LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
CIV. 2
LM
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 13 février 2025
Cassation
Mme MARTINEL, président
Arrêt n° 141 F-D
Pourvoi n° H 23-17.739
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 13 FÉVRIER 2025
1°/ M. [X] [M], domicilié [Adresse 3],
2°/ Mme [G] [M], domiciliée [Adresse 5],
3°/ M. [P] [M], domicilié [Adresse 4],
4°/ Mme [Z] [T],
5°/ Mme [R] [M],
toutes deux domiciliées [Adresse 2],
ont formé le pourvoi n° H 23-17.739 contre l'arrêt rendu le 25 avril 2023 par la cour d'appel de Pau (1re chambre), dans le litige les opposant à la société Allianz IARD, société anonyme, dont le siège est [Adresse 1], défenderesse à la cassation.
Les demandeurs invoquent, à l'appui de leur pourvoi, deux moyens de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Salomon, conseiller, les observations de la SARL Cabinet Briard, Bonichot et Associés, avocat de M. [X] [M], Mme [G] [M], M. [P] [M], Mme [T] et Mme [R] [M], de la SCP Duhamel, avocat de la société Allianz IARD, et l'avis de Mme Nicolétis, avocat général, après débats en l'audience publique du 8 janvier 2025 où étaient présentes Mme Martinel, président, Mme Salomon, conseiller rapporteur, Mme Isola, conseiller doyen, et Mme Cathala, greffier de chambre,
la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Pau, 25 avril 2023), M. [X] [M], victime d'un accident de la circulation survenu le 24 novembre 1993, a sollicité la réparation de son préjudice corporel auprès de son assureur, la société Préservatrice foncière assurances (PFA). Par jugement du 28 octobre 1999, un tribunal de grande instance lui a alloué une indemnité à ce titre.
2. À la suite de la détérioration de son état de santé, M. [X] [M], ainsi que Mme [T], M. [P] [M], Mmes [R] et [G] [M] (les consorts [M]) ont sollicité des dommages et intérêts complémentaires. La société Allianz IARD, venant aux droits de la société PFA, leur a opposé un plafond de garantie.
Examen des moyens
Sur le premier moyen, pris en sa première branche
Enoncé du moyen
3. Les consorts [M] font grief à l'arrêt de confirmer le jugement en ce qu'il a déclaré les demandes présentées par eux irrecevables en application du principe de l'estoppel, alors « que tout jugement doit être motivé à peine de nullité ; que la contradiction entre les motifs et le dispositif équivaut à une absence de motifs ; que dans ses motifs, l'arrêt retient que le moyen d'irrecevabilité tiré d'une contradiction avec soi-même n'est pas fondé car, en l'absence de débat sur l'applicabilité du plafond de garantie, les consorts [M] ne peuvent pas être considérés comme en ayant accepté l'applicabilité, peu important que l'existence de ce plafond ait été mentionnée et peu important l'identité de la partie qui a pu en mentionner l'existence dans ses écritures d'alors, de sorte que les intéressés ne se contredisent pas aujourd'hui au dépens de la société Allianz Iard SA ; que l'arrêt a nonobstant confirmé le jugement entrepris dans toutes ses dispositions, y compris celle ayant déclaré les demandes des consorts [M] irrecevables en vertu du principe de l'estoppel ; qu'en statuant ainsi, la cour d'appel a entaché sa décision d'une contradiction entre les motifs et le dispositif et méconnu les exigences des articles 455 et 458 du code de procédure civile. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 455 du code de procédure civile :
4. Selon ce texte, tout jugement doit être motivé à peine de nullité. Le défaut de réponse aux conclusions constitue un défaut de motifs.
5. Après avoir, dans les motifs de sa décision, retenu que le moyen d'irrecevabilité tiré d'une contradiction avec soi-même n'était pas fondé, la cour d'appel a, dans le dispositif, confirmé le jugement en toutes ses dispositions.
6. En statuant ainsi, alors que le jugement avait déclaré les demandes des consorts [M] irrecevables en application du principe de l'estoppel, la cour d'appel, qui s'est contredite, n'a pas satisfait aux exigences du texte susvisé.
Et sur le second moyen
Enoncé du moyen
7. Les consorts [M] font grief à l'arrêt de confirmer le jugement en ce qu'il les a déboutés de l'ensemble de leurs demandes, alors « qu'une clause de limitation de garantie doit avoir été portée à la connaissance de l'assuré au moment de son adhésion à la police ou, tout au moins, antérieurement à la réalisation du sinistre, pour lui être opposable ; qu'après avoir relevé que les conditions particulières de la police versées au débats indiquent avoir été éditées le lendemain de l'accident survenu le 24 novembre 1993, que ce document mentionne l'existence du plafond de garantie de 1 000 000 francs au titre de la garantie due au conducteur responsable, que même non signée par M. [X] [M], cette pièce qui n'est pas arguée de faux demeure probante de l'existence de cette limitation contractuelle, que ni les conditions générales du contrat d'assurance, ni la fiche contenant les clauses particulières propres à l'assuré souscripteur ne sont signées par ce dernier et que ces documents initiaux ne suffisent donc pas à démontrer que ce plafond a été porté à la connaissance du souscripteur et donc de toute personne pouvant avoir aussi la qualité d'assuré, l'arrêt retient toutefois, pour débouter les intéressés de leurs demandes, qu'à supposer que le plafond de garantie ait été ignoré de M. [X] [M] lors de la souscription du contrat, la teneur du jugement de 1999 prouve que l'existence de ce plafond a bien été évoquée par voie de conclusions échangées entre parties comparantes et que, M. [X] [M] en ayant donc eu connaissance à cette occasion, les consorts [M] ne peuvent plus, depuis la procédure de 1999, faire valoir que la limitation contractuelle n'a pas été portée à leur connaissance, de sorte que la société d'assurance Allianz Iard SA est fondée à opposer ce plafond de garantie tant au souscripteur qu'à toutes les personnes ayant la qualité d'assuré selon le contrat ; qu'en se déterminant ainsi, par des motifs impropres à établir que l'assureur rapportait la preuve, lui incombant, que M. [X] [M] avait eu connaissance, avant l'accident dont il a été victime, du montant du plafond dont cet assureur se prévalait, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision au regard de l'article 1134, alinéa 1er, du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 10 février 2016, devenu l'article 1103 du même code, et les articles L. 112-2, L. 112-3 et L. 112-4 du code des assurances. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 1134, alinéa 1er, du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 et les articles L. 112-2, L. 112-3 et L. 112-4 du code des assurances :
8. Il résulte de ces textes qu'une clause de limitation de garantie doit avoir été portée à la connaissance de l'assuré au moment de son adhésion à la police ou, tout au moins, antérieurement à la réalisation du sinistre, pour lui être opposable.
9. Pour dire le plafond de garantie contractuel opposable aux consorts [M] et les débouter de leurs demandes, l'arrêt relève que ni les conditions générales du contrat d'assurance, ni la fiche contenant les conditions particulières propres à l'assuré souscripteur ne sont signées par ce dernier. Il en déduit que ces documents initiaux ne suffisent pas à démontrer que ce plafond a été porté à la connaissance du souscripteur et, par conséquent, de toute personne pouvant avoir aussi la qualité d'assuré.
10. L'arrêt retient ensuite qu'à supposer que le plafond de garantie n'ait pas été porté à la connaissance de l'assuré lors de la souscription du contrat, la teneur du jugement de 1999 prouve que l'existence de ce plafond a bien été évoquée par voie de conclusions échangées entre parties comparantes et que l'assuré en a eu connaissance à cette occasion. Il ajoute que, depuis la procédure de 1999, les consorts [M] ne peuvent plus faire valoir que la limitation contractuelle n'a pas été portée à leur connaissance et que l'assureur est fondé à opposer ce plafond de garantie tant au souscripteur qu'à toutes les personnes ayant la qualité d'assurés selon le contrat.
11. En se déterminant ainsi, par des motifs impropres à établir que l'assureur rapportait la preuve, lui incombant, que M. [M] avait eu connaissance, avant l'accident dont il a été victime, du montant du plafond dont cet assureur se prévalait, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur l'autre grief du pourvoi, la Cour :
CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 25 avril 2023, entre les parties, par la cour d'appel de Pau ;
Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Bordeaux ;
Condamne la société Allianz IARD aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société Allianz IARD et la condamne à payer à M. [X] [M], Mme [G] [M], M. [P] [M], Mme [T] et Mme [R] [M] la somme globale de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du treize février deux mille vingt-cinq.