 5 octobre 2012 et d'obtenir leur condamnation à lui payer diverses sommes.
4. En cause d'appel, M. et Mme [H] et la SATV ont soulevé une fin de non-recevoir, tirée de la prescription, de l'action en nullité de la convention et de son avenant.
Examen des moyens
Sur les quatrième à sixième moyens
5. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces moyens qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner une cassation.
Mais sur le premier moyen, pris en sa première branche
Enoncé du moyen
6. M. et Mme [H] et la SATV font grief à l'arrêt de relever l'irrecevabilité des demandes relatives à la prescription de l'action en nullité, alors « qu'à
peine d'irrecevabilité, relevée d'office, les parties doivent présenter, dès les conclusions mentionnées aux articles 905-2 et 908 à 910, l'ensemble de leurs prétentions sur le fond ; que les fins de non-recevoir, telle la prescription, ne sont pas des prétentions sur le fond ; qu'en retenant qu'en appel, la prescription devant être opposée dès les premières écritures, la « demande tendant à voir déclarer l'action en nullité prescrite », présentée par M. et Mme [H] et la société SATV à partir de leurs conclusions n° 4 du 3 mai 2021, était irrecevable, la cour d'appel a violé les articles 122 et 910-4 du code de procédure civile. »
Réponse de la Cour
Vu les articles 122, 123, et 910-4, dans sa rédaction résultant du décret n° 2019-1333 du 11 décembre 2019, du code de procédure civile :
7. Aux termes du premier de ces textes, constitue une fin de non-recevoir tout moyen qui tend à faire déclarer l'adversaire irrecevable en sa demande, sans examen au fond, pour défaut de droit d'agir, tel le défaut de qualité, le défaut d'intérêt, la prescription, le délai préfix, la chose jugée.
8. Selon le troisième, à peine d'irrecevabilité, relevée d'office, les parties doivent présenter, dès les conclusions mentionnées aux articles 905-2 et 908 à 910 du même code, l'ensemble de leurs prétentions sur le fond.
9. Aux termes du deuxième, les fins de non-recevoir peuvent être proposées en tout état de cause, à moins qu'il en soit disposé autrement et sauf la possibilité pour le juge de condamner à des dommages-intérêts ceux qui se seraient abstenus, dans une intention dilatoire, de les soulever plus tôt.
10. Il est jugé que les fins de non-recevoir, qui tendent à faire déclarer l'adversaire irrecevable en sa demande, sans examen au fond, ne sont pas des prétentions sur le fond et que, dès lors, elles ne sont pas soumises à l'obligation de concentration des prétentions sur le fond dans les premières écritures, prévue à l'article 910-4 précité (2e Civ., 4 juillet 2024, pourvoi n° 21-20.694, publié).
11. Pour déclarer irrecevable la fin de non-recevoir tirée de la prescription, l'arrêt retient que, si celle-ci peut être opposée pour la première fois devant la cour d'appel, le principe de concentration des prétentions résultant de l'article 910-4 du code de procédure civile impose qu'elle le soit dès les premières écritures et que M. et Mme [H] et la SATV n'ont présenté cette fin de non-recevoir que dans leurs conclusions d'appel n° 4.
12. En statuant ainsi, la cour d'appel a violé les textes susvisés.
Portée et conséquences de la cassation
13. En application de l'article 624 du code de procédure civile, la cassation du chef de dispositif de l'arrêt déclarant irrecevable la fin de non-recevoir tirée de la prescription de l'action en nullité entraîne la cassation des chefs de dispositif de l'arrêt prononçant la nullité de la convention du 15 mai 2011 et de l'avenant du 5 octobre 2012 et condamnant la SATV à payer à l'UVIB la somme de 249 799,20 euros, majorée des intérêts de retard à compter du 10 mai 2013 qui s'y rattache par un lien de dépendance nécessaire.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il déclare irrecevables les demandes relatives à la prescription de l'action en nullité des conventions du 15 mai 2011 et 5 octobre 2012 et en ce qu'il condamne la Société agricole de [Adresse 5] à payer à l'Union des vignerons de l'Ile de Beauté, désormais dénommée la société de coopérative agricole La Cave d'[Localité 1], la somme de 249 799,20 euros au titre du solde de son compte de coopérateur, l'arrêt rendu le 28 juin 2023, entre les parties, par la cour d'appel de Bastia :
Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Bastia, autrement composée ;
Condamne la société coopérative agricole La Cave d'[Localité 1] aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du douze décembre deux mille vingt-quatre.