LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :
N° F 24-85.799 F-D
N° 01716
LR
18 DÉCEMBRE 2024
CASSATION SANS RENVOI
M. BONNAL président,
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 18 DÉCEMBRE 2024
M. [W] [V] a formé un pourvoi contre l'arrêt de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Versailles, en date du 13 août 2024, qui, dans l'information suivie contre lui du chef de tentative de meurtre, a confirmé l'ordonnance du juge des libertés et de la détention prolongeant sa détention provisoire.
Un mémoire a été produit.
Sur le rapport de Mme Clément, conseiller, les observations de Me Laurent Goldman, avocat de M. [W] [V], et les conclusions de Mme Gulphe-Berbain, avocat général, après débats en l'audience publique du 18 décembre 2024 où étaient présents M. Bonnal, président, Mme Clément, conseiller rapporteur, Mme de la Lance, conseiller de la chambre, et Mme Le Roch, greffier de chambre,
la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée en application de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure ce qui suit.
2. M. [W] [V] a été mis en examen du chef de tentative de meurtre et placé en détention provisoire le 2 août 2023.
3. Le juge des libertés et de la détention a ordonné la prolongation de sa détention provisoire par ordonnance du 22 juillet 2024.
4. M. [V] a relevé appel de cette décision.
Examen du moyen
Enoncé du moyen
5. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a rejeté l'exception de nullité de M. [V] et a ordonné la prolongation de sa détention provisoire, alors : « que toute personne poursuivie, qui ne souhaite pas se défendre elle-même, a droit à l'assistance d'un défenseur de son choix et que les juges ne peuvent, sans motiver leur décision, refuser le renvoi d'une affaire, sollicité par cette personne en raison de l'absence de l'avocat choisi ; qu'il ne résulte ni du procès-verbal du débat contradictoire ni de l'ordonnance du juge des libertés et de la détention qu'une réponse ait été apportée à la demande de report formulée à l'ouverture du débat par M. [V], dont l'avocat était absent, de sorte qu'en écartant la nullité de ce débat, la chambre de l'instruction, qui, en l'absence de tout élément de réponse, ne pouvait reconstituer ce qu'aurait pu être la motivation du premier juge, a méconnu les articles 6 de la Convention européenne des droits de l'homme et 137-3 et 593 du code de procédure pénale. »
Réponse de la Cour
Vu les articles 6, § 3, de la Convention européenne des droits de l'homme, préliminaire et 593 du code de procédure pénale :
6. Il se déduit des deux premiers de ces textes que toute personne poursuivie, qui ne souhaite pas se défendre elle-même, a droit à l'assistance d'un défenseur de son choix et que les juges ne peuvent, sans motiver leur décision, refuser le renvoi d'une affaire, sollicité par cette personne en raison de l'absence de l'avocat choisi.
7. Tout arrêt de la chambre de l'instruction doit comporter les motifs propres à justifier la décision. L'insuffisance ou la contradiction des motifs équivaut à leur absence.
8. Pour rejeter la demande d'annulation de l'ordonnance du juge des libertés et de la détention, prise du défaut de motivation du rejet de la demande de renvoi du débat contradictoire, l'arrêt attaqué énonce que le juge des libertés et de la détention qui constate, le jour du débat, l'absence de l'avocat choisi par la personne mise en examen et la convocation régulière de celui-ci, n'est pas tenu de procéder à la désignation d'un avocat commis d'office, aurait-elle même été sollicitée par l'intéressé.
9. Les juges relèvent qu'il ressort du procès-verbal du débat contradictoire du 22 juillet 2024 que l'avocat choisi par la personne mise en examen avait été régulièrement convoqué et que le greffe a tenté de prendre attache téléphoniquement avec lui en raison de son absence.
10. Ils ajoutent que M. [V] a alors demandé un renvoi, soutenant avoir demandé la désignation d'un avocat commis d'office au juge d'instruction, ce qui s'est révélé inexact, et que le débat s'est poursuivi sans que la demande de report ne soit accueillie, M. [V] sollicitant alors la désignation d'un avocat commis d'office.
11. Ils considèrent qu'il se déduit de ces précisions que le juge a valablement motivé le rejet de la demande de renvoi par l'inexactitude des propos de la personne mise en examen, qui n'avait à la date du débat formé aucune déclaration de changement d'avocat ni aucune demande tendant à obtenir la désignation d'un avocat commis d'office, ce alors que son avocat choisi avait été régulièrement convoqué et que le juge des libertés et de la détention n'était pas tenu de désigner un avocat commis d'office.
12. Ils retiennent que le juge des libertés et de la détention ne pouvait utilement ordonner un renvoi dans le délai restant avant l'expiration du mandat de dépôt sans aucun élément lui permettant de considérer qu'un nouvel avocat allait effectivement être choisi dans ce délai par M. [V], et que la désignation d'un avocat commis d'office le 24 juillet 2024 a eu lieu en raison de la demande du juge d'instruction à la suite du débat contradictoire du 22 juillet précédent, aucune déclaration de changement d'avocat n'ayant été faite par la personne mise en examen dans les formes de l'article 115 précité avant la désignation de M. [Y] formalisée le 2 août 2024 auprès du chef de l'établissement pénitentiaire.
13. Ils précisent que si le mémoire déposé mentionne que M. [V] n'avait pas été informé de la tenue du débat contradictoire et qu'il a subi un grief du fait de ne pas avoir pu préparer de projet de libération avec un avocat, l'intéressé a déclaré lors du débat que son conseil estimait que toute demande de libération serait vouée à l'échec avant la confrontation prévue en septembre, ce qui établit qu'il était bien informé de l'objet du débat et en avait parlé avec son avocat, et que l'absence de projet construit lors de la tenue de celui-ci n'est pas imputable à la décision du juge des libertés et de la détention de ne pas renvoyer l'examen du dossier.
14. En statuant ainsi, alors qu'il ne résulte ni de l'ordonnance de prolongation de la détention, ni du procès-verbal du débat contradictoire, que le juge des libertés et de la détention a motivé le rejet de la demande de renvoi, alors qu'il était tenu de se prononcer sur cette demande motivée de report formée au commencement du débat contradictoire, en l'absence de l'avocat de la personne mise en examen, la chambre de l'instruction n'a pas justifié sa décision.
15. La cassation est par conséquent encourue.
Portée et conséquences de la cassation
16. La cassation aura lieu sans renvoi, la Cour de cassation étant en mesure d'appliquer directement la règle de droit et de mettre fin au litige, ainsi que le permet l'article L. 411-3 du code de l'organisation judiciaire.
17. M. [V] doit être remis en liberté, sauf s'il est détenu pour autre cause.
18. Cependant, les dispositions de l'article 803-7, alinéa 1, du code de procédure pénale permettent à la Cour de cassation de placer sous contrôle judiciaire la personne dont la détention provisoire est irrégulière en raison de la méconnaissance des formalités prévues par ce même code, dès lors qu'elle trouve dans les pièces de la procédure des éléments d'information pertinents et que la mesure apparaît indispensable pour assurer l'un des objectifs énumérés à l'article 144 du même code.
19. En l'espèce, il existe des indices graves ou concordants rendant vraisemblable que M. [V] ait pu participer, comme auteur ou comme complice, à la commission des infractions dont le juge d'instruction est saisi.
20. La mesure de contrôle judiciaire est indispensable afin de :
- empêcher une pression sur les témoins ou les victimes ainsi que sur leur famille, et d'empêcher une concertation frauduleuse entre la personne mise en examen et ses coauteurs ou complices, en ce que M. [V], qui reconnaît avoir tiré avec une arme à feu sur la victime, n'a donné aucune information sur la personne qui conduisait le véhicule lui ayant permis d'arriver sur les lieux ; que les faits ont été commis dans un contexte de personnes ayant des liens, la partie civile et le frère de la personne mise en examen se décrivant comme d'anciens très bons amis, et sont expliqués par une réaction relevant de la « dette d'honneur » ; qu'il s'ensuit que le risque de pression sur les témoins et la victime ainsi que le risque de concertation avec le co-auteur sont majeurs et doivent impérativement être évités ;
- garantir le maintien de la personne mise en examen à la disposition de la justice en ce que, si M. [V] s'est finalement présenté devant les services de police, il a pris la fuite en Turquie dans un premier temps, en bénéficiant de l'assistance de sa famille, alors qu'il faisait l'objet d'un mandat de recherche ; qu'il ne justifie pas d'une situation professionnelle stable et ne présente que peu de garanties de représentation ; que le risque de fuite est ainsi manifeste, compte tenu de la peine encourue au regard de la gravité des faits.
21. Afin d'assurer ces objectifs, M. [V] sera astreint à se soumettre aux obligations précisées au dispositif.
22. Le magistrat chargé de l'information est compétent pour l'application des articles 139 et suivants et 141-2 et suivants du code de procédure pénale.
23. Le parquet général de cette Cour fera procéder aux diligences prévues par l'article 138-1 du code de procédure pénale.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
CASSE et ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt susvisé de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Versailles, en date du 13 août 2024 ;
DIT n'y avoir lieu à renvoi ;
CONSTATE que M. [V] est détenu sans titre depuis le 2 août 2024 à 00 heure ;
ORDONNE la mise en liberté de M. [V] s'il n'est détenu pour autre cause ;
ORDONNE le placement sous contrôle judiciaire de M. [V] ;
DIT qu'il est soumis aux obligations suivantes :
- Ne pas sortir des limites territoriales suivantes : France métropolitaine ;
- Ne s'absenter de son domicile ou de sa résidence, qu'il convient de fixer chez M. [M] [Z], [Adresse 2], qu'aux conditions suivantes : entre 8 heures et 19 heures ;
- Ne pas se rendre dans le département du Val-d'Oise ;
- Se présenter, le lendemain de sa libération, avant 13 heures, et ensuite chaque mercredi, entre 8 heures et 13 heures, au commissariat de police, [Adresse 1] ;
- Répondre aux convocations de toute autorité, de toute association ou de toute personne qualifiée désignée par le juge d'instruction ou le juge des libertés et de la détention et se soumettre, le cas échéant, aux mesures de contrôle portant sur ses activités professionnelles ou sur son assiduité à un enseignement ainsi qu'aux mesures socio-éducatives destinées à favoriser son insertion sociale et à prévenir le renouvellement de l'infraction ;
- Remettre, le lendemain de sa libération, avant 13 heures, au commissariat de police [Adresse 1], tous documents justificatifs de l'identité, et notamment le passeport, en échange d'un récépissé valant justification de l'identité ;
- S'abstenir de recevoir ou de rencontrer, ainsi que d'entrer en relation avec elles, de quelque façon que ce soit, les personnes suivantes : MM. [O] [U], [R] [A], [C] [H] ;
- Ne pas détenir ou porter une arme ;
DÉSIGNE, pour veiller au respect des obligations prévues aux rubriques ci-dessus, M. le commissaire de police principal de [Localité 3] ;
DÉSIGNE le magistrat chargé de l'information aux fins d'assurer le contrôle de la présente mesure de sûreté ;
RAPPELLE qu'en application de l'article 141-2 du code de procédure pénale, toute violation de l'une quelconque des obligations ci-dessus expose la personne sous contrôle judiciaire à un placement en détention provisoire ;
DIT que le parquet général de cette Cour fera procéder aux diligences prévues par l'article 138-1 du code de procédure pénale ;
ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Versailles et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt annulé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président en son audience publique du dix-huit décembre deux mille vingt-quatre.