LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :
N° C 22-87.145 FS-B+R
N° 00003
LR
21 JANVIER 2025
CASSATION PAR VOIE DE RETRANCHEMENT SANS RENVOI
M. BONNAL président,
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
________________________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 21 JANVIER 2025
MM. [NL] [XG], [ZL] [FS], Mmes [SI] [CL], épouse [VE], et [OS] [YM], ainsi que Mme [HM] [GI], partie civile, ont formé des pourvois contre l'arrêt de la cour d'appel de Paris, chambre 2-13, en date du 30 septembre 2022, qui, pour harcèlement moral, a condamné les deux premiers à un an d'emprisonnement avec sursis, 15 000 euros d'amende et une confiscation, et, pour complicité de harcèlement moral, la troisième à six mois d'emprisonnement avec sursis et une confiscation, la quatrième à trois mois d'emprisonnement avec sursis et une confiscation, et a prononcé sur les intérêts civils.
Les pourvois sont joints en raison de la connexité.
Des mémoires, en demande et en défense, ainsi que des observations complémentaires, ont été produits.
Sur le rapport de M. Maziau, conseiller, les observations de la SCP Gadiou et Chevallier, avocat de M. [ZL] [FS], les observations de la SARL Boré, Salve de Bruneton et Mégret, avocat de M. [NL] [XG], les observations de la SARL Le Prado-Gilbert, avocat de Mme [SI] [CL], épouse [VE], les observations de la SCP Spinosi, avocat de Mme [OS] [YM], les observations de la SCP Sevaux et Mathonnet, avocat de Mme [HM] [GI], les observations de la SCP Rocheteau, Uzan-Sarano et Goulet, avocat de MM. [EY] et [HU] [BC], Mme [UI] [H], épouse [BC], Mmes [VL] et [TE] [BC], les observations de la SARL Thouvenin, Coudray et Grévy, avocat de la Fédération [5], l'Union [15], Mmes [Y] [HW], [ZT] [PL], M. [R] [PL], les observations de la SCP Waquet, Farge et Hazan, avocat du syndicat [1], M. [UK] [SN], Mme [ZB] [LY], épouse [XT], la fédération [2], les observations de la SCP Lyon-Caen et Thiriez, avocat du Syndicat [10], l'Union [13], Association [6], la Fédération [3], la Fédération [14], la Fédération [4], Mmes [CX] [E], [UI] [D], [PT] [Z], [EL] [V], [IP] [BZ] [N], [NN] [J], [SI] [DT], [RO] [FA], [BF] [VR], [TY] [EG], [VC] [WS], [PG] [ZN], [MD] [UP], [TA] [GN], [FU] [MF] épouse [FW], [GD] [MF], [NR] [YU], [FF] [SV], [TR] [FH], [L] [YZ], [IX] [PV], [NB] [LL], [I] [FM],
[VC] [AM], [GB] [BI], épouse [MF], [TR] [IB], [JH] [YS], [I] [IV], [RM] [HJ], [OS] [YH], [LR] [ZV], [TW] [XR], [GP] [CU], [BK] [F], épouse [VW], [L] [OO], [UZ] [MA], [CG] [SG], [TR] [XN], [T] [RJ], [TW] [JL], épouse [EK], [NY] [WU], [IK] [ZY], [HH] [DD], [GX] [LW], [WM] [IS], [FU] [VO], [TW] [YD], [GD] [MP], épouse [TO], MM. [YO] [K], [OA] [U], [UB] [G], [KZ] [O], [KS] [B], [UB] [JJ], [NG] [LE], [KB] [NT], [FO] [GV], [KI] [TC], [RA] [BH], [XY] [UX], [P] [HO], [KB] [PN], [OA] [MZ], [KF] [KD], [KB] [RH], [RU] [WK], [ID] [AE], [KB] [MS], [KP] [AK], [JO] [OM], [ZE] [VY], [CM] [TJ], [VJ] [YF], [YO] [BN], [W] [MF], [IG] [JR], [KB] [KX], [YO] [AD], [PI] [ET], [XL] [HC], [YK] [CY], [KF] [JW], [UB] [EN], [ZG] [WZ], [NE] [XE], [SB] [PB], [IV] [DG], [RW] [MK], [FC] [WF], [RF] [SX], [WX] [RC], [SP] [EH], [RW] [IV], [JC] [OH], [FO] [LT], [GG] [JE], [NL] [JY], [XL] [DA], [WX] [DY], [YO] [EV], [DM] [LJ], [W] [SD], [IN] [MU], [HA] [AZ], [KB] [EB], [XL] [VT], [JC] [TH], [ID] [US], [WX] [KF],
[AP] [EE], [JO] [MX], [VJ] [AU], [ZG] [HR], [MM] [SG], [JC] [WP], [XL] [PP], [UB] [GT], [H] [NV], [ID] [CA], [M] [LC], [YA] [DV], [UB] [ZI], [DS] [XJ], [AP] [SK], [CS] [LG], [WD] [BW], [BE] [BX], [X] [OK], [II] [EI], [OU] [OW], [P] [DB], [ID] [KM], [KF] [BU],
les observations de la SARL Matuchansky, Poupot, Valdelièvre, Rameix, avocat de M. [DS] [AR], et les conclusions de M. Tarabeux, avocat général, les avocats ayant eu la parole en dernier, après débats en l'audience publique du 13 novembre 2024 où étaient présents M. Bonnal, président, M. Maziau, conseiller rapporteur, Mme Labrousse, MM. Cavalerie, Seys, Mmes Thomas, Chaline-Bellamy, M. Hill, conseillers de la chambre, M. Violeau, Mme Merloz, M. Pradel, conseillers référendaires, M. Tarabeux, avocat général, Mme Sommier, greffier de chambre, et Mme Le Roch, greffier de chambre présent au prononcé,
la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure ce qui suit.
2. A la suite de la plainte déposée par le syndicat [12], en décembre 2009, du chef notamment de harcèlement moral contre la société [8] et trois de ses dirigeants, dénonçant les conditions dans lesquelles avaient été mis en oeuvre le plan NExT (« Nouvelle Expérience des Télécoms ») et son volet social, le programme ACT (« Anticipation et Compétences pour la Transformation »), annoncés en 2006, reposant sur une réduction des effectifs à hauteur de 22 000 salariés ou agents (ci-après indifféremment désignés comme salariés ou agents) sur environ 120 000, une information a été ouverte le 8 avril 2010.
3. La société [8], devenue la société [11] le 1er juillet 2013 (ci-après la société [8]), et plusieurs cadres dirigeants, dont le président-directeur général du groupe, M. [NL] [XG], ont été mis en examen, notamment, du chef de harcèlement moral ou complicité de ce délit.
4. Par ordonnance du 12 juin 2018, le juge d'instruction a notamment renvoyé devant le tribunal correctionnel du chef de harcèlement moral, commis entre 2007 et 2010, la société [8], M. [XG], ainsi que deux cadres dirigeants de l'entreprise, M. [ZL] [FS], directeur des opérations France au sein de la société [8], directeur exécutif délégué et président de la société [11], et M. [YK] [C], directeur des ressources humaines.
5. Il est reproché à ces prévenus, ainsi qu'à la société [8], d'avoir, entre 2007 et 2010, harcelé notamment trente-neuf salariés nommément désignés par « des agissements répétés ayant pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail des personnels, susceptible de porter atteinte à leur droit et à leur dignité, d'altérer leur santé physique ou mentale ou de compromettre leur avenir professionnel, en l'espèce en mettant en place, dans le cadre des plans NExT et ACT, une politique d'entreprise visant à déstabiliser les salariés et agents, à créer un climat professionnel anxiogène, en recourant notamment à des réorganisations multiples et désordonnées, des incitations répétées au départ, des mobilités géographiques et/ou fonctionnelles forcées, la surcharge de travail, la pression des résultats ou à l'inverse l'absence de travail, un contrôle excessif et intrusif, l'attribution de missions dévalorisantes, l'absence d'accompagnement et de soutien adaptés des ressources humaines, des formations insuffisantes voire inexistantes, l'isolement des personnels, des manoeuvres d'intimidation, voire des menaces et des diminutions de rémunération ».
6. Par la même ordonnance, le juge d'instruction a renvoyé devant le tribunal correctionnel, sous la prévention de complicité du délit de harcèlement moral reproché à la société [8] et aux dirigeants précités, Mme [SI] [CL], épouse [VE], directrice du programme ACT, directrice des ressources humaines France puis directrice adjointe des ressources humaines du groupe, Mme [OS] [YM], directrice des actions territoriales d'opérations France, M. [OF] [UD], directeur des ressources humaines France, et M. [DS] [AR], directeur de la direction territoriale Est puis directeur des ressources humaines France.
7. Il leur est reproché de s'être rendus complices du délit de harcèlement moral, au préjudice notamment des mêmes trente-neuf salariés, en ayant facilité sciemment la préparation et la consommation de celui-ci, par aide et assistance, en l'espèce, notamment, s'agissant de Mme [CL]-[VE], entre 2007 et 2010, « en organisant le suivi strict et concret des réductions d'effectifs, en mettant en place des outils de pression sur les départs tels que les réorganisations laissant des salariés et des agents sans poste, un management par les résultats, en encourageant les procédés visant à créer une instabilité pour les agents et salariés, et en organisant les incitations financières relatives à l'atteinte des objectifs de réduction d'effectifs », et, s'agissant de Mme [YM], entre 2007 et mars 2008, « en organisant le suivi strict et concret des réductions d'effectifs et en pratiquant un mode de management très directif encourageant la pression sur les départs ».
8. De très nombreuses parties civiles se sont constituées, dont Mme [HM] [GI].
9. Par jugement du 20 décembre 2019, le tribunal correctionnel a, sur l'action publique, prononcé des relaxes partielles concernant, d'une part, les faits commis du 1er janvier 2009 à fin 2010, s'agissant de MM. [XG], [FS] et [C] ainsi que Mme [CL]-[VE], d'autre part, ceux commis du 6 mai 2008 à fin 2010 s'agissant de M. [AR], et déclaré les prévenus coupables des délits qui leur étaient reprochés, entre janvier 2007 et décembre 2008, et a prononcé sur les intérêts civils.
10. Les prévenus ont interjeté appel, à l'exception de la société [8]. Le ministère public a interjeté appel incident ainsi que les parties civiles. M. [C] s'est désisté de son appel.
Examen des moyens
Sur le troisième moyen, pris en sa première branche, proposé pour M. [XG], le deuxième moyen proposé pour M. [FS], le deuxième moyen, pris en sa troisième branche, et le troisième moyen, pris en ses troisième et quatrième branches, proposés pour Mme [CL]-[VE], et le troisième moyen, pris en sa première branche, proposé pour Mme [YM]
11. Les griefs ne sont pas de nature à permettre l'admission des pourvois au sens de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale.
Sur le premier moyen, pris en sa première branche, proposé pour M. [XG], le premier moyen proposé pour Mme [CL]-[VE], et le troisième moyen proposé pour M. [FS]
Enoncé des moyens
12. Le moyen proposé pour M. [XG] critique l'arrêt attaqué en ce qu'il l'a déclaré coupable de harcèlement moral institutionnel, alors :
« 1°/ que les dispositions de l'article 222-33-2 du code pénal, telles qu'interprétées par la Cour de cassation, portent atteinte à la liberté d'entreprendre en ce qu'elles incriminent toute politique d'entreprise ayant simplement pour effet une dégradation des conditions de travail d'autrui, ladite dégradation devant seulement être susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel, et aux droits collectifs des travailleurs, en ce qu'elles répriment toute politique syndicale ayant les mêmes effets ; qu'il y a lieu, dès lors, de renvoyer une question prioritaire de constitutionnalité au Conseil constitutionnel et de constater, à la suite de la déclaration d'inconstitutionnalité qui interviendra, que l'arrêt attaqué se trouve privé de base légale au regard de l'article 4 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen et des alinéas 6 et 8 du Préambule de la Constitution de 1946. »
13. Le moyen proposé pour Mme [CL]-[VE] critique l'arrêt attaqué en ce qu'il l'a déclarée coupable de complicité de harcèlement moral dans la limite de la prévention retenue par le jugement sauf à préciser que les faits ont été commis alors que la prévenue avait également la qualité de DRH France, l'a condamnée pénalement et a prononcé sur les intérêts civils, alors « que l'article 222-33-2 du code pénal, tel qu'interprété par une jurisprudence constante de la Cour de cassation, est contraire au principe de légalité des délits et des peines, au principe de non-rétroactivité des lois pénales plus sévères, au principe d'interprétation stricte de la loi pénale, à la nécessaire prévisibilité de la loi pénale et au principe de sécurité juridique, garantis par les articles 8 et 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, en ce qu'il réprime le harcèlement moral institutionnel commis antérieurement à la décision de la Cour de cassation l'ayant consacré, quand aucun justiciable ne pouvait alors savoir, ni à partir du libellé de l'article 222-33-2, ni à l'aide de l'interprétation qui en était donnée par les tribunaux, ni en recourant à des conseils éclairés, que certains de ses actes ou omissions étaient susceptibles d'engager sa responsabilité pénale et quelle peine il encourait de ce chef ; qu'il y a lieu, dès lors, de renvoyer au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par l'exposante par mémoire distinct et motivé ; qu'à la suite de la déclaration d'inconstitutionnalité qui interviendra, l'arrêt attaqué se trouvera privé de base légale. »
14. Le moyen proposé pour M. [FS] critique l'arrêt attaqué en ce qu'il l'a déclaré coupable de harcèlement moral du 1er janvier 2007 au 31 décembre 2008, condamné à une peine d'un an d'emprisonnement assortie en totalité du sursis simple, ainsi qu'à une peine d'amende de 15 000 euros et à titre de peine complémentaire à la confiscation des scellés, et sur l'action civile, a rejeté les exceptions d'irrecevabilité des constitutions de partie civile soulevées par tous les prévenus appelants, notamment par M. [FS], confirmé le jugement entrepris en ce qu'il a déclaré recevables les constitutions de partie civile des personnes physiques et morales mentionnées dans le tableau figurant pages 288 à 341 de l'arrêt attaqué, condamné M. [FS], solidairement avec M. [XG] et Mmes [VE] et [YM], à payer aux parties civiles mentionnées dans ce tableau les sommes figurant en dernière colonne, au titre des dommages et intérêts, condamné M. [FS], in solidum avec M. [XG] et Mmes [VE] et [YM], à payer aux parties civiles également mentionnées les sommes figurant en dernière colonne, au titre des dispositions de l'article 475-1 du code de procédure pénale, et ajoutant au jugement, condamné M. [FS], in solidum avec M. [XG] et Mmes [VE] et [YM], à payer aux parties civiles mentionnées dans le tableau les sommes figurant en dernière colonne, au titre des dispositions de l'article 475-1 du code de procédure pénale, en cause d'appel, alors « que les dispositions de l'article 222-33-2 du code pénal sont contraires aux principes de légalité des délits et des peines, d'interprétation stricte de la loi pénale et de non-rétroactivité de la loi pénale d'incrimination plus sévère, garantis par l'article 8 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, en ce qu'elles répriment le harcèlement moral institutionnel bien que le texte ne dispose rien de tel, que le principe d'interprétation stricte de la loi pénale empêche une interprétation extensive et qu'à supposer même que les deux arrêts de la Cour de cassation des 4 octobre 2016 et 5 juin 2018 puissent constituer des précédents jurisprudentiels, ils ne pouvaient, au regard du principe de non-rétroactivité de la loi pénale d'incrimination plus sévère, constituer la loi au sens matériel applicable aux faits incriminés pour avoir été rendus postérieurement à la période de prévention et à celle retenue par la cour d'appel allant du 1er janvier 2007 au 31 décembre 2008 ; qu'après renvoi de la question prioritaire de constitutionnalité de M. [ZL] [FS], par un écrit distinct et motivé, au Conseil constitutionnel, et de la déclaration de non-conformité de ses dispositions à la Constitution qui s'ensuivra, l'arrêt attaqué aura perdu son fondement juridique. »
Réponse de la Cour
15. Les moyens sont réunis.
16. Par arrêts des 5 septembre et 17 octobre 2023, la Cour de cassation a dit n'y avoir lieu de renvoyer au Conseil constitutionnel les questions prioritaires de constitutionnalité posées, d'une part, par M. [XG] et Mme [CL]-[VE], d'autre part, par M. [FS].
17. Il en résulte que les griefs sont devenus sans objet.
Sur le premier moyen, pris en ses deuxième et cinquième branches, proposé pour M. [XG], le premier moyen, pris en sa première branche, proposé pour M. [FS], le deuxième moyen, pris en sa première branche, et le troisième moyen, pris en ses première et cinquième branches, proposés pour Mme [CL]-[VE], et le premier moyen, pris en sa première branche, proposé pour Mme [YM]
Enoncés des moyens
18. Le moyen proposé pour M. [XG] critique l'arrêt attaqué en ce qu'il l'a déclaré coupable de harcèlement moral institutionnel, alors :
« 2°/ que la loi pénale est d'interprétation stricte ; que le harcèlement moral ne peut être consommé que dans des relations interpersonnelles entre l'auteur de l'agissement et une ou plusieurs personnes déterminées ; qu'en retenant, pour déclarer M. [XG] coupable de harcèlement moral institutionnel à raison de faits « résultant, non pas de [ses] relations individuelles avec [les] salariés, mais de la politique d'entreprise [que les dirigeants] avaient conçue et mise en oeuvre » (arrêt, p. 127, § 2, alinéa 1), que « les décisions d'organisation prises dans le cadre professionnel peuvent, dans un contexte particulier, être source d'insécurité permanente pour tout le personnel et devenir alors harcelantes pour certains salariés » (arrêt, p. 129, § 1er), quand il ressort de cette analyse qu'elle a appliqué extensivement la loi pénale à des agissements qui n'étaient ni directement imputables au prévenu, ni dirigés contre des fonctionnaires ou des salariés déterminés, la cour d'appel a violé les articles 7 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, 111-4 et 222-33-2 du code pénal ;
5°/ qu'en toute hypothèse, nul n'est pénalement responsable que de son propre fait ; qu'une "politique d'entreprise" constitutive de harcèlement moral institutionnel résulte de la délibération des organes collégiaux d'une société anonyme et ne peut engager la responsabilité pénale que de la personne morale, à l'exclusion de celle des personnes physiques occupant des postes de direction sauf à ce que soient caractérisés, à l'égard de ces dernières, des agissements répétés s'inscrivant dans une relation interpersonnelle avec des salariés déterminés ; qu'en déclarant M. [XG] coupable, comme auteur, du chef de harcèlement moral institutionnel, cependant qu'elle constatait que la politique d'entreprise poursuivie procédait d'« une décision arrêtée au plus haut niveau de pilotage de la société » (arrêt, p. 136, § 1), qu'« il n'exist[ait] aucun lien professionnel direct entre les [...] prévenus personnes physiques » et les plaignants, qu'« ils ne se connaissaient pas et n'[avaient] jamais travaillé ensemble » et que la responsabilité de M. [XG] « repos[ait] [...] sur une décision partagée » (jugement confirmé, p. 100, § 3 ; arrêt, p. 136, § 1) en ce que son « absence ou [son] refus de [...] participation [...] n'aurait pas permis la réalisation du délit » (jugement confirmé, p. 281), ce dont il résultait que seule la société [8] avait des relations directes avec chacun des fonctionnaires et salariés concernés et que, engagée par la délibération collégiale de ses organes, elle pouvait seule être déclarée coupable, la cour d'appel a violé les articles 7 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, 121-1, 121-2 et 222-33-2 du code pénal. »
19. Le moyen proposé pour M. [FS] critique l'arrêt attaqué en ce qu'il l'a déclaré coupable de harcèlement moral du 1er janvier 2007 au 31 décembre 2008, condamné à une peine d'un an d'emprisonnement assortie en totalité du sursis simple, ainsi qu'à une peine d'amende de 15 000 euros et à titre de peine complémentaire à la confiscation des scellés, et sur l'action civile, a rejeté les exceptions d'irrecevabilité des constitutions de partie civile soulevées par tous les prévenus appelants, notamment par M. [FS], confirmé le jugement entrepris en ce qu'il a déclaré recevables les constitutions de partie civile des personnes physiques et morales mentionnées dans le tableau figurant pages 288 à 341 de l'arrêt attaqué, condamné M. [FS], solidairement avec M. [XG] et Mmes [VE] et [YM], à payer aux parties civiles mentionnées dans ce tableau les sommes figurant en dernière colonne, au titre des dommages et intérêts, condamné M. [FS], in solidum avec M. [XG] et Mmes [VE] et [YM], à payer aux parties civiles également mentionnées les sommes figurant en dernière colonne, au titre des dispositions de l'article 475-1 du code de procédure pénale, et ajoutant au jugement, condamné M. [FS], in solidum avec M. [XG] et Mmes [VE] et [YM], à payer aux parties civiles mentionnées dans le tableau les sommes figurant en dernière colonne, au titre des dispositions de l'article 475-1 du code de procédure pénale, en cause d'appel, alors :
« 1°/ que l'article 222-33-2 du code pénal, dans sa rédaction en vigueur à l'époque des faits, ne sanctionne pas le « harcèlement moral institutionnel », défini par l'arrêt attaqué comme un harcèlement qui serait le résultat d'agissements répétés pouvant résulter de méthode de gestion ou de management, voire d'une véritable organisation managériale, lesquelles n'avaient pas nécessairement pour objet initial de dégrader les conditions de travail mais, qui ont eu pour objet final ou pour effet, dans leur mise en oeuvre, de dégrader les conditions de travail individuelles et collectives de salariés et d'agents non déterminés d'une entreprise ; qu'il sanctionne des agissements répétés à l'encontre d'une ou de plusieurs personnes déterminées ayant pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel ; qu'en décidant néanmoins que la disposition susvisée sanctionnerait le « harcèlement moral institutionnel », la cour d'appel a violé l'article susvisée. »
20. Le deuxième moyen proposé pour Mme [CL]-[VE] critique l'arrêt attaqué en ce qu'il l'a déclarée coupable de complicité de harcèlement moral dans la limite de la prévention retenue par le jugement sauf à préciser que les faits ont été commis alors que la prévenue avait également la qualité de DRH France, l'a condamnée pénalement et a prononcé sur les intérêts civils,
alors :
« 1°/ que la complicité suppose un fait principal punissable ; que la loi pénale est d'interprétation stricte ; qu'est incriminé au titre du harcèlement moral dans le cadre du travail le fait de harceler autrui par des propos ou comportements répétés ayant pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel ce qui implique que soit identifiée une victime déterminée ; qu'en déclarant Mme [SI] [VE] coupable de complicité de harcèlement moral institutionnel qui n'est pas incriminé par l'article 222-33-2 du code pénal dès lors qu'il n'implique pas que soit identifiée une victime déterminée, la cour d'appel a méconnu ledit texte, ensemble le principe de légalité des délits et des peines et le principe d'interprétation stricte de la loi pénale. »
21. Le troisième moyen proposé pour Mme [CL]-[VE] critique l'arrêt attaqué en ce qu'il l'a déclarée coupable de complicité de harcèlement moral dans la limite de la prévention retenue par le jugement sauf à préciser que les faits ont été commis alors que la prévenue avait également la qualité de DRH France, l'a condamnée pénalement et a prononcé sur les intérêts civils, alors :
« 1°/ que la complicité suppose un fait principal punissable ; que la loi pénale est d'interprétation stricte ; que le harcèlement moral ne peut être consommé que dans des relations interpersonnelles entre l'auteur de l'agissement et une ou plusieurs personnes déterminées ; qu'en retenant, pour déclarer Mme [CL]-[VE] coupable de complicité de harcèlement moral institutionnel à raison de faits « résultant, non pas de [ses] relations individuelles avec [les] salariés, mais de la politique d'entreprise [que les dirigeants] avaient conçue et mise en oeuvre » (arrêt, p. 127, § 2, alinéa 1er), que « les décisions d'organisation prises dans le cadre professionnel peuvent, dans un contexte particulier, être source d'insécurité permanente pour tout le personnel et devenir alors harcelantes pour certains salariés » (arrêt, p. 129, § 1), quand il ressort de cette analyse qu'elle a appliqué extensivement la loi pénale à des agissements qui n'étaient ni directement imputables à la prévenue, ni dirigés contre des fonctionnaires ou des salariés déterminés, la cour d'appel a violé les articles 7 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, 111-4 et 222-33-2 du code pénal ;
5°/ qu'en toute hypothèse la complicité suppose un fait principal punissable ; nul n'est pénalement responsable que de son propre fait ; qu'une « politique d'entreprise » constitutive de harcèlement moral institutionnel résulte de la délibération des organes collégiaux d'une société anonyme et ne peut engager la responsabilité pénale que de la personne morale, à l'exclusion de celle des personnes physiques occupant des postes de direction sauf à ce que soient caractérisés, à l'égard de ces dernières, des agissements répétés s'inscrivant dans une relation interpersonnelle avec des salariés déterminés ; qu'en déclarant Mme [CL]-[VE] coupable, comme complice, du chef de harcèlement moral institutionnel, cependant qu'elle constatait que la politique d'entreprise poursuivie procédait d'« une décision arrêtée au plus haut niveau de pilotage de la société »
(arrêt, p. 136, § 1), qu'« il n'exist[ait] aucun lien professionnel direct entre les [...] prévenus personnes physiques » et les plaignants, qu'« ils ne se connaissaient pas et n'[avaient] jamais travaillé ensemble » et que la responsabilité de Mme [CL]-[VE] « repos[ait] [...] sur une décision partagée » (jugement confirmé, p. 100, § 3 ; arrêt, p. 136, § 1) ce dont il résultait que seule la société [8] avait des relations directes avec chacun des fonctionnaires et salariés concernés et que, engagée par la délibération collégiale de ses organes, elle pouvait seule être déclarée coupable, la cour d'appel a violé les articles 7 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, 121-1, 121-2 et 222-33-2 du code pénal. »
22. Le moyen proposé pour Mme [YM] critique l'arrêt attaqué en ce qu'il l'a déclarée coupable de complicité de harcèlement moral, alors :
« 1°/ que, d'une part, lorsque le délit de harcèlement moral résulte de méthodes de management applicables à une communauté de salariés, les agissements répétés réprimés au titre de ce délit sont ceux qui s'individualisent à l'égard de chacun des salariés, seuls ceux-ci étant susceptibles d'entraîner directement la dégradation de leurs conditions de travail ; qu'en déclarant le délit de harcèlement moral caractérisé à l'égard des dirigeants de la société [8] en retenant, non pas la commission d'agissements individualisés commis à l'égard de chacun des salariés, mais la définition d'une politique d'entreprise applicable à l'ensemble du groupe, la cour d'appel a violé le principe d'interprétation stricte de la loi pénale et les articles 111-4, 222-33-2 du code pénal et 591 du code de procédure pénale. »
Réponse de la Cour
23. Les moyens sont réunis.
24. La cour d'appel a retenu que les prévenus s'étaient rendus coupables de harcèlement moral institutionnel ou de complicité de ce délit.
25. Le harcèlement moral institutionnel a été défini par l'arrêt attaqué, par motifs adoptés, comme des agissements définissant et mettant en oeuvre une politique d'entreprise ayant pour but de structurer le travail de tout ou partie d'une collectivité d'agents, agissements porteurs, par leur répétition, de façon latente ou concrète, d'une dégradation, potentielle ou effective, des conditions de travail de cette collectivité et qui outrepassent les limites du pouvoir de direction.
26. Les juges ont encore défini la politique d'entreprise comme la politique principale des ressources humaines, composante de la politique générale de la société, déterminée par la ou les personnes qui ont le pouvoir et la capacité de faire appliquer leurs décisions aux agents et de modifier les comportements de ceux-ci.
27. Les moyens posent la question de savoir si le harcèlement moral institutionnel, ainsi défini, entre dans les prévisions de l'article 222-33-2 du code pénal.
28. La Cour de cassation juge, de façon constante, et au visa de l'article 111-4 du code pénal, que le principe de légalité des délits et des peines impose l'interprétation stricte de la loi pénale (par exemple, Crim., 25 juin 2002, pourvoi n° 00-81.359, Bull. crim. 2002, n° 144). Il se déduit de cette exigence que si le juge ne peut appliquer, par voie d'analogie ou par induction, la loi pénale à un comportement qu'elle ne vise pas, en revanche, il peut, en cas d'incertitude sur la portée d'un texte pénal, rechercher celle-ci en considérant les raisons qui ont présidé à son adoption (Crim., 5 septembre 2023, pourvoi n° 22-85.540, publié au Bulletin).
29. L'article 222-33-2 du code pénal, dans sa version applicable aux faits de l'espèce, issue de la loi n° 2002-73 du 17 janvier 2002 dite loi de modernisation sociale, incrimine le fait de harceler autrui par des agissements répétés ayant pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.
30. Ce texte distingue ainsi les agissements qui ont pour objet une dégradation des conditions de travail de ceux qui ont un tel effet.
31. La caractérisation des agissements ayant pour effet une dégradation des conditions de travail suppose que soient précisément identifiées les victimes de tels agissements. En revanche, lorsque les agissements harcelants ont pour objet une telle dégradation, la caractérisation de l'infraction n'exige pas que les agissements reprochés à leur auteur concernent un ou plusieurs salariés en relation directe avec lui ni que les salariés victimes soient individuellement désignés. En effet, dans cette hypothèse, le caractère formel de l'infraction n'implique pas la constatation d'une dégradation effective des conditions de travail.
32. En outre, le terme « autrui » peut désigner, en l'absence de toute autre précision, un collectif de salariés non individuellement identifiés.
33. Cette interprétation est conforme à la portée que le législateur a souhaité donner à cette incrimination.
34. En effet, si les travaux préparatoires à la loi n° 2002-73 du 17 janvier 2002 précitée n'abordent pas spécifiquement la question du harcèlement moral collectif ou institutionnel, ils font état de ce qu'il a été « pris connaissance avec attention » d'un avis de la Commission nationale consultative des droits de l'homme du 29 juin 2000 consacré au harcèlement moral au travail.
35. Cet avis a identifié trois formes possibles de harcèlement moral, soit le harcèlement individuel, pratiqué dans un but purement gratuit de destruction d'autrui et de valorisation de son propre pouvoir, le harcèlement professionnel organisé à l'encontre d'un ou plusieurs salariés, précisément désignés, destiné à contourner les procédures légales de licenciement et le harcèlement institutionnel qui participe d'une stratégie de gestion de l'ensemble du personnel.
36. Par ailleurs, saisi par le Premier ministre en vue de conduire une réflexion sur le harcèlement moral au travail, à la suite d'un premier débat à l'Assemblée nationale sur cette question, le Conseil économique et social a, dans un avis du 11 avril 2001, distingué « le harcèlement essentiellement individuel ou d'un petit groupe » du harcèlement « collectif, professionnel ou institutionnel, qui s'inscrit alors dans une véritable stratégie du management pour imposer de nouvelles règles de fonctionnement, de nouvelles missions ou de nouvelles rentabilités », en précisant que « le harcèlement moral pourra alors se développer au moment de restructurations, de fusions-absorptions des entreprises privées ou de changement d'orientation managériale » (avis du Conseil économique et social, 11 avril 2001, p. 52).
37. Dans ce même document, il a proposé de définir l'infraction de harcèlement moral au travail comme « tous agissements répétés visant à dégrader les conditions humaines, relationnelles, matérielles de travail d'une ou plusieurs victimes, de nature à porter atteinte à leurs droits et leur dignité, pouvant altérer gravement leur état de santé et pouvant compromettre leur avenir professionnel », précisant que cette définition rendait compte de l'ensemble des situations de harcèlement moral au travail.
38. Commentant les termes de la définition proposée « d'une ou plusieurs victimes », le Conseil économique et social a souligné que « si le harcèlement moral au travail atteint, le plus souvent, une seule personne qui devient la cible des agissements d'un seul ou de plusieurs auteurs, il n'est pas rare que le processus vise en même temps plusieurs victimes. C'est alors souvent le cas d'une stratégie globale pour imposer de nouvelles méthodes de management, pour obtenir la démission de personnels dont les caractéristiques (par exemple, l'âge) ne correspondent pas aux « besoins » de l'entreprise. Il peut s'agir aussi d'un comportement individuel abusif de l'employeur » (avis précité pp. 59 et 60).
39. Il résulte encore des travaux préparatoires que le législateur a souhaité adopter une définition de cette infraction, d'une part, « la plus large et la plus consensuelle possible » qui « s'inspire très largement de l'avis du Conseil économique et social », d'autre part, qui tienne compte de son caractère protéiforme et complexe (rapport à la commission des affaires sociales du Sénat, n° 275, 18 avril 2001, MM. Claude Huriet, Bernard Seillier, Alain Gournac et Mme Annick Bocandé).
40. Il s'ensuit que l'élément légal de l'infraction de harcèlement moral n'exige pas que les agissements répétés s'exercent à l'égard d'une victime déterminée ou dans le cadre de relations interpersonnelles entre leur auteur et la ou les victimes, pourvu que ces dernières fassent partie de la même communauté de travail et aient été susceptibles de subir ou aient subi les conséquences visées à l'article 222-33-2 du code pénal.
41. Ainsi, indépendamment de toute considération sur les choix stratégiques qui relèvent des seuls organes décisionnels de la société, constituent des agissements entrant dans les prévisions de l'article 222-33-2 du code pénal, dans sa version résultant de la loi n° 2002-73 du 17 janvier 2002, et pouvant caractériser une situation de harcèlement moral institutionnel, les agissements visant à arrêter et mettre en oeuvre, en connaissance de cause, une politique d'entreprise qui a pour objet de dégrader les conditions de travail de tout ou partie des salariés aux fins de parvenir à une réduction des effectifs ou d'atteindre tout autre objectif, qu'il soit managérial, économique ou financier, ou qui a pour effet une telle dégradation, susceptible de porter atteinte aux droits et à la dignité de ces salariés, d'altérer leur santé physique ou mentale ou de compromettre leur avenir professionnel.
42. Les moyens doivent, dès lors, être écartés.
Sur le premier moyen, pris en ses troisième et quatrième branches, proposé pour M. [XG], le premier moyen, pris en ses troisième et quatrième branches, proposé pour M. [FS], le deuxième moyen, pris en sa deuxième branche, et le cinquième moyen proposés pour Mme [CL]-[VE], et le premier moyen, pris en ses troisième et quatrième branches, proposé pour Mme [YM]
43. Le moyen proposé pour M. [XG] critique l'arrêt attaqué en ce qu'il l'a déclaré coupable de harcèlement moral institutionnel, alors :
« 3°/ qu'en affirmant, pour écarter le moyen tiré de l'imprévisibilité de l'interprétation retenue de la loi pénale à la date des faits poursuivis, que l'exigence de prévisibilité « s'applique à la loi et pas à la jurisprudence » (arrêt, p. 128, § 1, alinéa 3), quand la notion de "droit" utilisée à l'article 7 correspond à celle de "loi" qui figure dans d'autres articles de la Convention, englobe le droit d'origine tant législative que jurisprudentielle et implique des conditions qualitatives, entre autres celles de l'accessibilité et de la prévisibilité, la cour d'appel a violé les articles 7 de la Convention de sauvegarde, 111-3 et 112-1 du code pénal ;
4°/ que le principe de la légalité des délits et des peines interdit que le droit pénal soit interprété extensivement au détriment du prévenu ; qu'il en résulte que, faute au minimum d'une interprétation jurisprudentielle accessible et raisonnablement prévisible, les exigences de l'article 7 de la Convention de sauvegarde ne sauraient être regardées comme respectées ; qu'en retenant, par motifs éventuellement adoptés, que la jurisprudence antérieure et concomitante à la période de prévention avait admis la responsabilité pénale de dirigeants du chef de harcèlement moral à raison d'une politique d'entreprise, quand il en résultait au contraire une exigence dominante d'une intention de nuire et la limitation du harcèlement moral à des agissements s'inscrivant dans des relations interpersonnelles en sorte que, même en tant que professionnel qui pouvait s'entourer de conseils de juristes, il était difficile, voire impossible pour M. [XG] de prévoir l'extension de l'application du texte à une politique d'entreprise et donc de savoir, au moment où il les a commis, que ses actes pouvaient entraîner une sanction pénale, la cour d'appel a violé les articles 34 de la Constitution, 8 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, 15, § 1, du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, 6, § 1, et 7 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, 111-3, 111-4, 112-1 et 222-33-2 du code pénal. »
44. Le moyen proposé pour M. [FS] critique l'arrêt attaqué en ce qu'il l'a déclaré coupable de harcèlement moral du 1er janvier 2007 au 31 décembre 2008, condamné à une peine d'un an d'emprisonnement assortie en totalité du sursis simple, ainsi qu'à une peine d'amende de 15 000 euros et à titre de peine complémentaire à la confiscation des scellés, et sur l'action civile, a rejeté les exceptions d'irrecevabilité des constitutions de partie civile soulevées par tous les prévenus appelants, notamment par M. [FS], confirmé le jugement entrepris en ce qu'il a déclaré recevables les constitutions de partie civile des personnes physiques et morales mentionnées dans le tableau figurant pages 288 à 341 de l'arrêt attaqué, condamné M. [FS], solidairement avec M. [XG] et Mmes [VE] et [YM], à payer aux parties civiles mentionnées dans ce tableau les sommes figurant en dernière colonne, au titre des dommages et intérêts, condamné M. [FS], in solidum avec M. [XG] et Mmes [VE] et [YM], à payer aux parties civiles également mentionnées les sommes figurant en dernière colonne, au titre des dispositions de l'article 475-1 du code de procédure pénale, et ajoutant au jugement, condamné M. [FS], in solidum avec M. [XG] et Mmes [VE] et [YM], à payer aux parties civiles mentionnées dans le tableau les sommes figurant en dernière colonne, au titre des dispositions de l'article 475-1 du code de procédure pénale, en cause d'appel, alors :
« 3°/ qu'il résulte des articles 111-3 du code pénal et 7 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales que la répression pénale ne peut s'accomplir sur le fondement d'un texte qui n'était pas clair et n'a pas donné lieu, au moment des faits considérés, à une interprétation jurisprudentielle éclairante, de sorte que le justiciable ne pouvait raisonnablement prévoir que les actes qu'il a accomplis étaient répréhensibles ; qu'à supposer même, pour les besoins de la discussion, que l'article 222-33-2 du code pénal, dans sa rédaction applicable en la cause, puisse être interprété, en raison de son ambigüité, comme pouvant sanctionner le «harcèlement moral institutionnel» matérialisé par une politique générale d'entreprise ayant pour objet ou pour effet de dégrader les conditions de travail individuelles et collectives de salariés et d'agents non déterminés d'une entreprise, Monsieur [FS] ne pouvait être sanctionné pénalement sur le fondement de cette dernière disposition dont l'ambiguïté n'avait pas été levée, au moment des faits, par une interprétation jurisprudentielle ; qu'en décidant du contraire, la cour d'appel aurait donc, en toute hypothèse, violé les dispositions susvisées ;
4°/ qu'en se fondant, pour écarter « le moyen tiré de l'imprévisibilité au visa de l'article 7 de la Convention européenne de droits de l'homme », sur deux arrêts de la Cour de cassation en date des 4 octobre 2016 et 5 juin 2018 (arrêt, p. 128), soit postérieurs aux faits incriminés, la cour d'appel n'a pas justifié légalement sa décision au regard de l'article 7 de la Convention européenne des droits de l'homme, ensemble les articles 111-3 du code pénal et 593 du code de procédure pénale. »
45. Le deuxième moyen proposé pour Mme [CL]-[VE] critique l'arrêt attaqué en ce qu'il l'a déclarée coupable de complicité de harcèlement moral dans la limite de la prévention retenue par le jugement sauf à préciser que les faits ont été commis alors que la prévenue avait également la qualité de DRH France, l'a condamnée pénalement et a prononcé sur les intérêts civils, alors :
« 2°/ en toute hypothèse, que la complicité suppose un fait principal punissable ; qu'une interprétation nouvelle et imprévisible d'un texte pénal par la jurisprudence, constitutive d'un revirement de jurisprudence, ne peut s'appliquer à des faits antérieurs à la décision qui la contient sans porter atteinte au principe de sécurité juridique garanti par l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme et au principe de prévisibilité juridique découlant de l'article 7 de la même Convention ; que Mme [SI] [VE] faisait valoir devant la cour d'appel n'avoir « pu se rendre complice de l'infraction de harcèlement moral telle qu'entendue par le tribunal, le harcèlement moral institutionnel n'existant pas à l'époque des faits qui lui sont reprochés - et la consécration de celui-ci ayant été imprévisible, cette consécration du harcèlement moral institutionnel ne saurait s'appliquer de manière rétroactive aux faits [qui lui étaient reprochés] » (écritures aux fins de relaxe, p. 38, dernier §) ; que pour déclarer Mme [SI] [VE] coupable de complicité de harcèlement moral, la cour d'appel a énoncé que « [v]ainement, la défense des prévenus oppose à la cour le moyen tiré de l'imprévisibilité au visa de l'article 7 de la Convention européenne des droits de l'homme ; [qu'en] effet, cette exigence de prévisibilité s'applique à la loi et pas à la jurisprudence ; [que l]es prévenus ne peuvent invoquer pour s'abriter l'imprévisibilité du revirement de jurisprudence alors que l'interprétation du texte est au coeur de la construction du droit et relève de l'office du juge » (arrêt attaqué, p. 127, § 2 et 3) ; qu'en statuant ainsi, la cour d'appel a violé les principes de sécurité juridique et de prévisibilité juridique découlant des articles 6 et 7 de la Convention européenne des droits de l'homme, ensemble le principe de légalité des délits et des peines et de non-rétroactivité de la loi pénale plus sévère. »
46. Le cinquième moyen proposé pour Mme [CL]-[VE] critique l'arrêt attaqué en ce qu'il l'a déclarée coupable de complicité de harcèlement moral dans la limite de la prévention retenue par le jugement sauf à préciser que les faits ont été commis alors que la prévenue avait également la qualité de DRH France, l'a condamnée pénalement et a prononcé sur les intérêts civils, alors « qu'en se fondant, pour écarter « le moyen tiré de l'imprévisibilité au visa de l'article 7 de la Convention européenne de droits de l'homme », sur deux arrêts de la Cour de cassation en date des 4 octobre 2016 et 5 juin 2018 (arrêt, p. 128), soit postérieurs aux faits incriminés, la cour d'appel n'a pas justifié légalement sa décision au regard de l'article 7 de la Convention européenne des droits de l'homme, ensemble les articles 111-3 du code pénal et 593 du code de procédure pénale. »
47. Le moyen proposé pour Mme [YM] critique l'arrêt attaqué en ce qu'il l'a déclarée coupable de complicité de harcèlement moral, alors :
« 3°/ qu'en tout état de cause, une interprétation jurisprudentielle nouvelle plus sévère ne peut trouver à s'appliquer aux prévenus faute d'avoir été raisonnablement prévisible au moment des faits ; que l'article 222-33-2 du Code pénal n'a jamais permis de condamner des agissements insusceptibles d'entraîner directement la dégradation des conditions de travail faute d'avoir été individualisés à l'égard des salariés ; qu'en déclarant pourtant les prévenus coupables de harcèlement moral pour avoir défini une politique d'entreprise s'appliquant de façon indifférenciée à une communauté de salariés et n'ayant qu'indirectement entraîné la dégradation de leurs conditions de travail, la cour d'appel a violé l'article 7 de la Convention européenne des droits de l'homme ;
4°/ qu'au surplus, en appliquant aux prévenus une interprétation jurisprudentielle plus sévère qui n'était pas raisonnablement prévisible au moment de faits, aux motifs erronés que « l'exigence de prévisibilité s'applique à la loi et pas à la jurisprudence » (arrêt, p. 128, § 3), la cour d'appel a encore violé l'article 7 de la Convention européenne des droits de l'homme. »
Réponse de la Cour
48. Les moyens sont réunis.
49. La Cour européenne des droits de l'homme juge que l'article 7 de la Convention européenne des droits de l'homme n'a pas pour unique objet de prohiber l'application rétroactive du droit pénal au désavantage de l'accusé mais consacre aussi, d'une manière plus générale, le principe de la légalité des délits et des peines et celui qui commande de ne pas appliquer la loi pénale de manière extensive au détriment de l'accusé, notamment par analogie.
50. Elle en déduit qu'une infraction doit être clairement définie par la loi et que cette condition est satisfaite lorsque le justiciable peut savoir, à partir du libellé de la disposition pertinente et, au besoin, à l'aide de son interprétation par les tribunaux, le cas échéant après avoir recouru à des conseils éclairés, quelles actions et omissions engagent sa responsabilité pénale.
51. Elle précise, à cet égard, que la notion de « droit » utilisée à l'article 7 précité englobe le droit d'origine tant législative que jurisprudentielle et implique des conditions qualitatives, notamment celles d'accessibilité et de prévisibilité.
52. Pour autant, selon la Cour européenne des droits de l'homme, l'article 7 de la Convention ne saurait être interprété comme proscrivant la clarification graduelle des règles de la responsabilité pénale par l'interprétation judiciaire d'une affaire à l'autre, à condition que le résultat soit cohérent avec la substance de l'infraction et raisonnablement prévisible. A la différence des cas de revirement de jurisprudence, une interprétation de la portée d'une infraction qui se trouve être cohérente avec la substance de cette infraction doit, en principe, être considérée comme prévisible.
53. Pour déterminer si une interprétation large donnée de la loi par les juridictions internes était raisonnablement prévisible, la Cour européenne des droits de l'homme recherche si l'interprétation en question correspondait à une ligne perceptible de jurisprudence, ou si son application dans des circonstances élargies cadrait néanmoins avec la substance de l'infraction (en dernier lieu, CEDH, arrêt du 9 juillet 2024, Delga c. France, n° 8998/20).
54. En l'espèce, c'est à tort que, pour écarter les moyens pris de la méconnaissance du principe de prévisibilité juridique garanti par l'article 7 précité, la cour d'appel retient que ce principe s'applique à la loi et non à la jurisprudence.
55. C'est également à tort qu'elle s'appuie sur deux arrêts du 4 octobre 2016 (Crim., 4 octobre 2016, pourvoi n° 16-81.200) et du 5 juin 2018 (Crim., 5 juin 2018, pourvoi n° 17-87.524) précédemment rendus par la Cour de cassation dans la présente procédure dès lors que la prévisibilité de l'interprétation jurisprudentielle doit s'apprécier au moment des faits objet de la prévention.
56. L'arrêt n'encourt cependant pas la censure pour les motifs qui suivent.
57. D'une part, la Cour de cassation n'a jamais interprété l'infraction comme exigeant, dans toutes les situations, qu'un rapport de travail direct et individualisé entre la personne poursuivie pour harcèlement et sa ou ses victimes soit constaté, et que les agissements qui lui sont imputés soient identifiés salarié par salarié. Elle n'a pas davantage exclu que le harcèlement moral puisse revêtir une dimension collective.
58. D'autre part, si la notion de harcèlement moral institutionnel résultant de la mise en oeuvre d'une politique d'entreprise procède de l'application de l'incrimination à une situation factuelle nouvelle, elle ne constitue qu'une des modalités de harcèlement moral, infraction définie par l'article 222-33-2 du code pénal dans des termes visant à protéger les membres de la communauté de travail de toutes les formes de harcèlement, quel qu'en soit le mode opératoire.
59. Il se déduit de ces éléments, et des travaux préparatoires rappelés aux paragraphes 34 à 39, que l'application de l'incrimination à une situation nouvelle, qui ne constitue pas un revirement de jurisprudence, n'était pas imprévisible au sens de l'article 7 de la Convention européenne des droits de l'homme, de surcroît pour des professionnels comme les dirigeants du groupe [8], ayant la possibilité de s'entourer des conseils éclairés de juristes.
60. Il s'en infère que c'est sans méconnaître le principe de prévisibilité juridique que les juges du fond ont considéré que le harcèlement moral institutionnel entrait dans les prévisions de l'article 222-33-2 du code pénal et était dès lors susceptible d'être opposé aux prévenus.
61. Les moyens doivent être écartés.
Sur le deuxième moyen proposé pour M. [XG], le premier moyen, pris en sa deuxième branche, proposé pour M. [FS], le troisième moyen, pris en sa deuxième branche, et le quatrième moyen proposés pour Mme [CL]-[VE], le premier moyen, pris en sa deuxième branche, et le deuxième moyen proposés pour Mme [YM]
Enoncé des moyens
62. Le moyen proposé pour M. [XG] critique l'arrêt attaqué en ce qu'il l'a déclaré coupable de harcèlement moral, alors :
« 1°/ que nul n'est pénalement responsable que de son propre fait ; que la condamnation du chef de harcèlement moral suppose la caractérisation d'actes positifs accomplis par le prévenu et dirigés contre des salariés déterminés ; qu'en se fondant essentiellement, pour déclarer M. [XG] coupable de harcèlement moral, sur le fait qu'il avait maintenu un objectif de déflation des effectifs (arrêt, p. 135, dernier paragraphe, derniers alinéas ; p. 143, dernier alinéa) et qu'il s'était abstenu de réagir à des propos tenus par des tiers en février et en octobre 2006 (arrêt, p. 133, § 3 ; p. 134, § 1, alinéa 2), et en se déterminant ainsi par des motifs impropres à caractériser des agissements constitutifs de harcèlement sur la période de prévention, la cour d'appel n'a pas légalement justifié sa décision au regard des articles 111-4, 121-1 et 222-33-2 du code pénal ;
2°/ que la condamnation du chef de harcèlement moral suppose la caractérisation d'actes réitérés accomplis par le prévenu et dirigés contre des salariés déterminés ; qu'en se fondant, pour entrer en voie de condamnation, sur les seuls propos « tout va bien, nous avons notre destin en main, à condition de mettre la pression » prêtés à M. [XG] et qui auraient été tenus en comité de direction le 25 février 2008 (arrêt, p. 132, alinéa 6), sans constater qu'ils auraient été réitérés et quand il résulte au surplus de ces constatations qu'ils n'étaient pas adressés à des fonctionnaires ou des salariés de l'entreprise, la cour d'appel n'a pas légalement justifié sa décision au regard des articles 111-4, 121-1 et 222-33-2 du code pénal ;
3°/ qu'en retenant, pour entrer en voie de condamnation, que les formes de harcèlement avait été « pour partie décidées au niveau de l'équipe dirigeante de [[8]], sous l'égide du Codirg [comité de direction générale, composé de neuf membres], auquel participai[t] [NL] [XG] [?], et pour partie la conséquence directe de décisions de l'équipe dirigeante » (arrêt, p. 139, dernier paragraphe), sans établir l'existence d'agissements répétés directement imputables à M. [XG] à l'égard de chacun des fonctionnaires et salariés de [8], la cour d'appel a violé l'article 121-1 et 222-33-2 du code pénal et, par fausse application, l'article 222-33-2-2 du même code ;
4°/ qu'il n'y a point de crime ou de délit sans intention de le commettre ; que le harcèlement moral reposant sur des agissements répétés ayant pour objet la dégradation des conditions de travail requiert la caractérisation de l'intention d'obtenir un tel résultat ; qu'en affirmant, en droit, que « l'intention [est] rapportée dès que l'auteur [a] conscience d'une possible dégradation des conditions de travail. Il faut et il suffit que "Le prévenu [ait] réalisé consciemment des actes coupables en pleine connaissance de leurs conséquences possibles" » (arrêt, p. 140, § 3) et en ne se fondant, en fait, que sur « [l]a conscience [par M. [XG]] de l'objet devenu harcelant et des effets créés par le climat anxiogène » (arrêt, p. 144, § 1, alinéa 2), la cour d'appel, qui s'est dispensée de caractériser l'intention du prévenu de dégrader les conditions de travail des personnels de [8], a violé les articles 7 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, 121-3 et 222-33-2 du code pénal. »
63. Le moyen proposé pour M. [FS] critique l'arrêt attaqué en ce qu'il l'a déclaré coupable de harcèlement moral du 1er janvier 2007 au 31 décembre 2008, condamné à une peine d'un an d'emprisonnement assortie en totalité du sursis simple, ainsi qu'à une peine d'amende de 15 000 euros et à titre de peine complémentaire à la confiscation des scellés, et sur l'action civile, a rejeté les exceptions d'irrecevabilité des constitutions de partie civile soulevées par tous les prévenus appelants, notamment par M. [FS], confirmé le jugement entrepris en ce qu'il a déclaré recevables les constitutions de partie civile des personnes physiques et morales mentionnées dans le tableau figurant pages 288 à 341 de l'arrêt attaqué, condamné M. [FS], solidairement avec M. [XG] et Mmes [VE] et [YM], à payer aux parties civiles mentionnées dans ce tableau les sommes figurant en dernière colonne, au titre des dommages et intérêts, condamné M. [FS], in solidum avec M. [XG] et Mmes [VE] et [YM], à payer aux parties civiles également mentionnées les sommes figurant en dernière colonne, au titre des dispositions de l'article 475-1 du code de procédure pénale, et ajoutant au jugement, condamné M. [FS], in solidum avec M. [XG] et Mmes [VE] et [YM], à payer aux parties civiles mentionnées dans le tableau les sommes figurant en dernière colonne, au titre des dispositions de l'article 475-1 du code de procédure pénale, en cause d'appel, alors :
« 2°/ que pour déclarer [ZL] [FS] coupable de harcèlement moral du 1er janvier 2007 au 31 décembre 2008, la cour d'appel a retenu que constituaient des agissements répréhensibles le maintien des objectifs fixés (essentiellement le nombre de départs), à titre impératif, dans des conditions, résultant des décisions prises par l'équipe dirigeante à laquelle appartenait Monsieur [FS] et de la mise en place du plan NExT, à l'origine d'un « climat d'insécurité permanente » et une déstabilisation des personnels, tenant à l'absence de remontées suffisantes, à la pression mise à l'échelon local sur les managers, à une « tentative de verticaliser les fonctions de ressources humaines » aboutissant à éloigner les salariés des ressources humaines et à laisser ceux-ci isolés face à un manager ; qu'en statuant comme elle l'a fait, sans établir ni l'existence d'agissements répétés directement imputables au prévenu à l'égard de chacun des salariés et agents visés dans la prévention, ni caractériser en quoi les agissements établis auraient eu pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de vie des victimes se traduisant par une altération de leur santé physique ou mentale, la cour d'appel n'a pas justifié légalement sa décision au regard de l'article 222-33-2 du code pénal, dans sa rédaction applicable en la cause, ensemble l'article 593 du code de procédure pénale. »
64. Le troisième moyen proposé pour Mme [CL]-[VE] critique l'arrêt attaqué en ce qu'il l'a déclarée coupable de complicité de harcèlement moral dans la limite de la prévention retenue par le jugement sauf à préciser que les faits ont été commis alors que la prévenue avait également la qualité de DRH France, l'a condamnée pénalement et a prononcé sur les intérêts civils, alors :
« 2°/ que, en déclarant le délit de harcèlement moral caractérisé à l'égard des dirigeants de la société [8] ayant défini la politique d'entreprise incriminée, tout en constatant que la dégradation des conditions de travail des personnels résultait des comportements managériaux traduisant, sur le terrain, la mise en oeuvre de cette politique, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences de ses propres constatations, en violation du principe de responsabilité pénale personnelle et des articles 121-1, 222-33-2 du code pénal et 591 du code de procédure pénale. »
65. Le quatrième moyen proposé pour Mme [CL]-[VE] critique l'arrêt attaqué en ce qu'il l'a déclarée coupable de complicité de harcèlement moral dans la limite de la prévention retenue par le jugement sauf à préciser que les faits ont été commis alors que la prévenue avait également la qualité de DRH France, l'a condamnée pénalement et a prononcé sur les intérêts civils, alors :
« 1°/ qu'en déclarant le délit de harcèlement moral caractérisé à l'égard des dirigeants de la société [8] notamment aux motifs que « la faute la plus importante a été de maintenir quoi qu'il en soit les objectifs [de réduction des effectifs], avec le passage d'un objectif indicatif à un objectif impératif » (arrêt, p. 135, § 7), lorsque la définition d'un objectif de réduction des effectifs, qu'il soit indicatif ou impératif, résulte d'un choix discrétionnaire de gestion qui relève par nature de l'exercice du pouvoir direction, la cour d'appel a violé les articles 222-33-2 du code pénal et 591 du code de procédure pénale ;
2°/ qu'en déclarant le délit de harcèlement moral caractérisé à l'égard des dirigeants de la société [8], en retenant d'un côté que « l'opportunité du chiffre de 22 000 départs était hors [du] champ d'appréciation [de la cour] tant sur l'élément matériel que moral, et qu'elle faisait partie du pouvoir de direction » et qu' « il n'est pas reproché [aux auteurs principaux] le nombre de départs ou d'embauches à réaliser pour améliorer la compétitivité de la société, mais bel et bien la méthode utilisée pour y parvenir » (arrêt, p. 134, § 4) et de l'autre que « la faute la plus importante a été de maintenir quoiqu'il en soit les objectifs, avec le passage d'un objectif indicatif à un objectif impératif » (arrêt, p. 135, § 7), la cour d'appel qui s'est prononcée par des motifs contradictoires n'a pas justifié sa décision au regard des articles 222-33-2 du code pénal et 593 du code de procédure pénale ;
3°/ que la cassation de l'arrêt en ses dispositions relatives à la caractérisation du délit de harcèlement moral sera nécessairement étendue aux dispositions indivisibles de l'arrêt relatives à la déclaration de culpabilité de Mme [CL]-[VE] du chef de complicité de ce délit. »
66. Le premier moyen proposé pour Mme [YM] critique l'arrêt attaqué en ce qu'il l'a déclarée coupable de complicité de harcèlement moral, alors :
« 2°/ que, d'autre part, en déclarant le délit de harcèlement moral caractérisé à l'égard des dirigeants de la société [8] ayant défini la politique d'entreprise incriminée, tout en constatant que la dégradation des conditions de travail des personnels résultait des comportements managériaux traduisant, sur le terrain, la mise en oeuvre de cette politique, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences de ses propres constatations, en violation du principe de responsabilité pénale personnelle et des articles 121-1, 222-33-2 du Code pénal et 591 du Code de procédure pénale. »
67. Le deuxième moyen proposé pour Mme [YM] critique l'arrêt attaqué en ce qu'il l'a déclarée coupable de complicité de harcèlement moral, alors :
« 1°/ qu'en déclarant le délit de harcèlement moral caractérisé à l'égard des dirigeants de la société [8] notamment aux motifs que « la faute la plus importante a été de maintenir quoiqu'il en soit les objectifs [de réduction des effectifs], avec le passage d'un objectif indicatif à un objectif impératif » (arrêt, p. 135, § 7), lorsque la définition d'un objectif de réduction des effectifs, qu'il soit indicatif ou impératif, résulte d'un choix discrétionnaire de gestion qui relève par nature de l'exercice du pouvoir direction, la cour d'appel a violé les articles 222-33-2 du Code pénal et 591 du Code de procédure pénale ;
2°/ qu'en déclarant le délit de harcèlement moral caractérisé à l'égard des dirigeants de la société [8], en retenant d'un côté que « l'opportunité du chiffre de 22 000 départs était hors [du] champ d'appréciation [de la cour] tant sur l'élément matériel que moral, et qu'elle faisait partie du pouvoir de direction » et qu' « il n'est pas reproché [aux auteurs principaux] le nombre de départs ou d'embauches à réaliser pour améliorer la compétitivité de la société, mais bel et bien la méthode utilisée pour y parvenir » (arrêt, p. 134, § 4) et de l'autre que « la faute la plus importante a été de maintenir quoiqu'il en soit les objectifs, avec le passage d'un objectif indicatif à un objectif impératif » (arrêt, p. 135, § 7), la cour d'appel qui s'est prononcée par des motifs contradictoires n'a pas justifié sa décision au regard des articles 222-33-2 du code pénal et 593 du code de procédure pénale ;
3°/ que, lorsque le délit de harcèlement moral résulte de la commission d'agissements répétés ayant eu pour effet la dégradation des conditions de travail, il est nécessaire de constater la dégradation des conditions de travail de chacune des victimes à l'égard desquelles le prévenu est déclaré coupable ; qu'en déclarant les prévenus coupables de harcèlement moral pour avoir commis des agissements répétés ayant eu pour effet la dégradation des conditions de travail de « tous les salariés de tous les établissements du groupe dans lesquels étaient recherchés ou pratiqués la déstabilisation des salariés » (arrêt, p. 167, § 6), sans caractériser à l'égard de chacun la dégradation effective de leurs conditions de travail, la cour d'appel n'a pas justifié sa décision au regard des articles 222-33-2 du code pénal et 593 du code de procédure pénale ;
4°/ que, lorsque le délit de harcèlement moral résulte de la commission d'agissements répétés ayant eu pour effet la dégradation des conditions de travail, il est nécessaire de constater que cette dégradation des conditions de travail est intervenue au cours de la période de prévention ; qu'en déclarant les prévenus coupables de harcèlement moral pour avoir commis des agissements répétés ayant eu pour effet la dégradation des conditions de travail de « tous les salariés de tous les établissements du groupe dans lesquels étaient recherchés ou pratiqués la déstabilisation des salariés » (arrêt, p. 167, § 6), sans rechercher si la dégradation de leurs conditions de travail était intervenue au cours de la période de prévention, la cour d'appel n'a pas mis la Cour de cassation en mesure de contrôler la légalité de sa décision au regard des articles préliminaire, 388, 512 du Code de procédure pénale et 6 de la Convention européenne des droits de l'homme ;
5°/ que, la cassation de l'arrêt en ses dispositions relatives à la caractérisation du délit de harcèlement moral sera nécessairement étendue aux dispositions indivisibles de l'arrêt relatives à la déclaration de culpabilité de Mme [YM] du chef de complicité de ce délit. »
Réponse de la Cour
68. Les moyens sont réunis.
69. Pour déclarer MM. [XG] et [FS] coupables de harcèlement moral pour la période retenue par le tribunal correctionnel, soit du 1er janvier 2007 au 31 décembre 2008, l'arrêt attaqué énonce qu'il convient de rechercher si ces prévenus peuvent se voir reprocher une telle infraction en raison non pas de leurs relations individuelles avec les salariés mais de la politique d'entreprise qu'ils ont conçue et mise en oeuvre.
70. Les juges précisent que si l'opportunité d'une telle politique, qui relève du pouvoir de direction, échappe à leur appréciation, ils doivent examiner la méthode utilisée pour la mettre en oeuvre afin de déterminer si elle excède le pouvoir normal de direction et de contrôle du chef d'entreprise.
71. Examinant l'objet du plan NExT, ils exposent, par motifs propres et adoptés, qu'afin d'assurer une croissance rentable à l'entreprise, ce plan était fondé, notamment, sur une politique de déflation des effectifs qui, alors que tel n'était pas le cas initialement, a eu, à partir d'octobre 2006, pour objet une dégradation des conditions de travail afin de contraindre les salariés à la mobilité ou au départ.
72. Ils constatent que cette politique, qui reposait sur la création d'un climat anxiogène, s'est concrétisée par la mise en oeuvre de trois agissements spécifiques : la pression donnée au contrôle des départs dans le suivi des effectifs à tous les niveaux de la chaîne hiérarchique, la prise en compte des départs dans la rémunération des membres de l'encadrement et le conditionnement de la hiérarchie intermédiaire à la déflation des effectifs lors des formations dispensées.
73. Ils observent que ces agissements, qui ont excédé très largement le pouvoir normal de direction et de contrôle du chef d'entreprise, se sont poursuivis et répétés au cours des deux années suivantes et qu'ils constituent, par leur nature même, autant d'agissements réitérés dont l'objet voulu était une dégradation des conditions de travail.
74. Ils relèvent que la faute la plus importante a été de passer d'un objectif indicatif à un objectif impératif devant être atteint « coûte que coûte », alors que les salariés, dans leur immense majorité fonctionnaires, ne pouvaient faire l'objet d'un licenciement économique, ce qui a créé un climat anxiogène pour la totalité du personnel, avec la validation du « crash program », destiné à accélérer le mouvement naturel de départs à la retraite, selon une décision arrêtée au plus haut niveau de pilotage de la société.
75. Ils soulignent également qu'en raison de la pression résultant de ces agissements, de façon indivisible avec ces derniers, les managers du niveau territorial local ont à leur tour employé diverses méthodes visées à la prévention pour contraindre leurs collègues à quitter l'entreprise ou à être mobiles, de telles méthodes ayant été soit décidées au niveau de l'équipe dirigeante de [8], sous l'égide du comité de direction générale (CODIRG), dont étaient membres MM. [XG] et [FS], soit la conséquence directe de décisions de l'équipe dirigeante.
76. Ils précisent que la responsabilité pénale personnelle des dirigeants poursuivis repose, d'une part, sur la décision partagée de mener une telle politique de déflation des effectifs à marche forcée fondée sur les agissements harcelants précités, d'autre part, sur une mise en oeuvre coordonnée de cette politique et, enfin, sur un suivi vigilant pendant trois ans.
77. Ils concluent que l'accélération impérative de la déflation des effectifs dans un délai contraint, les modalités utilisées, les « retombées en cascade » et le « ruissellement » sur les salariés de ces méthodes aux conséquences anxiogènes, sans égard pour leur sort, en dépit des alertes syndicales et en particulier de l'exercice par six syndicats d'un droit d'alerte en juillet 2007 pour « mise en danger de la santé des salariés », ont constitué des agissements répétés étrangers au pouvoir de direction et de contrôle.
78. Ils ajoutent que l'annonce de suicides, notamment quatre durant le seul mois de mai 2008, n'a pas empêché la poursuite du plan NExT et du programme ACT jusqu'à la fin de l'année 2008.
79. Sur la responsabilité personnelle des prévenus, s'agissant de M. [XG], ils relèvent qu'il a initié le plan de réduction massif des effectifs dans un délai très contraint et que, lors de la présentation dudit plan à l'association [7] ([7]) en octobre 2006, il a revendiqué son implication non seulement dans la fixation des objectifs de déflation mais aussi dans la mise en place des organes de contrôle et des méthodes de gestion nécessaires à sa mise en oeuvre, qui se traduiront sur le terrain par des comportements managériaux ayant pour objet de dégrader les conditions de travail.
80. Ils exposent qu'il a assuré un suivi de cette mise en oeuvre, donnant notamment des instructions de « pressions » qui se sont poursuivies, durant la période de prévention, en dépit des alertes et qui sont dans le prolongement de la demande faite en 2006 à M. [C] de réaliser un « crash program ».
81. Ils constatent que M. [XG] a décidé de maintenir cette politique de réduction d'effectifs et de mobilité interne, en dépit des dégâts humains, alors qu'il avait connaissance de la pyramide des âges et de la disparition du dispositif de congé de fin de carrière des fonctionnaires.
82. S'agissant de M. [FS], les juges relèvent que, au même titre que M. [XG], il a gardé le suivi et le contrôle des opérations tout au long de la période des faits délimitée par les premiers juges, a assuré ainsi une exécution effective de la déflation en veillant à ce que l'objectif soit réparti et décliné pour, et par, chacune des onze directions territoriales et, lors d'une interview en 2017, a reconnu mettre la pression « tout le temps », sans laisser de marge de manoeuvre et a eu connaissance des initiatives prises localement par les managers.
83. Ils en concluent que les faits précités démontrent de la part des deux prévenus une participation active à la commission de l'infraction qui va largement au-delà d'une simple fourniture d'instructions.
84. Enfin, pour caractériser l'élément intentionnel, ils relèvent, en substance, en s'appuyant notamment sur les propos tenus par MM. [XG] et [FS], leur expérience professionnelle antérieure et leur connaissance ancienne et approfondie de l'entreprise [8], qu'ils ont agi en connaissance de cause et avec lucidité, gardant le suivi de la politique de déflation et mesurant ses résultats.
85. Ils retiennent la connaissance par MM. [XG] et [FS] des effets négatifs du maintien de la méthode sur la santé des personnels du groupe et sur leurs conditions de travail, la dégradation de celles-ci étant illustrée de manière importante par différents rapports d'expertise qui ont mis en évidence une montée du stress, des tensions et du mal-être au travail, une dislocation/fragmentation des collectifs de travail en recomposition quasi permanente, des routines organisationnelles à se réapproprier, des états de détresse pour le personnel, des pertes de repères et une défaillance des systèmes de prévention des risques psychosociaux.
86. En se déterminant ainsi, la cour d'appel a caractérisé à l'encontre de MM. [XG] et [FS] le délit de harcèlement moral, fait principal de la complicité reprochée à Mmes [CL]-[VE] et [YM], pour les motifs qui suivent.
87. En premier lieu, s'agissant de M. [XG], c'est par des motifs dénués d'insuffisance comme de contradiction, relevant de leur pouvoir souverain d'appréciation des faits, que les juges ont estimé que les agissements répétés qu'ils ont énumérés, qui se sont déroulés tout au long de la période de prévention et sont éclairés par des faits antérieurs à celle-ci, étaient constitutifs d'une stratégie délibérée de harcèlement conçue au plus haut niveau de l'entreprise, dont le prévenu a assuré par des actes positifs la mise en oeuvre, par la voie hiérarchique, au prix d'une dégradation assumée des conditions de travail de l'ensemble des agents, de sorte qu'ils ont, à juste titre, conclu que le prévenu s'était rendu coupable de l'élément matériel du délit de harcèlement moral par objet comme par effet.
88. En second lieu, s'agissant de M. [FS], les juges ont exactement déduit que les agissements de l'intéressé, tels qu'ils les ont souverainement appréciés, qui se sont étalés sur plusieurs années, et ont consisté à mettre en oeuvre, par des actes positifs, la politique d'entreprise définie au sein des instances dirigeantes de [8] qu'il a revendiquée et dont il a veillé à la déclinaison dans les entités du groupe relevant de sa direction, étaient également constitutifs de l'élément matériel du harcèlement moral, tant par l'objet de ses agissements que par leur effet.
89. En outre, en retenant que MM. [XG] et [FS] avaient connaissance des effets négatifs du maintien de la méthode adoptée sur la santé des agents du groupe et sur leurs conditions de travail, les juges ont caractérisé sans insuffisance l'élément intentionnel du délit pour chacun des prévenus.
90. Ainsi, les juges ont établi que les décisions prises par les prévenus ainsi que les propos publics qu'ils ont tenus au cours de la période de prévention, qui démontraient une conduite du groupe dépassant les limites admissibles de leur pouvoir de direction et de contrôle respectif, étaient constitutifs d'un harcèlement moral institutionnel.
91. Les moyens ne peuvent qu'être écartés.
Sur le troisième moyen, pris en ses deuxième à quatrième branches, proposé pour Mme [YM]
Enoncé du moyen
92. Le moyen proposé pour Mme [YM] critique l'arrêt attaqué en ce qu'il l'a déclarée coupable de complicité de harcèlement moral, alors :
« 2°/ que d'autre part, le prévenu ne peut être déclaré coupable de complicité de harcèlement moral, pour avoir mis en oeuvre la politique d'entreprise incriminée dans le service dont il assure la direction, qu'à l'égard des agents placés sous son autorité hiérarchique ; qu'en déclarant la prévenue coupable de complicité de harcèlement moral commis à l'égard de tous les salariés de tous les établissements du groupe dans lesquels étaient recherchés ou pratiqués la déstabilisation des salariés, tout en constatant qu'elle avait servi de relai ayant permis la diffusion de la politique d'entreprise (arrêt, p. 146, § 3), pour sa part uniquement au niveau des Directions territoriales, la cour d'appel a violé les articles 121-7, 222-33-2 du code pénal, ensemble l'article 591 du code de procédure pénale ;
3°/ qu'en outre, en déclarant la prévenue coupable de complicité de harcèlement moral commis entre le 1er janvier 2007 et le 31 décembre 2008, au préjudice notamment des salariés relevant des Directions Territoriales, sans constater que la dégradation de leurs conditions de travail est intervenue au cours de la période à laquelle elle assurait la direction de ce service, la cour d'appel n'a pas justifié sa décision au regard des articles 121-7, 222-33-2 du code pénal et de 593 du code de procédure pénale ;
4°/ qu'enfin déclarant que la prévenue avait sciemment facilité la consommation du délit de harcèlement moral aux motifs qu'elle n'a pas matérialisé son désaccord envers la politique d'entreprise auprès de son supérieur hiérarchique (arrêt, p. 155, in fine), la cour d'appel, qui a ajouté à la loi une condition qu'elle ne prévoit pas, a méconnue les articles 121-7, 222-33-2 du Code pénal, ensemble l'article 591 du code de procédure pénale. »
Réponse de la Cour
93. Pour confirmer le jugement et déclarer Mme [YM] coupable de complicité de harcèlement moral, l'arrêt attaqué, qui se réfère à sa motivation précédemment exposée relative à l'élément légal et aux contours de l'infraction reprochée, énonce que les pressions diverses ayant abouti à des mobilités fonctionnelles ou/et géographiques forcées n'ont pu prospérer que par des relais présents dans toutes les structures du groupe.
94. Les juges retiennent qu'à la stratégie ferme définie par le CODIRG s'est ajouté le suivisme des directions et services des ressources humaines dont les procédures et méthodes ont infusé dans toute la politique managériale.
95. Ils relèvent à ce titre le rôle de la prévenue auprès de M. [FS], notamment par sa participation à la convention du 20 octobre 2006 de l'[7] à la [9], où elle a affiché sa priorité de « réussir ACT ».
96. Ils soulignent que l'intéressée a notifié aux directeurs territoriaux et aux cadres supérieurs des objectifs de départs de l'entreprise à réaliser, qui ont eu pour effet de dégrader les conditions de travail des personnels.
97. Ils notent que Mme [YM] ne peut prétendre que le document trouvé dans l'ordinateur de son assistante, qui assigne à tous les acteurs de la chaîne managériale un nombre minimum de départs dans leurs « objectifs solidarité », constitue uniquement un document de travail sans impact concret, ou un simple cadrage global avec « un ordre de grandeur », alors qu'il a été diffusé, accompagné d'un courriel explicatif du 18 décembre 2006, de sorte que l'assignation à tous les échelons hiérarchiques et notamment aux managers locaux d'objectifs de départs, avec des réunions organisées très fréquemment pour « mettre la pression », a eu des conséquences dévastatrices en termes de harcèlement moral.
98. Ils relèvent que le fait que la prévenue ait notamment signé plusieurs courriers dans lesquels elle notifiait aux directeurs territoriaux le montant de leur part variable et revendiqué une marge de manoeuvre pour aboutir à des décisions plus favorables témoigne de la réalité de son pouvoir décisionnaire, aux côtés de M. [FS].
99. Les juges en concluent que la prévenue, présentée dans un document intitulé « note d'appréciation sur les N-1 du Comité de direction générale » à l'intention de M. [WA] [UV], successeur de M. [XG], comme une figure emblématique du mode de gestion « à la [ZL] [FS] », a décidé volontairement de faciliter la commission de l'infraction reprochée, en connaissance de cause, en notifiant des objectifs de départ élevés aux directeurs territoriaux, et en prônant des méthodes de management harcelantes, ce, en diverses occasions, y compris lors de formations, de sorte qu'elle s'est rendue complice du délit de harcèlement moral.
100. En se déterminant ainsi, par des motifs exempts d'insuffisance comme de contradiction, procédant de son appréciation souveraine des faits et circonstances de la cause et des éléments de preuve produits au débat, la cour d'appel, qui a exactement relevé les éléments d'aide et d'assistance aux auteurs du harcèlement moral dont s'est rendue coupable l'intéressée, a justifié sa décision sans encourir les griefs allégués.
101. En effet, en premier lieu, il importe peu que Mme [YM] ait été déclarée coupable de complicité de harcèlement moral à l'encontre de l'ensemble des salariés de [8] dès lors que ladite société ainsi que ses dirigeants ont été déclarés coupables pour des agissements ayant pour objet de dégrader les conditions de travail de l'ensemble des membres de cette communauté de travail.
102. En second lieu, il est également indifférent que les effets sur les conditions de travail invoqués soient survenus après qu'elle eut quitté ses fonctions.
103. Le moyen doit être rejeté.
Sur le troisième moyen, pris en sa deuxième branche, proposé pour M. [XG] et le sixième moyen, pris en sa première branche, proposé pour Mme [CL]-[VE]
Enoncé des moyens
104. Le moyen proposé pour M. [XG] critique l'arrêt attaqué en ce qu'il l'a déclaré coupable de harcèlement moral, alors :
« 2°/ que la cour d'appel a retenu, pour renvoyer M. [XG] des fins de la poursuite du chef de harcèlement à l'égard de Mme [FU] [A], Mme [RO] [KK], [TL] [FZ] et Mme [TW] [EK], que ces salariées et fonctionnaires, présentes dans l'entreprise sur la période de prévention, n'avait pas été victimes d'agissements répétés ayant pour objet la dégradation de leurs conditions de travail ; qu'en retenant au contraire, pour déclarer le même prévenu coupable de harcèlement moral institutionnel, qu'il avait commis des agissements ayant pour objet la dégradation des conditions de travail de « tous les agents de [8] » (arrêt, p. 136, § 1, alinéa 6 ; p. 167, § 3, pénultième alinéa), la cour d'appel, qui s'est contredite, a violé l'article 593 du code de procédure pénale. »
105. Le moyen proposé pour Mme [CL]-[VE] critique l'arrêt attaqué en ce qu'il l'a déclarée coupable de complicité de harcèlement moral dans la limite de la prévention retenue par le jugement sauf à préciser que les faits ont été commis alors que la prévenue avait également la qualité de DRH France, l'a condamnée pénalement et a prononcé sur les intérêts civils, alors :
« 1°/ que la cour d'appel a retenu, pour renvoyer Mme [CL]-[VE] des fins de la poursuite du chef de harcèlement à l'égard de Mme [FU] [A], Mme [RO] [KK], [TL] [FZ] et Mme [TW] [EK], que ces salariées et fonctionnaires, présentes dans l'entreprise sur la période de prévention, n'avaient pas été victimes d'agissements répétés ayant pour objet la dégradation de leurs conditions de travail ; qu'en retenant au contraire, pour déclarer la même prévenue coupable de complicité de harcèlement moral institutionnel, qu'elle avait commis des agissements ayant pour objet la dégradation des conditions de travail de « tous les agents de [8] » (arrêt, p. 136, § 1, alinéa 6; p. 167, § 3, pénultième alinéa), la cour d'appel, qui s'est contredite, a violé l'article 593 du code de procédure pénale. »
Réponse de la Cour
106. Les moyens sont réunis.
107. Les griefs, en ce qu'ils invoquent une irrégularité de l'arrêt qui n'est pas de nature à faire grief aux prévenus relaxés du chef de harcèlement moral ou de complicité de ce délit à l'égard de Mmes [TW] [EK], [FU] [A], [RO] [KK] et [TL] [FZ], sont irrecevables.
Sur le troisième moyen, pris en sa troisième branche, proposé pour M. [XG], et le sixième moyen, pris en sa seconde branche, proposé pour Mme [CL]-[VE]
Enoncé des moyens
108. Le moyen proposé pour M. [XG] critique l'arrêt attaqué en ce qu'il l'a déclaré coupable de harcèlement moral, alors :
« 3°/ qu'en confirmant, sur l'action publique, la déclaration de culpabilité prononcée par les premiers juges du chef de harcèlement moral commis à l'encontre de M. [S], tout en retenant, pour infirmer le jugement sur intérêts civils et débouter cette partie civile de ses demandes, que « le début des faits allégués remonte à 2011, soit postérieurement à la période de prévention retenue par le tribunal correctionnel et la cour [...], sans que le lien paraisse suffisant avec les plans NExT et ACT » (arrêt, p. 227, § 1, alinéa 2), ce dont il résultait pourtant que M. [XG] devait être renvoyé des fins de la poursuite, la cour d'appel a entaché sa décision d'une contradiction entre les motifs et le dispositif en violation de l'article 593 du code de procédure pénale. »
109. Le moyen proposé pour Mme [CL]-[VE] critique l'arrêt attaqué en ce qu'il l'a déclarée coupable de complicité de harcèlement moral dans la limite de la prévention retenue par le jugement sauf à préciser que les faits ont été commis alors que la prévenue avait également la qualité de DRH France, l'a condamnée pénalement et a prononcé sur les intérêts civils, alors :
« 2°/ qu'en confirmant, sur l'action publique, la déclaration de culpabilité prononcée par les premiers juges du chef de harcèlement moral commis à l'encontre de M. [S], tout en retenant, pour infirmer le jugement sur intérêts civils et débouter cette partie civile de ses demandes, que « le début des faits allégués remonte à 2011, soit postérieurement à la période de prévention retenue par le tribunal correctionnel et la cour [...], sans que le lien paraisse suffisant avec les plans NExT et ACT » (arrêt, p. 227, § 1,3), ce dont il résultait pourtant que Mme [CL]-[VE] devait être renvoyée des fins de la poursuite, la cour d'appel a entaché sa décision d'une contradiction entre les motifs et le dispositif en violation de l'article 593 du code de procédure pénale. »
Réponse de la Cour
110. Les moyens sont réunis.
111. L'arrêt attaqué a confirmé la déclaration de culpabilité de M. [XG] du chef de harcèlement moral, et celle de Mme [CL]-[VE] du chef de complicité de ce délit, sauf à l'égard de six membres du personnel au nombre desquels ne figure pas M. [ZG] [S].
112. La cour d'appel, en mentionnant dans la partie relative à l'action civile de M. [S] que « le début des faits allégués remonte à 2011 », ne s'est pas référée à la date des faits poursuivis, mais à celle de la manifestation du dommage subi par cette partie civile telle que son avocat l'avait exposée à l'audience.
113. Il en résulte que les griefs pris de la contradiction de motifs manquent en fait.
114. Dès lors, les moyens sont inopérants.
Mais sur le premier moyen proposé pour Mme [GI]
Enoncé du moyen
115. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a infirmé partiellement le jugement et a débouté Mme [GI] de ses demandes de dommages et intérêts et de frais irrépétibles, alors « que l'affaire est dévolue à la cour d'appel dans les limites fixées par l'acte d'appel et par la qualité de l'appelant ; qu'en infirmant le jugement entrepris notamment en ce qu'il avait condamné solidairement monsieur [C] et la société [8] devenue [11] SA à payer à madame [GI] la somme de 10 000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation de son préjudice moral et in solidum les mêmes prévenus à payer à madame [GI] la somme de 1 500 euros au titre de l'article 475-1 du code de procédure pénale, lorsque monsieur [C] s'étant désisté de son appel et la société [8] devenue [11] SA n'ayant pas interjeté appel, les dispositions civiles du jugement concernant ces prévenus étaient devenues définitives, la cour d'appel a violé l'article 509 du code de procédure pénale. »
Réponse de la Cour
Vu les articles 500-1 et 509 du code de procédure pénale :
116. Il résulte de ces textes que l'affaire est dévolue à la cour d'appel dans la limite fixée par l'acte d'appel et par la qualité de l'appelant et que le désistement d'appel du prévenu, qui peut être rétracté, ne dessaisit le juge du second degré que si sa régularité a été constatée et qu'il en a été donné acte.
117. En l'espèce, il ressort des pièces de procédure que le tribunal correctionnel a déclaré Mme [GI] recevable en sa constitution de partie civile et a condamné solidairement l'ensemble des prévenus à lui verser les sommes de 10 000 euros à titre de dommages et intérêts et de 1 500 euros en application de l'article 475-1 du code de procédure pénale.
118. Il résulte des mentions de l'arrêt attaqué que l'ensemble des prévenus, à l'exception de la société [8], a interjeté appel de cette décision, que M. [C] s'est désisté de son appel le 24 septembre 2021, et que le président de la chambre des appels correctionnels a constaté, par ordonnance du 10 mars 2022, le désistement d'appel de l'intéressé.
119. Enfin, il ressort des mentions du dispositif de l'arrêt attaqué que la cour d'appel a infirmé partiellement le jugement sur l'action civile et, statuant à nouveau, a débouté Mme [GI], intimée, de ses demandes de dommages et intérêts et au titre des frais irrépétibles.
120. En se déterminant ainsi, la cour d'appel a méconnu les textes susvisés et le principe ci-dessus rappelé.
121. En effet, les juges ne pouvaient débouter la partie civile de ses demandes au titre de l'action civile sans s'interroger sur l'incidence du désistement d'appel de M. [C] et de l'absence d'appel de la société [8] alors que le jugement ayant condamné solidairement les intéressés à indemniser Mme [GI] était devenu définitif à leur égard.
122. La cassation est par conséquent encourue de ce chef.
Portée et conséquences de la cassation
123. La cassation de l'arrêt ne concerne que les dispositions civiles relatives à Mme [GI]. Elle aura lieu par voie de retranchement, redonnant plein effet aux dispositions civiles du jugement la concernant.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu d'examiner les deuxième et troisième moyens de cassation proposés pour Mme [GI], la Cour :
CASSE ET ANNULE, par voie de retranchement, l'arrêt susvisé de la cour d'appel de Paris, en date du 30 septembre 2022, en ses seules dispositions civiles ayant débouté Mme [GI] de ses demandes indemnitaires à l'égard de M. [C] et de la société [8], toutes autres dispositions étant expressément maintenues ;
Dit n'y avoir lieu à renvoi ;
FIXE à 2 500 euros la somme globale que M. [XG] devra payer à la Fédération [5], l'[15], Mmes [Y] et [ZT] [PL] et M. [R] [PL] en application de l'article 618-1 du code de procédure pénale ;
FIXE à 2 500 euros la somme globale que M. [FS] devra payer à la Fédération [5], l'[15], Mmes [Y] et [ZT] [PL] et M. [R] [PL] en application de l'article 618-1 du code de procédure pénale ;
FIXE à 2 500 euros la somme globale que Mme [CL]-[VE] devra payer à la Fédération [5], l'[15], Mmes [Y] et [ZT] [PL] et M. [R] [PL] en application de l'article 618-1 du code de procédure pénale ;
FIXE à 2 500 euros la somme globale que Mme [YM] devra payer à la Fédération [5], l'[15], Mmes [Y] et [ZT] [PL] et M. [R] [PL] en application de l'article 618-1 du code de procédure pénale ;
FIXE à 2 500 euros la somme globale que M. [XG] devra payer à Mme [UI] [H], épouse [BC], MM. [EY] et [HU] [BC], et Mmes [VL] et [TE] [BC], en tant qu'héritiers et à titre personnel, en application de l'article 618-1 du code de procédure pénale ;
FIXE à 2 500 euros la somme globale que M. [FS] devra payer à Mme [UI] [H], épouse [BC], MM. [EY] et [HU] [BC], et Mmes [VL] et [TE] [BC], en tant qu'héritiers et à titre personnel, en application de l'article 618-1 du code de procédure pénale ;
FIXE à 2 500 euros la somme globale que Mme [CL]-[VE] devra payer à Mme [UI] [H], épouse [BC], MM. [EY] et [HU] [BC], et Mmes [VL] et [TE] [BC], en tant qu'héritiers et à titre personnel, en application de l'article 618-1 du code de procédure pénale ;
FIXE à 2 500 euros la somme globale que Mme [YM] devra payer à Mme [UI] [H], épouse [BC], MM. [EY] et [HU] [BC], et Mmes [VL] et [TE] [BC], en tant qu'héritiers et à titre personnel, en application de l'article 618-1 du code de procédure pénale ;
FIXE à 2 500 euros la somme globale que M. [XG] devra payer au Syndicat [1], à la Fédération [2], à M. [UK] [SN] et à Mme Mme [OZ] [LY], épouse [XT], en tant qu'héritière et à titre personnel, en application de l'article 618-1 du code de procédure pénale ;
FIXE à 2 500 euros la somme globale que M. [FS] devra payer au Syndicat [1], à la Fédération [2], à M. [UK] [SN] et à Mme Mme [OZ] [LY], épouse [XT], en tant qu'héritière et à titre personnel, en application de l'article 618-1 du code de procédure pénale ;
FIXE à 2 500 euros la somme globale que Mme [CL]-[VE] devra payer au Syndicat [1], à la Fédération [2], à M. [UK] [SN] et à Mme Mme [OZ] [LY], épouse [XT], en tant qu'héritière et à titre personnel, en application de l'article 618-1 du code de procédure pénale ;
FIXE à 2 500 euros la somme globale que Mme [YM] devra payer au Syndicat [1], à la Fédération [2], à M. [UK] [SN] et à Mme Mme [OZ] [LY], épouse [XT], en tant qu'héritière et à titre personnel, en application de l'article 618-1 du code de procédure pénale ;
FIXE à 2 500 euros la somme globale que M. [XG] devra payer aux parties représentées par la SCP Lyon-Caen et Thiriez, en application de l'article 618-1 du code de procédure pénale ;
FIXE à 2 500 euros la somme globale que M. [FS] devra payer aux parties représentées par la SCP Lyon-Caen et Thiriez, en application de l'article 618-1 du code de procédure pénale ;
FIXE à 2 500 euros la somme globale que Mme [CL]-[VE] devra payer aux parties représentées par la SCP Lyon-Caen et Thiriez, en application de l'article 618-1 du code de procédure pénale ;
FIXE à 2 500 euros la somme globale que Mme [YM] devra payer aux parties représentées par la SCP Lyon-Caen et Thiriez, en application de l'article 618-1 du code de procédure pénale ;
DIT n'y avoir lieu à autre application de l'article 618-1 du code de procédure pénale ;
ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la cour d'appel de Paris et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement annulé.
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président en son audience publique du vingt et un janvier deux mille vingt-cinq.
En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et Mme Le Roch, greffier de chambre qui a assisté au prononcé de l'arrêt.