LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
CIV. 1
SH
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 5 février 2025
Cassation partielle
Mme CHAMPALAUNE, président
Arrêt n° 83 F-D
Pourvoi n° H 22-20.311
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, DU 5 FÉVRIER 2025
M. [V] [L], domicilié [Adresse 1], a formé le pourvoi n° H 22-20.311 contre l'arrêt rendu le 21 mars 2022 par la cour d'appel de Nancy (1re chambre civile), dans le litige l'opposant :
1°/ à M. [G] [L], domicilié [Adresse 10],
2°/ à M. [K] [L], domicilié [Adresse 2],
3°/ à M. [E] [L], domicilié [Adresse 3],
4°/ à Mme [F] [L], domiciliée [Adresse 4],
5°/ à Mme [B] [D], épouse [L], domiciliée [Adresse 8],
6°/ à M. [Z] [L], domicilié [Adresse 7],
7°/ à M. [C] [L], domicilié, [Adresse 9],
défendeurs à la cassation.
Le demandeur invoque, à l'appui de son pourvoi, deux moyens de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Lion, conseiller référendaire, les observations de la SCP Bauer-Violas, Feschotte-Desbois et Sebagh, avocat de M. [V] [L], de la SCP Marlange et de La Burgade, avocat de MM. [G], [K] et [E] [L], après débats en l'audience publique du 10 décembre 2024 où étaient présents Mme Champalaune, président, Mme Lion, conseiller référendaire rapporteur, Mme Auroy, conseiller doyen, et Mme Sara, greffier de chambre,
la première chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Nancy, 21 mars 2022), [X] [L] et son épouse, [W] [T], sont respectivement décédés les 8 mai 2009 et 10 mars 2018, en laissant pour leur succéder quatre enfants, MM. [G], [Y], [K], et [V] [L], et deux petits-enfants, MM. [Z] et [C] [L], venant en représentation de leur père, [U] [L], prédécédé.
2. MM. [G], [Y], [K], [Z] et [C] [L] ont assigné M. [V] [L] en partage des successions de leurs parents et de la communauté ayant existé entre eux.
3. Mme [B] [D], M. [E] [L] et Mme [F] [L] sont intervenus en qualité d'ayants droit de [Y] [L], décédé en cours d'instance.
Examen des moyens
Sur le premier moyen, pris en sa seconde branche, sur le second moyen, pris en sa première branche, en ce qu'il fait grief à l'arrêt de rejeter la demande de rapport à la succession de la donation consentie à M. [K] [L], et sur le second moyen, pris en ses deuxième, troisième et quatrième branches
4. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur le second moyen, pris en ses deuxième, troisième et quatrième branches, en ce qu'il fait grief à l'arrêt de rejeter la demande de rapport à la succession de la donation consentie à M. [K] [L], qui est irrecevable, et sur le premier moyen, pris en sa seconde branche, le second moyen, pris en sa première branche, en ce qu'il fait grief à l'arrêt de rejeter la demande de rapport à la succession de la donation consentie à M. [K] [L] et le second moyen, pris en ses deuxième, troisième et quatrième branches, en ce qu'il fait grief à l'arrêt de rejeter la demande de réduction de la donation consentie à M. [K] [L], qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Mais sur le premier moyen, pris en sa première branche
Enoncé du moyen
5. M. [V] [L] fait grief à l'arrêt de le condamner à verser à la succession la somme de 76 552,27 euros au titre du cheptel et matériels reçus, alors « que seule une libéralité, qui suppose un appauvrissement du disposant dans l'intention de gratifier son héritier, est rapportable à la succession ; qu'en condamnant M. [V] [L] à verser à la succession la somme de 76 552,27 euros au titre du cheptel et matériels reçus aux motifs que "les biens en cause ont été reçus sans contrepartie par M. [V] [L], de sorte que l'opération s'analyse en une donation dont il est dû rapport à la succession", sans constater l'intention libérale des prétendus donateurs, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 843 du code civil. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 843 du code civil :
6. Il résulte de ce texte que seule une libéralité, qui suppose un appauvrissement du disposant dans l'intention de gratifier son héritier, est rapportable à la succession.
7. Pour condamner M. [V] [L] à verser à « la succession » la somme de 76 552,27 euros au titre du matériel et du cheptel reçus de ses parents, l'arrêt relève que ces biens étaient, antérieurement à la constitution du groupement agricole d'exploitation en commun, la propriété de [X] et [W] [L]. Il retient que ces derniers n'ont pas été destinataires des fonds empruntés par M. [V] [L] pour financer le cheptel et qu'aucune preuve n'est rapportée du paiement du matériel par ses soins, de sorte que ces biens ont été reçus par celui-ci sans contrepartie. Il en déduit que l'opération s'analyse en une donation dont il est dû rapport à la succession.
8. En se déterminant ainsi, sans caractériser l'intention libérale de [X] et [W] [L] à l'égard de M. [V] [L], la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision.
Et sur le second moyen, pris en sa première branche, en ce qu'il fait grief à l'arrêt de rejeter la demande de réduction de la donation consentie à M. [K] [L]
Enoncé du moyen
9. M. [V] [L] fait grief à l'arrêt de rejeter sa demande dirigée contre M. [K] [L] tendant à la réduction d'une donation relative à la parcelle sise à [Localité 5] cadastrée section [Cadastre 6] et supportant un hangar « Auer », alors « que le caractère réductible d'une donation s'apprécie au regard de la valeur du bien lors de l'ouverture de la succession, et non à l'époque de la gratification ; qu'en constatant qu'il résulte de l'acte notarié du 27 janvier 1988 que [X] et [W] [L] ont fait donation à leur fils [K] d'une parcelle de terre d'une valeur de 600 francs, stipulée par préciput et hors part, et en énonçant que "l'hypothèse d'une possible réduction apparaît manifestement irréaliste au regard des valeurs successorales en cause", la cour d'appel, qui a écarté toute réduction de la donation au regard de la valeur du bien au jour de la gratification, a violé l'article 922 du code civil. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 922 du code civil :
10. Selon ce texte, pour déterminer s'il y a lieu à réduction, il est formé une masse de tous les biens existant au décès du donateur, ceux dont il a été disposé par donation entre vifs étant fictivement réunis à cette masse, d'après leur état à l'époque de la donation et leur valeur à l'ouverture de la succession.
11. Pour rejeter la demande formée par M. [V] [L] aux fins de réduction de la donation litigieuse reçue par M. [K] [L], l'arrêt relève qu'il résulte de l'acte notarié du 27 janvier 1988 que [X] et [W] [L] ont consenti à leur fils M. [K] [L] une donation portant sur une parcelle de terre, d'une valeur de 600 francs et stipulée par préciput et hors part, et retient que l'hypothèse d'une possible réduction apparaît irréaliste au regard des valeurs successorales en cause.
12. En statuant ainsi, alors que, s'agissant d'une donation dispensée de rapport, l'immeuble devait être apprécié d'après son état, à l'époque de la donation et sa valeur à l'ouverture de la succession, la cour d'appel, qui s'est référée à la valeur du bien au jour de la donation, a violé le texte susvisé.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il condamne M. [V] [L] à rapporter à la succession la somme de 76 552,27 euros au titre du matériel et du cheptel reçu de ses parents, rejette la demande de M. [V] [L] dirigée contre M. [K] [L] tendant à la réduction d'une donation relative à la parcelle sise à [Localité 5] cadastrée section [Cadastre 6] et supportant un hangar « Auer », et en ce qu'il statue sur les dépens et l'application de l'article 700 du code de procédure civile, l'arrêt rendu le 21 mars 2022, entre les parties, par la cour d'appel de Nancy ;
Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Metz ;
Condamne MM. [G], [K], [Z], [C] et [E] [L], ainsi que Mme [D] et Mme [F] [L] aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par MM. [G], [K], et [E] [L], et les condamne à payer à M. [V] [L] la somme globale de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du cinq février deux mille vingt-cinq.