LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
CIV. 1
LM
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 15 janvier 2025
Cassation partielle
Mme CHAMPALAUNE, président
Arrêt n° 22 F-D
Pourvoi n° F 22-22.518
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, DU 15 JANVIER 2025
M. [I] [V], domicilié [Adresse 1], a formé le pourvoi n° F 22-22.518 contre l'arrêt rendu le 20 septembre 2022 par la cour d'appel de Bordeaux (3e chambre civile), dans le litige l'opposant à Mme [G] [C], domiciliée [Adresse 2], défenderesse à la cassation.
Le demandeur invoque, à l'appui de son pourvoi, deux moyens de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Agostini, conseiller, les observations de Me Laurent Goldman, avocat de M. [V], de la SCP Waquet, Farge et Hazan, avocat de Mme [C], et l'avis de Mme Picot-Demarcq, avocat général, après débats en l'audience publique du 19 novembre 2024 où étaient présentes Mme Champalaune, président, Mme Agostini, conseiller rapporteur, Mme Auroy, conseiller doyen, et Mme Ben Belkacem, greffier de chambre,
la première chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Bordeaux, 20 septembre 2022), Mme [C] et M. [V], qui ont vécu en concubinage, ont acquis en indivision, le 5 janvier 2016, un bien immobilier. Ils se sont séparés le 30 juin 2019.
2. Le 18 décembre 2020, Mme [C] a assigné M. [V] devant le tribunal judiciaire en partage de l'indivision et en paiement d'une somme de 155 337 euros correspondant à un gain au loto, tiré le 24 décembre 2014.
3. Le tribunal judiciaire a renvoyé le dossier au juge aux affaires familiales en application de l'article 82-1 du code de procédure civile.
Examen des moyens
Sur le premier moyen
Enoncé du moyen
4. M. [V] fait grief à l'arrêt de rejeter sa demande tendant à voir déclarer le juge aux affaires familiales incompétent pour statuer sur la demande en paiement de la somme de 155 337 euros formée à son encontre par Mme [C], alors :
« 1°/ que dans le dispositif de son assignation, Mme [C] demandait au tribunal de ''condamner Monsieur [I] [V] à [lui] payer la somme de 155.337 euros au titre du bien propre constitué par les gains du loto en date du 24 décembre 2014'' ; qu'en retenant néanmoins, pour déclarer le juge aux affaires familiales compétent, que la requérante voyait dans cette somme une créance qu'elle pouvait réclamer à l'indivision, la cour d'appel a dénaturé les termes du litige et ainsi violé l'article 4 du code de procédure civile ;
2°/ que, subsidiairement, le juge qui se prononce sur la compétence doit trancher la question de fond dont dépend cette compétence ; qu'en s'en tenant néanmoins au constat, pour déclarer le juge aux affaires familiales compétent, que Mme [C] voyait dans la somme de 155 337 euros une créance qu'elle pouvait réclamer à l'indivision et que M. [V] la contestait, la cour d'appel, qui s'est abstenue de trancher la question de fond dont dépendait la compétence, a violé les articles 12 et 79 du code de procédure civile et l'article L. 213-3 du code de l'organisation judiciaire ;
3°/ que, en tout état de cause, une indivision ne peut être tenue pour débitrice d'une créance, née avant elle, liée à l'acquisition du bien indivis ; qu'en retenant néanmoins, pour dire que la demande en paiement de la somme de 155 337 euros s'analysait en une créance réclamée par Mme [C] sur l'indivision et déclarer en conséquence le juge aux affaires familiales compétent pour en connaître, qu'elle arguait que les fonds apportés par chacun pour l'acquisition du bien immobilier provenaient de son gain du loto, la cour d'appel a violé les articles 815-13 du code civil et L. 213-3 du code de l'organisation judiciaire ;
4°/ qu'en retenant également, pour statuer comme elle l'a fait, que le litige devait d'autant plus être examiné dans le cadre de la saisine du juge aux affaires familiales sur la liquidation de l'indivision que celui-ci devrait statuer sur d'éventuelles récompenses dues par l'indivision en raison du financement de l'immeuble indivis survenu pendant la période de concubinage qui s'est fait notamment au moyen d'apports respectifs de la part des parties, la cour d'appel a violé les articles 815-13 du code civil et L. 213-3 du code de l'organisation judiciaire. »
Réponse de la Cour
5. Aux termes de l'article L. 213-3 du code de l'organisation judiciaire, le juge aux affaires familiales connaît de la liquidation et du partage des intérêts patrimoniaux des concubins.
6. Les intérêts patrimoniaux des concubins s'entendent de tous leurs rapports pécuniaires.
7. La cour d'appel a constaté qu'un différend opposait Mme [C] et M. [V] sur la propriété d'un gain au loto d'un montant de 155 337 euros, réalisé en décembre 2014, et sur l'utilisation de cette somme pour l'acquisition du bien indivis.
8. Il en résulte que le juge aux affaires familiales était matériellement compétent pour connaître de ce différend qui entrait dans le règlement et le partage de leurs intérêts patrimoniaux.
9. Par ce motif de pur droit, substitué à ceux critiqués, dans les conditions prévues par les articles 620, alinéa 1er, et 1015 du code de procédure civile, l'arrêt se trouve légalement justifié de ce chef.
Mais sur le second moyen, pris en sa deuxième branche
Enoncé du moyen
10. M. [V] fait grief à l'arrêt de rejeter sa demande tendant à voir déclarer irrecevable comme prescrite la demande en paiement de la somme de 155 337 euros formée à son encontre par Mme [C], alors « que dans le dispositif de son assignation, Mme [C] demandait au tribunal de ''condamner Monsieur [I] [V] à [lui] payer la somme de 155.337 euros au titre du bien propre constitué par les gains du loto en date du 24 décembre 2014'' ; qu'en retenant néanmoins, pour dire que cette demande n'était pas prescrite, qu'elle portait sur une créance contre l'indivision au titre de l'apport réalisé lors de l'acquisition du bien immobilier indivis, la cour d'appel a dénaturé les termes du litige et ainsi violé l'article 4 du code de procédure civile. »
Réponse de la Cour
Recevabilité du moyen
11. Mme [C] conteste la recevabilité du moyen. Elle soutient qu'est irrecevable le pourvoi dirigé contre un arrêt qui, sans mettre fin à l'instance, se borne à rejeter le moyen tiré de la prescription de l'action engagée et à renvoyer les parties devant le juge aux affaires familiales pour voir statuer sur le fond de l'affaire.
12. Cependant, le pourvoi est recevable sur le fondement de l'article 607-1 du code de procédure civile, en ce qu'il est dirigé contre un arrêt qui se prononce sur la compétence sans statuer sur le fond du litige. Il en résulte que, comme le moyen qui critique le chef de dispositif relatif à la compétence de la juridiction, le moyen relatif au chef de dispositif de l'arrêt statuant sur une fin de non-recevoir est recevable.
13. Le moyen est donc recevable.
Bien-fondé du moyen
Vu l'article 4 du code de procédure civile :
14. Selon ce texte, l'objet du litige est déterminé par les prétentions respectives des parties.
15. Pour rejeter la demande de M. [V] tendant à voir déclarer irrecevable comme prescrite la demande en paiement de la somme de 155 337 euros de Mme [C], l'arrêt retient que l'indivision perdure et qu'il n'a pas encore été procédé aux opérations de liquidation et partage, que l'acquisition du bien immobilier a été réalisée en pleine propriété indivise à concurrence de moitié chacun, que M. [V] ne peut soutenir avoir seul financé l'apport personnel alors que l'acte notarié fait expressément mention que chacun des acquéreurs a fait un apport personnel à concurrence de moitié. L'arrêt en déduit que la somme réclamée par chacun des indivisaires constitue une créance pouvant être opposée à l'indivision et qu'elle n'est donc pas née lors de la remise du gain par La Française des jeux en décembre 2014 mais au jour de l'apport réalisé, de sorte qu'au 18 décembre 2020, la prescription quinquennale n'était pas acquise.
16. En statuant ainsi, alors que dans ses conclusions d'appel, Mme [C] demandait la condamnation de M. [V] à lui payer la somme de 155 337 euros au titre du gain au loto tiré le 24 décembre 2014, la cour d'appel, qui a modifié l'objet du litige, a violé le texte susvisé.
Portée et conséquences de la cassation
17. La cassation du chef de dispositif rejetant la demande de M. [V] tendant à voir déclarer irrecevable comme prescrite la demande en paiement de la somme de 155 337 euros formée à son encontre par Mme [C] n'emporte pas celle des chefs de dispositif de l'arrêt condamnant M. [V] aux dépens et disant n'y avoir lieu à application de l'article 700 du code de procédure civile, justifiés par d'autres dispositions de l'arrêt non remises en cause.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il rejette la demande de M. [V] tendant à voir déclarer irrecevable comme prescrite la demande en paiement de la somme de 155 337 euros formée à son encontre par Mme [C] l'arrêt rendu le 20 septembre 2022, entre les parties, par la cour d'appel de Bordeaux ;
Remet, sur ce point l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Toulouse ;
Condamne M. [V] aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du quinze janvier deux mille vingt-cinq.